Si les femmes, en République Démocratique du Congo, connaissent en général des problèmes de considération, celles qui sont handicapées constituent un groupe encore plus vulnérable. Elles sont frappées par les préjugés, les clichés, les idées fausses qui favorisent la discrimination. Marie Mukoko et Lydie Mbuangi, qui vivent seules à Kinshasa, sont serveuses au Restaurant Source de Vie, géré par le Centre de Rééducation pour Handicapés Physiques (CRHP) : « Pour certaines familles, la femme handicapée ne peut prétendre au mariage parce qu’aucun homme ne voudra d’elle comme une vraie épouse, expliquent-elles. Peut être qu’elle serait mieux de mener une vie cachée, comme une maîtresse communément appelée dans le langage kinois ‘2e bureau’, malgré la beauté et tout ce qui va avec. Voir une femme handicapée vivre seule signifie pour nombre d’hommes, être à la portée de qui la veut ». Au risque d’être victime d’abus, jusqu’au jour où elle rencontre un partenaire sûr. Mais bien des femmes handicapées avouent avoir eu leurs enfants de plusieurs pères, à cause de déceptions amoureuses ou d’abandon souvent basé sur des préjugés liés aux handicaps. Cela incite Marie Mukoko et Lydie Mbuangi à recommander la prudence à leurs semblables.

« La considération par la société de la femme handicapée est tributaire de plusieurs facteurs, notamment l’éducation de base, commente Huguette Kinuana, une femme veuve. Il est vrai que nombre de femmes handicapées sont victimes du comportement des hommes, mais cette situation n’est pas particulière à la RDC, elle se ressent presque partout en Afrique. Outre les préjugés qui pèsent sur les personnes handicapées en général, les femmes handicapées seraient mieux organisées en reconnaissant leurs valeurs intrinsèques en tant que femme d’abord, et non en tant qu’handicapée. Car c’est de ce complexe d’infériorité par rapport aux autres, en laissant tout reposer sur leur état d’handicap, que certaines personnes, comme les hommes en particulier, profitent de la situation pour leur nuire ». Les femmes handicapées sont un objet de tentation pour certains hommes qui veulent satisfaire leur curiosité de ce qu’elles peuvent « donner » sur le plan sexuel. « C’est de l’immoralité de la part des hommes qui abandonnent les femmes handicapées après leur avoir fait des enfants ou satisfait leur curiosité, s’indigne Rommel Kitambala Malula, pasteur de l’Eglise scientiste. Même la justice ne supporte pas cela ! »

Tenter de vivre comme les autres.

L’enfant qui est élevé par ses deux parents est bien éduqué. Mais si sa mère est seule, cela devient un autre problème. Les femmes handicapées du restaurant « Source de Vie » expliquent que la femme qui ne travaille pas dispose de très peu de chances pour promouvoir sa progéniture. Elle peut involontairement condamner son enfant à demeurer derrière son fauteuil roulant ou rester sans rien faire, ce qui provoque à la longue une nouvelle forme de déliquescence juvénile, notamment le phénomène « enfants de la rue ». La situation des enfants est encore pire s’ils sont handicapés. « La considération n’est arrivée que lorsque j’ai commencé à travailler, poursuit Marie Mukoko. J’ai éduqué mes deux enfants toute seule et je n’ai plus besoin de me marier ». Locataire durant 15 ans, elle est maintenant propriétaire d’une parcelle grâce à son travail. Elle compte sur ses enfants, qui font des études, pour assurer ses vieux jours.

Pour ce qui est de la maternité, les femmes seules ont droit de la part de l’Etat à des attestations d’indigence délivrées à la division provinciale des Affaires Sociales, pour faciliter la réduction des frais de maternité et même leur annulation pure et simple. Cette forme d’aide est efficace, mais encourage aussi des femmes à multiplier parfois les grossesses. Les femmes handicapées qui ont eu des enfants hors mariage veulent rester anonymes; elles vivent dans l’indifférence de la société et la négligence de leurs familles qui les poussent à se regrouper afin de se protéger contre d’éventuelles agressions. Pour elles, les enfants sont un moyen de vivre si le géniteur accepte son enfant car, disent-elles, « les hommes ont honte de nous présenter comme leurs femmes surtout si vous vous trainez à même le sol… » Puisque l’emploi est un calvaire, elles créent des activités de tresse des cheveux, de manucure et pédicure, de vente de petits articles pendant la journée, et certaines attendent la nuit pour pratiquer le plus vieux métier du monde…

