Philippe Lebeau a 43 ans. Ses 13 premières années, il les a passé essentiellement à l’hôpital de Garches « comme tout IMC qui se respecte ! » précise-t-il. Né à Pantin (Seine-Saint-Denis), il est resté fidèle à cette ville de l’Est parisien dont il sert désormais les habitants en tant que conseiller municipal et adjoint au maire, sous l’étiquette du parti écologiste Les Verts. Un choix politique qui résulte d’un parcours d’homme de gauche : « J’ai été élevé entre Pif Gadget et l’Humanité, par des parents membres du Parti Communiste Français, très politisés ». Il suivra naturellement leur trace en entrant au mouvement des Jeunesses Communistes dès l’âge de 15 ans, qu’il quittera quelques mois plus tard en 1982, déçu par la realpolitik du parti communiste qui venait d’accéder au gouvernement à la suite de l’élection à la Présidence de la République de François Mitterrand. C’est la formation politique de ce dernier, le Parti Socialiste, que Philippe Lebeau rejoindra comme une transition en direction des Verts : « C’est le débouché d’un parcours social, économique et environnemental. On ne peut plus vivre à crédit sur les ressources de la planète ». Il milite pour une intégration des problématiques sociales et environnementales dans les politiques publiques, évoque les « déportés du réchauffement climatique » et la nécessité de ne pas laisser faire le marché.

Dans son éducation, le rôle de sa mère a été déterminant : « Malgré le pronostic médical que je ne marcherais jamais, ni même ne tiendrais debout ». Il s’est construit contre ce diagnostic, en tenant debout et marchant durant ses jeunes années. L’âge l’oblige désormais à privilégier l’usage du fauteuil roulant. Autre rencontre déterminante : un professeur de mathématiques en classe de seconde qui lui proposa de passer le concours d’entrée à l’Ecole Nationale de Chimie, Physique et Biologie de Paris. Il y effectua une remise à niveau, puis prépara un bac G2 au lycée de Pantin, obtenu en 1987. Une période animée, marquée par des grèves contre la réforme Devaquet dont Philippe Lebeau fut le leader dans son lycée. Il s’est ensuite engagé dans une licence en Sciences de l’éducation : « J’ai essuyé les plâtres pour ma scolarité. La ville a été confrontée au problème du transport, et a dû se pencher sur le financement. J’ai même occupé le bureau du maire communiste, parce que le dossier taxi traînait depuis six mois ! ». Dans son combat permanent pour l’autonomie, il s’est fixé des défis qu’il qualifie, avec le recul, de « bizarres », comme tarder à changer de logement alors que celui-ci était devenu inadapté.

Sa courte militance communiste lui a appris la distribution de tracts, le contact direct, mais il avoue n’avoir guère effectué cet autre « pilier » de l’action qu’est le porte-à-porte : « Partout où je suis passé, il a fallu que je fasse ma place, pour gagner une crédibilité, parce que certains se demandaient ce que je pourrais faire. N’importe quel maire prendrait une personne handicapée sur sa liste, mais après il faut faire sa place. Durant mon premier mandat, j’ai été adjoint à la santé. Les médecins se sont interrogés, j’ai dû mettre chacun à sa place. C’est un peu dur mais, huit ans après, je passe auprès des services municipaux pour quelqu’un d’un caractère bien trempé sur lequel on peut compter dans la prise de décision ». Il rappelle d’ailleurs avoir porté la création de la charte Ville et Handicap.

Toutefois, il reste lucide sur l’impact important de l’image renvoyée par les séquelles de son infirmité motrice cérébrale, relevant pudiquement « qu’il peut rester des incompréhensions ». Un combat qu’il a également mené dans l’action associative, au sein de SOS Racisme et de Aides : « Il faut lutter en permanence pour le droit à la différence et contre toutes les formes de discrimination. Avec Aides, j’ai abordé les modes de vie en tous genres, conduit le combat pour la tri-thérapie pour tous les malades, la reconnaissance de la personne touchée par le Sida ». Il déplore que, pour lui, la loi de février 2005 n’ait pas changé grand-chose : l’allocation adulte handicapé n’est pas cumulable avec l’indemnité d’élu, et il a dû renoncer à la moitié de cette dernière pour conserver ses droits d’allocataire et son logement social.

À Pantin, il a pu compter sur le soutien du maire, qui lui a fourni les moyens de compensation de son handicap : « Je dispose d’un assistant pour m’aider à la prise de notes et pour d’autres tâches, d’un abonnement taxi, d’un ordinateur depuis 2001. La municipalité a eu la volonté, très tôt, de mettre des moyens à ma disposition ». Et depuis l’élection municipale de 2008, il gère une plus vaste délégation, consacrée au développement durable, aux transports et à l’environnement : Philippe Lebeau est fier de dire que sa ville sera la seule à recevoir une station du tramway parisien T3, qui suit les boulevards des Maréchaux.

Il ne s’est pas encore posé la question d’affronter directement les électeurs dans un scrutin uninominal, lors d’élections cantonales par exemple, il ne se sent pas encore prêt. Pourtant, huit ans plus tard, il est toujours fier du résultat inespéré obtenu par les Verts lors de sa première élection au conseil municipal. Il se rappelle qu’il le doit en grande partie au maintien de la liste de son ancien parti, le PCF, un peu comme une revanche…

Laurent Lejard, décembre 2009.

Partagez !