« Esthétique et handicap » commence à faire son bout de chemin : lancée en 2009, cette exposition photographique montre la réalité de corps nus tels qu’ils résultent des séquelles de handicap moteur. Une action coup de poing montée par une femme bientôt quadragénaire, née au Cameroun et qui vit en France depuis une dizaine d’années. À l’âge de quatre ans, Deza Nguembock a subi une maladie qui a entraîné de sérieuses séquelles handicapantes : scoliose sévère, insuffisance respiratoire. Elle est venue en 1996 en France pour être hospitalisée et subir des interventions chirurgicales, suivies d’une rééducation fonctionnelle. En sortant de ce parcours, elle a décidé de reprendre des études et une vie normale : « Je me suis confrontée au parcours social du handicap, relève-t-elle, alors qu’au Cameroun mon état de santé ne m’était pas renvoyé. En France, j’ai découvert que mon état de femme handicapée est un problème, une gène. Je marchais peu, je me déplaçais surtout en fauteuil roulant. J’ai vécu un accueil difficile à l’université de la Sorbonne, il n’y avait que des marches et pas d’ascenseur. Alors je suis allé à l’université de Censier. J’ai poursuivi par un Master aux USA : tout était prévu, je n’ai pas eu de difficultés particulières, avec de bonnes relations humaines. À mon retour en France en 2004, j’ai cherché du travail : je n’ai eu quasiment aucune proposition d’entretien en mentionnant le handicap sur mon CV, et dès que j’ai enlevé la mention, j’ai obtenu des rendez-vous… » Mais la barrière du handicap revenait dès qu’elle devait négocier un entretien dans un lieu accessible. Jusqu’à ce qu’une entreprise de marketing l’emploie quelques mois, puis lui propose un contrat à durée indéterminée.

« Finalement, la proposition a été annulée parce que je n’avais pas assez d’ancienneté dans l’entreprise. Là, j’ai décidé de me consacrer à un projet artistique autour de la musique et de la peinture. J’ai créé en 2005 une association artistique, en dehors du handicap, pour servir de plate-forme à des artistes américains, hollandais et autres. En 2007, j’ai créé ‘Esthétique et handicap’ pour réfléchir à la perception du corps des personnes handicapées vu par les autres. J’ai été très étonné par les réactions, les contacts, les félicitations. Il existe une véritable curiosité du corps handicapé exposé. Une fois, dans une boutique de la rue de Rennes, je repère des vêtements sexy, j’entre, je choisis et demande à essayer sous le regard interrogatif, j’achète. Au bout de trois ou quatre achats dans la boutique, la gérante m’a dit que c’était la première fois qu’une personne handicapée achetait chez elle, et m’a proposé de m’envoyer des informations sur les nouveautés. Tous les jours, les gens de l’entreprise où je travaillais me regardaient parce qu’ils n’ont pas l’habitude de voir une femme handicapée se mettre en valeur. »

Deza Nguembock. © Angèle Essamba.

« Quand j’ai commencé à travailler sur Esthétique et handicap, j’ai passé une annonce sur le Web. Je n’ai reçu que quatre ou cinq personnes. J’ai demandé à quelques villes de soutenir le projet : Le Cap, en Afrique du Sud, a répondu immédiatement, la première exposition y a été présentée en 2009. À Paris, elle a peu tourné. Le projet Esthétique et handicap a bouleversé. On n’imaginait pas les corps nus exposés; d’ailleurs l’afficheur publicitaire Métrobus a refusé, c’était trop fort, la campagne allait être rejetée par le public ! La représentation, c’est le fauteuil roulant, la canne, le corps n’est pas montrable. La ville de Paris a été frileuse pour l’introduire dans une démarche artistique. »

« A quoi ça sert ? Beaucoup de gens ne se posent pas la question, ils sont dans l’air du temps. Depuis 2005, les entreprises ont cherché des actions autour du handicap, le Crédit Agricole a été le premier à exposer ‘Esthétique et handicap’. Même là, il y a des gens qui ne comprennent pas. Si l’exposition est présentée en dehors du cadre handicap, par exemple pour le Mois de la photo, elle ne pose pas de problème. Mais dans les entreprises, elle choque. Après le Crédit Agricole, l’exposition a été présentée chez Air France, Canal+, Havas… »

Deza Nguembock a, depuis, poursuivi sa réflexion sur le concept pour faire passer des messages. Pour une nouvelle campagne, elle combine des éléments de la nature, la courbure du dos à celle du tronc d’un arbre par exemple : « On passe d’un univers à un autre en laissant tomber les barrières. Avec l’idée de faire tous les ans un nouveau projet de campagne de sensibilisation urbaine. Après tout, dans la rue on ne me demande pas si je m’identifie au message publicitaire ! » La première de ces campagnes a lieu en ce mois de décembre 2012 à Gentilly (Val-de-Marne), conçue par l’agence E&H Lab qu’elle a créée en 2011. Elle travaille avec des free-lance, assurant le design, le conseil pour le développement de bonnes pratiques, la veille internationale, l’événementiel, pour stimuler la prise de conscience dans les entreprises. Celles-là mêmes qui ne voulaient pas de Deza Nguembock…

Laurent Lejard, décembre 2012.

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