Question : Vous êtes l’honorable sénatrice Chantal Petitclerc

Chantal Petitclerc : Oui (rires). Depuis deux ans en fait.

Question : 
Au Canada, plus particulièrement au Québec, vous êtes une véritable personnalité, une sportive très connue dont on ne connaît pas d’équivalent dans le mouvement handisport français…

Chantal Petitclerc : 
J’ai l’impression, sans faire de comparaison facile, que le mouvement handisport, sports pour personnes handicapées, s’est très bien et très vite développé au Canada. Je n’en connais pas les raisons sociologiques mais, dès ses débuts, le Canada est devenu un pionnier et ensuite un leader. Moi, quelque part à cause de ce contexte d’ouverture d’esprit, d’investissement dans les subventions pour les sports des personnes handicapées, quand je suis arrivée avec des performances et des médailles, l’accueil était là. J’ai bénéficié d’une belle couverture médiatique, d’un bon appui de la part de sponsors, j’ai été capable d’avoir une carrière d’athlète paralympique équivalente à celle d’une athlète olympique, et d’en vivre aussi. Ce qui reste encore assez rare au niveau international : on le voit un peu en Angleterre ou en Australie, moins en France. Quand je sors de chez nous, les gens me reconnaissent dans la rue, j’ai ce statut de personnalité publique.

Question : Avec un palmarès qui doit vous placer au top des athlètes paralympiques. Vous vous situez en quelle position des recordwomen en titres paralympiques ?

Chantal Petitclerc : 
Il est toujours difficile de comparer, et de se mettre soi-même en avant, ce n’est pas quelque chose que j’aime faire. Mais quand on regarde au niveau de l’athlétisme paralympique, avec mes 21 médailles dont les 14 d’or, j’ai atteint un record : je suis l’athlète la plus médaillée dans mon sport. Ça m’inscrit dans l’histoire de mon sport, et ça a été énormément de défis, de travail, d’obstacles à surmonter.

Question : 
C’est cette situation, ces résultats qui ont conduit le Gouverneur Général du Canada à vous nommer sénatrice ? Comment s’est faite cette nomination ?

Chantal Petitclerc : 
Depuis plusieurs années, le Canada se questionne au sujet du Sénat, gouvernement et citoyens s’interrogent sur le rôle de cette deuxième chambre législative. Quand le gouvernement libéral de Justin Trudeau a été élu, il a revisité cette question et a fait le pari de dire « est-ce qu’on est capable d’avoir une deuxième chambre législative qui soit plus indépendante, non partisane, qui ne soit pas la suite et l’écho de partis politiques, et ait ce deuxième regard sobre sur les projets de loi ? ». J’ai ce grand privilège de faire partie des premiers sénateurs indépendants, non partisans, qui ont été nommés par le Gouverneur Général. Le processus de sélection a été autonome, un comité faisait des recommandations au Gouverneur et lui-même recommandait au Premier ministre qui ensuite nous contactait. Je me suis retrouvée dans cette sélection grâce à mes performances, mais également aux valeurs que je véhicule sur la place des personnes handicapées, du sport, de la santé, de l’importance de la diversité dans un pays comme le Canada. Pour toutes ces raisons, il y a deux ans le téléphone a sonné chez nous, je me rappelle très très bien à 17h30 un soir de semaine, au bout du fil c’était le Premier ministre « Ici Justin Trudeau. J’ai une bonne nouvelle pour vous. Est-ce que vous accepteriez de devenir sénatrice et de remplir ce rôle de service public dans ce nouveau défi du Sénat que l’on veut plus indépendant ? ». Ça a été un moment de grande émotion, de me dire est-ce que je suis capable de remplir ce rôle, est-ce que j’ai envie de relever ce défi qui est complètement différent de ceux que j’avais relevés. J’ai accepté, et depuis c’est une belle aventure.

Question : Passé l’étonnement, vous avez dû vous poser des questions sur la place des personnes handicapées au Canada et plus particulièrement au Québec qui connaît une forte régression des budgets et des moyens qui sont accordés pour vivre au milieu de tous…

Chantal Petitclerc : 
C’est l’une des raisons pour laquelle j’ai accepté. Je ne me dirigeais pas vers la vie politique ou publique, j’étais bien installée dans le monde sportif. J’avais travaillé comme entraîneure en Angleterre et avec le comité paralympique canadien. Quand la proposition est arrivée, j’ai perçu une opportunité, une responsabilité à utiliser cette vitrine sportive et ma position sur la place publique pour me dire « il y a des dossiers importants au niveau des personnes handicapées, tout n’est pas gagné ». Très honnêtement, je ne les connaissais pas bien, ces dossiers-là, parce que j’ai été moi-même assez privilégiée, j’étais connue, j’avais eu du succès. Parce qu’aussi mon handicap, en tant que paraplégique, est quand même assez léger. J’ai fait des études, je me débrouille bien physiquement, j’ai une autonomie presque complète grâce à tout ce que la modernité nous donne. Donc, ça m’a mise face à la réalité des personnes handicapées que je ne connaissais pas, on parle de handicap plus lourd, de familles ayant des enfants autistes, des défis au niveau des budgets et de l’intégration d’une part dans les écoles, ensuite sur le marché du travail. Même quand on est un pays comme le Canada ou une province comme le Québec où on se pense et on se dit très ouvert d’esprit, il reste beaucoup à faire, beaucoup de vulnérabilité. Les budgets vont toujours être coupés, les organismes vont toujours devoir se battre, c’est important d’être là comme personne handicapée mais aussi comme sportive et individu.

