Fanny Raoult-Cheval veut pleinement profiter de la vie ! Âgée de 36 ans, elle vit avec ses deux enfants à Trégueux, près de Saint-Brieuc (Côtes d’Armor). Une rétinite pigmentaire a fortement altéré sa vision nocturne pendant sa jeunesse, et elle est devenue quasiment non-voyante à la suite d’une opération de la cataracte en 2008. Salariée, elle a conservé son emploi dans la protection sociale, mais elle a complètement changé ses choix de vie : elle pratique désormais la course à pied en compétition (championne de France handisport sur le 10 km), participe à des marathons et semi-marathons, se prépare activement pour son premier triathlon. « J’étais enceinte de mon deuxième enfant, lors de la perte de la vue. Je demandais de l’aide partout, pour les enfants, le travail, je me suis retrouvé seule, sans famille à proximité. Et j’ai également quitté mon mari : la totale ! Je me suis relevée, dans tous les domaines, en utilisant trois années de congé parental. »

Parce qu’elle n’a pas trouvé d’aide quand elle en avait grandement besoin, elle a décidé de s’investir pour les autres, également pour préparer l’avenir de ses enfants qui vivent avec le risque congénital de la rétinite pigmentaire. Depuis trois ans, elle agit en dehors du milieu associatif qu’elle a quitté (lui reprochant de conserver les informations pour les seuls adhérents), et conduit ses propres actions. Elle a écrit un livre autobiographique, « Ferme les yeux et tu verras », vendu à 400 exemplaires édités à compte d’auteur, un bon résultat pour ce genre d’ouvrage. Elle a également conçu un court-métrage, « Un jour dans la nuit », réalisé sans moyens et qui a fait un tabac : il a été diffusé localement et très apprécié. Edité en DVD, il est vendu au profit des actions de recherche conduite par Retina France.

« Je veux faire comprendre ce qui se passe, les gens pensent qu’on est aidé alors qu’en pratique c’est ‘démerde-toi’ ! L’image de l’aveugle dérange, et elle est stéréotypée. Alors qu’il faut continuer à savoir s’habiller, en se rappelant les couleurs et avec le Colorino pour les identifier [Petit appareil qui indique vocalement la couleur sur laquelle on le pose NDLR]. Il me sert aussi pour choisir les vêtements de ma fille et de mon fils. Pourtant, tous les aveugles ne le connaissent pas. Je fais les magasins avec ma canne blanche. Mais ce n’est que dans un seul que j’ai été traitée comme une vraie cliente, ce jour-là j’en ai pleuré de joie ! Maintenant on me connaît, je suis conseillée. » Elle se rappelle aussi avoir entendu un jour une dame dire: « Elle est handicapée, elle ne voit pas, elle est même jolie! » Parce que Fanny Raoult-Cheval soigne son apparence, autant pour son rapport aux autres que pour son bien-être: « Il faut prendre soin de nous. L’esthétique détend, apaise. J’ai appris qu’existe le maquillage permanent, je me suis lancée dedans et j’ai appris à me maquiller au quotidien, en comptant sur les autres pour ne pas être mise comme un clown! »

Cet apprentissage, elle l’a acquis grâce à une esthéticienne, Stéphanie Kervévant, qui tient l’institut Secret de Femmes à Trégueux, ce qui lui a donné le désir d’enseigner le maquillage à d’autres femmes handicapées. « Fanny est une cliente que j’apprécie beaucoup, c’est elle qui m’a donné envie pour que l’image des non-voyants change, et pour qu’ils s’occupent d’eux. Je me suis demandée si je serais à la hauteur, puis je me suis lancée. » Un premier stage d’apprentissage de soins esthétiques a été organisé pour savoir comment nettoyer la peau, les gestes de base pour le maquillage. « Il y a d’ailleurs eu plus d’hommes que de femmes, complète Fanny Raoult-Cheval, des voyants et des non-voyants, dans le partage et bénévolement. Certains, on ne leur a jamais parlé de la coiffure, du maquillage, dont des non-voyants de naissance, pas de superflu pour eux, des non-voyants qui se sont laissés aller. » La publication de cette initiative dans la presse locale a intéressé les jeunes femmes d’un établissement spécialisé de Jugon-les-Lacs, toujours dans les Côtes d’Armor; un autre stage a été organisé pour elles. « Je leur ai montré les gestes en guidant leurs mains, pour qu’elles les reproduisent, explique Stéphanie Kervévant. Je sentais que ça leur apportait beaucoup. »

Fanny Raoult-Cheval a d’ailleurs reçu des messages d’encouragement adressés par des femmes handicapées trop éloignées pour venir à Trégueux. Elle a donné envie, montré que s’occuper de soi est possible avec des bonnes volontés désintéressées. « On sent que c’est un bon démarrage, conclut Stéphanie Kervévant. Ça va évoluer, mais ça prend du temps. »

Propos recueillis par Laurent Lejard, décembre 2014.

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