C’est la rentrée au CE1 : Alice, qui ne sait encore ni lire ni écrire, a hâte de voir si son amie Julie sera dans la même classe. « On est dans la même classe ! » se réjouit-elle. Pourtant, cette amitié sera mise à rude épreuve, celle de la présence d’élèves d’une classe Ulis, ou Unité Localisée d’Intégration Scolaire. « C’est une nouvelle classe qui vient d’ouvrir dans notre école, explique Julie. Maman m’a dit de ne pas m’approcher de ses élèves car ils sont dangereux. » Alice les voit s’amuser entre eux, sans comprendre leur jeu, et prend peur : « Les Ulis sont contagieux. Si l’un d’entre eux nous touche, nous deviendrons dangereuses à notre tour », dit-elle à Julie. Mais voilà qu’Alice doit intégrer la classe Ulis parce que la maitresse saura lui apprendre à lire, une catastrophe ! Sera-t-elle contaminée ?

L’argument de ce livre pour enfants écrit par Gaia n’est pas imaginaire. Il relate le vécu de sa fille Manon, 16 ans aujourd’hui : « Elle effectuait un stage découverte du métier d’éducatrice spécialisée au sein d’une école du Vaucluse, dans une classe Ulis, quand elle a remarqué pendant la récréation que les enfants valides faisaient la différence, se comportaient bizarrement. Ça m’a donné l’idée d’écrire un livre pour essayer de changer les choses. » Avec un élément véritablement autobiographique repris dans le récit : « Une fillette a dit à Manon ‘ne t’approche pas d’eux, ils sont contagieux’ ! Les petits pensent que les Ulis sont contagieux, qu’il ne faut pas s’en approcher. Et à la fin de son stage, Manon a remarqué que dans la cour plus personne ne l’approchait puisqu’elle était restée une semaine avec les Ulis ! Les enfants l’avaient assimilée avec eux, aucun ne l’approchait à l’exception des élèves Ulis. Elle s’occupait d’eux pendant la récréation, leur donnait la main. » Ce vécu lui a fait remémorer sa propre expérience en collège comme assistante d’éducation : Gaia avait remarqué cette mise à l’écart des enfants handicapés par ceux qui ne le sont pas. Elle signale cette réaction d’une maman sur Facebook après la parution de son livre : « Est-ce que la classe Ulis est ce qu’on appelait SES [section d’éducation spécialisée] ? Je me souviens du jour où ma fille m’a parlé de cette classe : la section des enfants sauvages. Il n’y a que les enfants pour détourner ainsi une appellation ! »

Manon n’envisage plus de devenir éducatrice spécialisée, pas à cause de son stage mais d’un problème de dos : « J’aimais le contact avec les enfants. Quand j’étais plus jeune, je m’étais fait copine pendant les vacances avec une fillette trisomique. Elle n’avait que moi, dès qu’elle me voyait elle sautait dans mes bras, elle était super. Je n’aimais pas que les gens fassent la différence. » Dans le collège, le contact s’est également très bien passé avec les élèves Ulis : « Ils étaient super sympas. Quand je suis arrivée dans la classe, ils étaient tous souriants. Au début ils appréhendaient un peu de voir une inconnue dans la classe, après le feeling est passé, ils m’aimaient bien, je les aimais bien. Ça m’a montré ce qu’était d’être professeur en classe Ulis. Dans la classe, j’étais comme une prof qui les aidait, et dans la cour comme une amie, en jouant avec eux. Mais dans cette cour de récréation, les autres enfants ne jouaient pas avec eux, ils ne venaient pas du côté de la porte de la classe Ulis, ça m’a choquée. » Manon avait elle-même éprouvé cette forme de discrimination quand son problème de dos l’a contrainte à porter un corset : « Les autres élèves de l’école ne m’aimaient pas à cause de ça. L’un m’a même donné un coup de pied dans le dos ! »

Gaia a tout de suite écrit le récit par Manon des péripéties de son stage, mais il lui a fallu deux bonnes années pour en faire un livre en trouvant une illustratrice et une maison d’édition. Les mots d’enfants rapportés ici en apprennent davantage que bien des discours et rapports sur les différences et le vivre ensemble… « Je pense qu’il y a un manque total de communication à l’école dans les classes non-Ulis, regrette Gaia. Ma fille a été 3 ans dans une école primaire où il y avait une classe Ulis, et aucun de ses professeurs n’avait évoqué son existence. En CP, je me rappelle qu’une petite Ulis lui avait tiré les cheveux et Manon avait peur d’elle parce qu’elle était en Ulis. J’ai tout de suite rassuré ma fille en lui expliquant que ces enfants étaient un peu différents et qu’il fallait se montrer tolérant. En une seule phrase elle a compris et appris à accepter la différence, et pourtant, elle n’avait que 6 ans. Il suffit parfois juste de parler aux enfants. Le problème, c’est que j’ai l’impression que tout le monde préfère garder le silence à ce sujet dans les écoles. Je trouve ça dommage car c’est à cet âge-là qu’on peut leur apprendre le mieux à accepter les autres, les enfants d’aujourd’hui sont les adultes de demain. Si l’on ne fait rien maintenant, l’avenir sera aussi triste qu’il l’est aujourd’hui. Les petits Ulis n’osent pas parler aux adultes et je pense que l’expérience qu’a vécue ma fille est une chance car, en tant qu’enfant, elle a pu voir de l’intérieur ce que vivaient vraiment les Ulis. »


Propos recueillis par Laurent Lejard, décembre 2017.


Alice et la classe Ulis, par Gaia, illustrations de Mélie Lychee, Evidence Editions, 12€ en version papier et 3,99€ en ePub, chez l’éditeur, sur Amazon et en librairies sur commande. A noter que ce livre est conçu pour être lu à deux voix : « L’enfant s’amuse à lire la première page, écrite en gros caractères avec des mots simples et adaptés à son âge, puis l’adulte qui l’accompagne lira la suivante. » Ce livre est également adapté aux lecteurs dyslexiques.

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