La vie des femmes handicapées mariées est plus enviable. Caroline Monsempo avoue être en très bons termes avec son mari qui assume les charges maritales de sa famille. Leur couple a donné la vie à cinq enfants qui sont tous à l’école. Elle ne connait pas de difficultés liées à la maternité mais par contre, elle a souvent des problèmes avec sa belle-famille qui la sous-estime du fait de son handicap. Sur le plan professionnel, comme ses collègues elle rencontre des difficultés avec certains clients qui refusent d’être servis par des personnes handicapées quand bien même le restaurant « Source de Vie » est une oeuvre pour les personnes handicapées. « Certains clients prétendent qu’être servi par les femmes handicapées entraîne des retards pour les uns, tandis que les autres ne supportent pas de les voir travailler, constate Caroline Monsempo. Mais ces clients finissent par accepter, lorsqu’ils se retrouvent à attendre d’être servis par un employé valide ou comprennent que ces femmes handicapées ne peuvent pas vivre dignement sans ce travail ».

Savoir s’organiser.

Les femmes handicapées savent se prendre en main, comme celles qui ont réussi à monter un groupe théâtral, « Les ramassés de Dieu », à l’initiative d’une veuve, Séraphine Yalikoka Apenza, mère de trois enfants. Originaire de la Province Orientale, elle faisait du trafic entre les deux rives de Kinshasa et Brazzaville. Ce groupe a été créé il y a un an et compte vingt quatre artistes, dont neuf hommes et deux couples : l’un est marié, l’autre le sera bientôt. Les autres sont célibataires, et les femmes, mères de plusieurs enfants. Ces artistes répètent dans la concession de Sainte Anne, une paroisse située près de la gare centrale de Kinshasa. Ce groupe tire son origine d’un centre d’hébergement pour personnes handicapées, le Centre d’Accueil et de Passage du Ministère des Affaires Sociales ex-OFITRA. Ces artistes ont trouvé cette occupation à la suite de l’impossibilité de poursuivre les activités de trafic entre Kinshasa et Brazzaville, causée par la panne du grand bac. Faute d’un sponsor, le groupe théâtral demande une cotisation aux membres à raison de 1.500FCFA (2,28€) à chaque séance, ceci pour leur permettre de s’ouvrir aux médias.

Face à une situation contrastée, l’Etat congolais lance un programme d’accès gratuit aux soins et d’autres avantages sociaux. Les ONG prolongent cette action en soutenant les associations locales telles l’Association congolaise pour la libération et développement de la maman handicapée (ACOLDEMHA), le Centre de Promotion Maman Efinole des Femmes Handicapées (CEPROMEFHA), PAROUSIA, le Collectif pour la Réinsertion des Personnes vivant avec Handicap (COREPH) qui font d’énormes efforts pour soutenir la femme handicapée. Elles les initient aux activités génératrices de revenu comme la coupe et la couture, la maroquinerie, l’élevage des petits bétails, etc. Mais ces organisations ont des moyens très limités par rapport aux demandes, ce qui requiert l’implication des personnes de bonne volonté. Si le Centre Intercommunautaire Congolais pour les Personnes avec Handicap (CICPH) et ses affiliés ont réussi à proposer au Gouvernement, qui l’a adopté, un programme national d’intégration et de réhabilitation des personnes handicapées, les contacts pris avec des bailleurs de fonds pour le soutien des projets économiquement viables sont contrecarrés par la lourdeur administrative et les « mains cachées » qui aiment bien maintenir le statu quo des personnes handicapées. C’est un paradoxe qui ne dit pas son nom lorsque les pouvoirs publics sont dans l’impossibilité d’apporter leur appui à ceux qui l’aident et prolongent son action.

Innocent Zengba, juin 2011.

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