Le
Comité Consultatif National d'Éthique (C.C.N.E)
s'est exprimé le 6 décembre 2007 sur un sujet
sensible : le dépistage, dès les premiers jours
de la vie, de la surdité chez l'enfant, dans
un "contexte d'incertitude concernant l'orientation
des politiques de santé publique". Le C.C.N.E
estime que la surdité "ne saurait être
appréhendée comme un handicap sensoriel parmi
d'autres", qu'elle est socialement perçue comme
"synonyme d'échec, de conflit insurmontable
et de non communication". Il s'inquiète d'une
médicalisation excessive de la surdité, traitée
comme une déficience pouvant être corrigée par
divers appareillages destinés à la réintégration
des sourds sévères parmi les entendants en misant
"uniquement sur les pouvoirs de la technologie
ou de la chirurgie réparatrice". Dans cette
approche "technico-médicale", il n'y a pas de
place pour la langue des signes et l'intégration
sociale de l'individu sourd dans le respect
de ce qu'il est, de son intégrité. Or, les technologies
actuelles demeurent imparfaites, souligne le
C.C.N.E, et ne peuvent seules répondre au souci
d'intégration sociale. Le C.C.N.E établit une
distinction selon que le dépistage est appliqué
aux enfants de parents entendants ou sourds
: s'il considère légitime pour les premiers
de rechercher le plus tôt possible des solutions
palliatives et éducatives, il s'inquiète pour
les seconds du risque de "dévalorisation implicite
de la condition de l'enfant ("malade", "handicapé",
etc.) et, par voie de conséquence, de ses parents
[...] C'est pourquoi la première attitude éthique
est de prendre au sérieux les témoignages des
personnes sourdes lorsqu'elles prétendent avoir
une qualité de vie sociale et intellectuelle
comparable en bien des points à celle des autres
membres de la société".
Le C.C.N.E recommande, pour les nouveau-nés
de parents entendants, un dépistage néonatal
"considéré comme un repérage préliminaire bénéfique
à la qualité d'une guidance parentale par un
orthophoniste et d'un soutien psychologique
dans les semaines qui suivent la naissance [...]
l'examen audiophonologique sera répété dans
les 48 heures, au bout de 15 jours, et au plus
tard 2 ou 3 mois après la naissance avec, dans
cette dernière éventualité, un risque de faux
positif pratiquement nul". Pour les nouveau-nés
de parents sourds, il considère que c'est "l'intérêt
de l'enfant qui doit servir de fil conducteur
à la réflexion sur l'opportunité d'un dépistage
universel de la surdité permanente à début néonatal".
Dans tous les cas, "La décision d'appareiller
ou non les enfants sourds doit, en définitive,
revenir aux parents auxquels il appartient de
choisir le traitement qu'ils estiment le plus
approprié au cas de leur enfant [reposant] sur
le principe du consentement informé". Dans ses
conclusions, le C.C.N.E relève que "l'intérêt
du dépistage et de ses conséquences n'a de sens
que si des mesures efficaces de suivi sont prises
pour les accompagner" et que "en l'état actuel
des choses, un dépistage de masse le premier
jour de la surdité néonatale, anonyme et dépersonnalisé,
présenterait probablement plus d'inconvénients
que d'avantages [...] En résumé, le Comité estime
que les conditions éthiques d'une généralisation
du dépistage néonatal de la surdité ne sont
actuellement pas réunies".
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Ce
dépistage est estimé prématuré et inopportun
par le Réseau d'Actions Médico-psychologiques
et Sociales pour Enfants Sourds (Ramses)
à l'origine de l'avis du Comité d'éthique
: "Chez le jeune enfant, on a pu observer,
après l'annonce de sa surdité aux parents,
une rupture de la communication responsable
de réactions dépressives, voire autistiques,
parfois durables". Le Ramses ajoute que
"le test de dépistage, insuffisamment
fiable, inquiète à tort de nombreuses
familles puisque le diagnostic positif
de surdité n'est confirmé, trois à quatre
semaines après, que dans un cas sur dix".
Il estime que c'est plutôt vers l'âge
de 3 à 4 mois qu'un tel dépistage est
mieux indiqué, accompagné d'un suivi psychologique
des parents.
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Au
Ministère de la santé, on se retranche derrière
des organismes officiels : "La réflexion menée
actuellement par le ministère et ses partenaires
sur le dépistage néonatal se fonde sur les éléments
objectifs (résultats de l'évaluation externe
du programme CNAMTS), les connaissances scientifiques
(recommandations CNAMTS, travaux de l'INSERM,
résultats des PHRC) et le respect des principes
d'information, de choix des parents, de la qualité
de la prise en charge du soutien psychologique
des familles, et bien sûr le respect de l'éthique.
A cet égard, l'avis émis par le C.C.N.E sera
attentivement pris en compte lors de cette réflexion".
Toutefois, le Ministère de la santé n'entend
pas suspendre l'actuel dépistage. Quant aux
suites qu'il entend donner au présent avis du
C.C.N.E, celui-ci semble répondre par avance
en rappelant que les recommandations de son
Avis N°44 "l'aide auditive et l'apprentissage
du langage des signes sont complémentaires et
méritent d'être combinés" n'ont pas été suivies
d'effets "alors que les résultats scolaires
et universitaires des sourds dans les pays scandinaves
plaident en faveur du bilinguisme".
Jacques Vernes, janvier 2008.
L'avis du C.C.N.E est disponible en téléchargement
au
format Pdf.
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