Question : Comme le montre le récent scandale public résultant du licenciement sans préavis par les magasins Walmart d’employés handicapés intellectuels ?

Chantal Petitclerc : 
Je me prononce sans connaître tous les détails. D’une part, du côté du message que ça renvoie, c’est une grande tristesse. En même temps, ce que j’ai appris depuis mes deux ans au Sénat c’est qu’avant de se prononcer, il faut regarder ce qu’était ce programme d’emploi : qui payait, y avait-il des subventions du gouvernement, quelle était la part de Walmart ? Une compagnie a le droit d’engager, de congédier, de choisir ses politiques sociales. Mais on a le droit de dire qu’une vision est étroite, parce que si l’on fait la promotion de la diversité, il ne faut pas juste en parler : on engage des personnes dans un milieu de travail accueillant pour tout le monde. On parle de Walmart mais on pourrait aussi évoquer le Sénat. Quelle est la proportion de personnes handicapées qui travaillent dans nos organismes gouvernementaux, combien sont-elles, est-ce représentatif du pourcentage de la population canadienne ou québécoise ? Récemment, j’ai été surprise de constater qu’adapter un environnement de travail n’était pas si cher que ça, on parle de 500 à 1.000 dollars canadiens [soit environ 300 à 600 euros NDLR] pour une personne handicapée qui par la suite va contribuer à la société, payer des taxes, et ça c’est important. On a souvent une vision sociale où on donne une chance, on aide, on ouvre des portes, mais il y a quelque chose de rentable là-dedans : plus on investit dans la diversité, plus on a un retour qui se quantifie en valeur sociale mais aussi en valeur économique.

Question : Vous êtes probablement la première sénatrice en fauteuil roulant à accéder à la célèbre colline parlementaire d’Ottawa. Comment avez-vous trouvé l’accessibilité du Sénat ?

Chantal Petitclerc : 
Je l’ai trouvée convenable. Je suis consciente que je ne suis pas nécessairement représentative de toute la communauté des personnes handicapées. J’utilise un tout petit fauteuil roulant manuel, hyper léger. Ancienne athlète, je suis forte, la colline parlementaire, je la gravis à la force des bras tous les jours, je n’ai pas de problème et ça je sais que ce n’est pas la réalité de toutes les personnes handicapées ! Il y a des handicaps visuels, des handicaps auditifs, des handicaps beaucoup plus lourds que le mien. Ce qui est plus important que l’accès physique, c’est l’ouverture d’esprit des personnels qui me demandent ce dont j’ai besoin pour que ça aille bien. Sans dramatiser ni victimiser, en trouvant des solutions. Ça a été fait de façon exemplaire : on a cette personne qui a ses spécificités, qui est unique à certains niveaux, qui a un travail à faire et on va s’assurer qu’elle puisse bien l’effectuer. À partir du moment où on fonctionne comme cela, tout le monde est gagnant, l’employeur est gagnant, le pays est gagnant parce que ce sont les Canadiens qui sont mes patrons, et les personnes handicapées sont gagnantes aussi parce qu’elles veulent contribuer au marché du travail, à la productivité d’un pays. À partir du moment où tout ce monde-là se parle et où l’on trouve des solutions concrètes, qui souvent sont bien plus faciles qu’on le pense, tout le monde y gagne.

Question : Un sénateur est nommé jusqu’à l’âge de 75 ans; vous ne vous fixez pas de limite ?

Chantal Petitclerc : 
C’est drôle, les gens qui critiquent le Sénat vont dire que les sénateurs ne sont pas élus, ils sont nommés ! Si l’on a cette espèce de sécurité jusqu’à 75 ans, dans ce monde c’est une sorte de privilège qui n’existe presque plus, j’en suis consciente. En même temps, c’est un privilège qui s’accompagne d’une énorme responsabilité. Oui, il y a des sénateurs qui vont rester jusqu’à 75 ans, d’autres sont partis au bout de cinq ou dix ans. Moi, je me dis que c’est fabuleux de faire partie de ce Sénat moderne et indépendant, qui se transforme, on fait partie de l’histoire. Et je veux contribuer à faire avancer quelque chose, à laisser ma marque au niveau du Sénat et des personnes handicapées. Combien de temps cela prendra pour réaliser mes objectifs, je ne le sais pas. Tout ce que je peux dire, c’est que je vais rester jusqu’à ce que je réalise ces objectifs.

Propos recueillis par Laurent Lejard, avril 2018.

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