Au fil des ans, les pavés bombés et disjoints de Luzarches (Val d’Oise) commencent à n’être qu’un mauvais souvenir. Posés par la précédente municipalité dans le cadre d’une rénovation de la voirie du centre ancien, ils ont contribué au changement d’équipe municipale, la nouvelle ayant entrepris d’araser ces pavés par ponçage mécanique. Les sections traitées sont désormais lisses, aisément circulables par les piétons.
Ce succès est dû en bonne part à Thierry Caboche, jeune sexagénaire paraplégique arrivé en 2018 et élu au conseil municipal deux ans plus tard : « Les pavés ont été changés avant 2020 par la précédente municipalité qui a refait toute la voirie du centre-bourg en posant des pavés bombés. J’avais interpellé le maire pour lui demander pourquoi, alors qu’au moins une quinzaine de personnes en fauteuil roulant vivent ici. Il m’a répondu : Monsieur Caboche, Luzarches n’est pas faite pour les gens en fauteuil roulant ! Il s’est trouvé bête, ajoutant : c’est pas ce que j’ai voulu dire. » Cela lui a coûté la mairie, alors qu’il était certain d’être réélu. « Vous ne passerez pas, je lui ai dit, parce que vous avez fait des bêtises sur la ville, les gens sont mécontents. »
Une nouvelle équipe municipale menée par Michel Mansoux (Divers Droite) a été élue dès le premier tour, en mars 2020, en pleine crise du Covid. « Le candidat visant la mairie est venu me voir. Il avait envie que je me présente avec eux, j’ai dit oui tout de suite. Je venais d’arriver, je ne connaissais personne. Et c’est bien, parce que j’ai pu faire des choses sympas, avec des bons résultats. On a quand même poncé les pavés partout ! Ça a coûté à la ville, mais les gens sont contents. » Sur les pavés bombés, les femmes brisaient leurs talons de chaussures, les enfants étaient bringuebalés dans leurs poussettes, et tous les piétons étaient soumis au risque de chute et de blessures. « Des habitants ont envoyé des courriers de remerciements : grâce à vous on tombe plus sur les trottoirs. Ca fait plaisir de lire et entendre ça, je ne me suis pas battu que pour nous, en fauteuil, je me suis battu pour tout le monde. »
« Le ponçage des pavés coûte 25.000 euros par an, avec mes indemnités, s’en amuse le maire, Michel Mansoux qui ne perçoit pas ces indemnités auxquelles il a pourtant droit. C’est l’équivalent qui fait le ponçage. » 300m linéaires ont été arasés depuis cinq ans, pour un total de 125.000 euros, et il en reste au moins trois fois autant à traiter. « On se fiche éperdument des personnes âgées, des mamans avec une poussette, de toutes les personnes à mobilité réduite, dénonce Michel Mansoux. C’est tellement caractéristique, exacerbé. Devant la pharmacie, c’était impraticable, on a commencé par les pires endroits. » Il estime que les pavés sont l’un des éléments « non négligeables » qui ont contribué à l’éviction du précédent maire : « Jusqu’au bout, il s’est moqué de nous en disant que ça n’avait aucune importance, il a nié jusqu’à l’avant-veille de l’élection. Dans un tract diffusé le vendredi, il nous accusait de faire une campagne au ras des pavés ! Il ne s’est pas rendu compte que ça a blessé les gens, même ceux qui sont valides. » Les femmes en étaient réduites à porter des chaussures plates en ville. « Surtout qu’avant, ajoute-t-il, sous les précédentes municipalités, tous les joints avaient été beurrés, ça avait coûté très cher, il y a 25-30 ans. Ça allait, mais mon prédécesseur a tout fait sauter, avec une partie de pavés sans joints et la pose de pavés neufs. C’était une obsession. L’argument c’était : Il y en a à Senlis, il peut y en avoir ici. » Le précédent maire le justifie clairement dans cet article du magazine de l’association des Architectes des Bâtiments de France : « L’irrégularité des pavés de réemploi a été réussie esthétiquement. Le paradoxe réside dans le cachet indéniable qu’il donne à la ville et l’inconfort qu’il créé parfois par son irrégularité. Même s’ils trouvent le coeur de ville très beau, cela peut être un sujet de mécontentement pour certains habitants. »
Bourg du Val d’Oise peuplé de 5.000 habitants, Luzarches a conservé un centre ancien patrimonial. Si les bâtiments communaux sont accessibles, les rues en faux-plats et pentes ont entraîné l’inaccessibilité de la plupart des commerces desservis par au moins une marche, sans réelle possibilité de compenser par des rampes amovibles puisque les trottoirs ne sont pas assez larges. Autre point noir, le logement, même si Thierry Caboche habite dans une résidence adaptée comptant une dizaine d’occupants handicapés. Mais son appartement est à l’étage, et il est lassé de subir les conséquences de pannes récurrentes d’ascenseur. Il souhaite s’installer dans un 3 pièces en rez-de-chaussée avec sa mère octogénaire, également handicapée. On lui a fait visiter plusieurs appartements inadaptés (accès impossible aux toilettes ou salle de bains) puis on lui a dit « vous refusez tout ce qu’on vous propose ! » Alors que sur son dossier il est bien inscrit « paraplégique, vit en fauteuil roulant, ne marche pas du tout. » Dans le même temps, il a vu le fils et des amis d’une élue bénéficier de logements par favoritisme, conduisant le maire à blâmer cette conseillère municipale à la limite de la Correctionnelle…
Malgré cette situation, Thierry Caboche est heureux ici : « Il y a de belles ballades à faire, on est entouré de forêts. Ici les gens sont conviviaux, franchement ils sont sympas. Ça me change, la fréquentation de la Seine-Saint-Denis [où il a vécu précédemment] et ici, ça n’a rien à voir, dans ce département les gens sont tellement débordés par le boulot et la vie qu’on a ! Alors qu’ici les gens sortent plus le week-end, en forêt, à Ecouen, Chantilly, les carrières. A Luzarches, se déplacer c’est galère, sinon question mairie ça va très bien, je m’entends avec les élus, le maire et les gens de la ville. J’aime beaucoup Luzarches, c’est un peu la ville à la campagne. »
Laurent Lejard, juin 2025.