L’inclusion par le numérique n’est pas pour aujourd’hui comme en témoignent deux consultations citoyennes en cours : elles reposent sur des plateformes numériques toutes deux inaccessibles aux utilisateurs déficients visuels. La première, lancée le 28 mai dernier par la secrétaire d’État aux personnes handicapées, Sophie Cluzel, s’intitule « Grande cause handicap« . Elle vise à recueillir en ligne « toutes les bonnes idées pour améliorer le quotidien des personnes handicapées et leur garantir une vraie place dans la société ». La première « bonne idée » aurait été que la plateforme numérique de consultation soit accessible à tous, ce qui n’est pas le cas comme l’ont communiqué un mois plus tard des associations de personnes déficientes visuelles : « Elle ne répond pas aux normes techniques et il est donc impossible aux deux millions de déficients visuels français de répondre aux questions posées. Cette situation est regrettable alors que l’on souhaite donner la parole à l’ensemble des personnes en situation de handicap et ainsi co-construire puis mettre en oeuvre un plan d’action d’ici trois ans. » Le Gouvernement a en effet confié la consultation en ligne à la société Make.org, dont la plateforme numérique pose des difficultés insurmontables. Cette sous-traitance étatique est récurrente, avec à chaque fois la même inaccessibilité comme on l’avait constaté à l’occasion du Grand Débat National, consécutif au mouvement populaire des gilets jaunes, assuré par la plateforme Cap Collectif (lire les actualités des 31 janvier et 14 mars 2019).

A la suite du communiqué associatif, Make.org a réuni des associations de personnes déficientes visuelles pour cerner les problèmes. « On a convenu d’une collaboration sur ce qui reste à faire, et réaliser des tests utilisateurs pour détecter les soucis restants, explique Estelle Colas, directrice des Grandes causes. On avait travaillé sur la mise en accessibilité à l’occasion de cette grande cause handicap, c’est un chantier très lourd. » Ce que confirme Philippe De Araujo, directeur technique : « J’ai été expert en accessibilité du web pour AccessiWeb, il y a longtemps. On a listé des chantiers à finaliser, on veut une confirmation associative sur ce qui doit être fait. » Mais Make.org n’a pas envisagé de faire appel à un prestataire spécialisé en accessibilité numérique, expliquant ne pas avoir de très gros moyens. En clair, cette société commerciale espère que les experts associatifs feront le travail gratuitement. « Il n’a été question que de donner quelques conseils, recadre la porte-parole de la Fédération des Aveugles de France. Aucune prestation n’est définie ou prévue. Make.org doit recourir à un prestataire. »

Et pour ADP ?

Autre plateforme numérique inaccessible comme l’a testé Edencast, celle qui enregistre les signatures de la pétition en vue d’organiser un référendum d’initiative partagée (RIP) concernant la privatisation de la société Aéroports de Paris est gérée par le ministère de l’Intérieur, sous le contrôle du Conseil Constitutionnel garant de la sincérité du processus : « L’accessibilité sera effective d’ici la fin d’année, justifie la porte-parole du ministère de l’Intérieur. Il existe toujours la possibilité de se rendre en mairie pour déposer son soutien. » Ce qui fait bondir le député socialiste Boris Vallaud, membre du groupe de suivi de ce RIP : « Cette situation inacceptable est une des nombreuses lacunes que nous avons signalées au ministre de l’Intérieur, qui n’a pas été de meilleure volonté avec nous qu’avec vous. Nous continuons d’intervenir pour que ce site soit simplement aux normes d’accessibilité. » Autre membre de ce groupe de suivi mais pour Les Républicains, François Cornut-Gentille précise : « La pétition en ligne est traitée avec une certaine forme de désinvolture alors que le ministère de l’Intérieur a le devoir de faire, de par la Constitution. Nous avons eu deux réunions avec les services de Christophe Castaner [ministre de l’intérieur], ils disent oui mais ça ne suit pas forcément. »

Pourtant garant du bon déroulement de la pétition référendaire, le Conseil Constitutionnel joue les Ponce-Pilate : « Seul le ministère de l’Intérieur administre le site et est susceptible de procéder à des évolutions », justifie son porte-parole. Bref, l’accessibilité de la pétition ADP dépend du bon vouloir d’un ministère qui temporise… Et comme la procédure de signature sera close à la mi-mars 2020, peu de citoyens déficients visuels auront l’opportunité d’exprimer leur éventuel soutien. Ce qui indiffère totalement la secrétaire d’État aux personnes handicapées : elle oppose un silence total sur ces deux sévères entorses à la citoyenneté des personnes dont elle devrait défendre la participation à la vie publique.

Laurent Lejard, août 2019.

Partagez !