Question : Vous venez de Rennes, vous travaillez ensemble depuis combien de temps ?

Samuel Genin: Ce projet-là, Albaricate, cela fait tout juste un an qu’il existe. On a commencé le 2 juillet 2014 et parmi nos travaux respectifs, il a pris pas mal d’ampleur.

Question : Vous vous êtes rencontrés par la chanson, la langue des signes ?

Samuel Genin : On s’est rencontrés pendant le service civique, dans le domaine artistique. J’avais écrit plein de chansons, Clémence avait une expérience de chansigne, chanson où il y a du son, chansigne où il y a les signes, on a mélangé cela, ça a bien marché, on a démarré Albaricate. Depuis, on a fait une quinzaine de concerts à Rennes et ses alentours, dans beaucoup de bars.

Question : Le chansigne dans les bars, ça semble totalement inattendu, voire impossible, comment ça se passe ?

Clémence Colin : Justement, ce qui est bien quand il y a un concert dans un bar juste à la voix, beaucoup d’entendants prennent leur verre, discutent, écoutent un petit peu…

Samuel Genin: Avec cette obligation d’avoir à la fois les oreilles et les yeux attentifs à ce qui se passe, on a très souvent dans les bars une écoute du spectacle avec des gens beaucoup plus attentifs que si c’était un concert vocal.

Question : Mais il faut convaincre le patron ou le responsable artistique ?

Samuel Genin : A Rennes, ça se passe bien.

Clémence Colin : Il y a une culture des concerts, alors même en langue des signes, on vient.

Samuel Genin : Nous, on arrive avec notre base de public, on est presque sûr à Rennes de remplir une salle, les patrons de bar ou de restaurants sont souvent assez partants.

Clémence Colin :
 La communauté sourde de Rennes est importante, et il y a une base de public d’entendants ou Sourds intéressés par le visuel. Il existe aussi des associations de théâtre amateur en langue des signes. Ma compagnie est professionnelle, 10 doigts compagnie, on réalise des spectacles ou des adaptations pour les petits ou pour les grands, des contes. Je travaille pour Les Champs Libres, pour de la sensibilisation culturelle, créer des vidéos en langue des signes pour les festivals rennais. J’ai également commencé à faire des vidéos d’accessibilité pour le Théâtre National de Bretagne. Je me produis également dans un spectacle en tournée, L’empereur c’est moi, avec une compagnie de Normandie.

Question : Samuel, vous êtes auteur-compositeur interprète. Vous reprenez quand même une chanson très connue d’Édith Piaf, « l’homme à la moto », dans une adaptation extrêmement vivante : c’était un gros risque ?

Samuel Genin : On ne l’a pas vraiment pensé comme tel. Elle faisait partie des chansons qui étaient déjà traduites par un ami sourd de Rennes, Benjamin, avant que le projet Albaricate ne commence. Quand on a essayé de monter notre premier spectacle, on s’est dit « celle-là on l’aime bien ! » : Benjamin est venu la chansigner sur scène. Je pense qu’on la chante suffisamment pour que le fantôme de Piaf ne soit pas trop pesant !

Question : Comment travaillez-vous l’adaptation en chansigne, puisqu’il ne s’agit pas d’une simple traduction en langue des signes ?

Samuel Genin : J’écris les textes et la musique, que je jette en pâture à Clémence, qui me dit « celle-là je l’aime bien, on la garde, celle-là je la sens pas, on la fera pas, celle-là je l’aime bien, mais c’est impossible à traduire », c’est une sélection qui se fait.

Clémence Colin : Avec le texte, je fais une pré-traduction, puis il la chante devant moi et je regarde si ma traduction colle, si j’ai plus de temps ou si c’est trop court. Ensuite, on la chante ensemble pour voir comment on la joue. Le chansigne, ce n’est pas que des signes du quotidien, comme quand on est entendant on n’a pas la même voix tous les jours, il y a des intonations, des rimes, du rythme, tout un contexte de la poésie et de la chanson. Dans le chansigne c’est pareil, dans tout le corps on doit trouver le rythme, il doit y avoir (c’est ma conception du chansigne) beaucoup d’images, c’est comme un clip musical, on met en images de la musique en gardant le sens du texte.


Propos recueillis par Laurent Lejard à l’occasion du Festival Off d’Avignon 2015.

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