C’est l’époque où la langue des signes commençait à intriguer le grand public, où des sourds étaient pour la première fois mis en scène dans des pièces de théâtre, où des américains sourds venaient en France rapporter les récoltes de ce qu’avaient semé plus d’un siècle plus tôt des sourds français, où le débat entre « pour » ou « contre » les signes ressurgissait après cent ans de silence, où les interprètes faisaient leur apparition, où sociologues et ethnologues s’engouffraient dans l’espace social de liberté ouvert par mai 68 pour s’intéresser à la culture sourde…

Au coeur de cette effervescence, l’International visual theater – IVT – en cette année 80, emblématique pour la communauté sourde à travers les siècles (1780, l’Abbé de l’Epée, l’enseignement de la LSF, 1880, le congrès de Milan, la victoire des anti- signes), 1980, la renaissance de la communauté, de la langue et de la culture sourdes laissant espérer l’avènement d’un nouvel âge d’or. La jeune troupe consacrera d’ailleurs sa troisième pièce à cette parabole, symboliquement intitulée 1×80.

Vingt ans plus tard, l’âge d’or annoncé n’a pas eu lieu. Mais de nombreuses initiatives, des dizaines d’associations nationales, des progrès indéniables touchant à la culture, à l’éducation, à l’enseignement, à la santé ont pu voir le jour grâce à cette renaissance. Quant à l’IVT, cette association loi 1901 a poursuivi sa route pour devenir vingt ans après une véritable petite entreprise. En parallèle de ses activités artistiques, en particulier de théâtre et de poésie, elle a créé un petit IVT pour les enfants sourds, dont les premières classes ont formé des comédiens aujourd’hui talentueux et reconnus, tels que Emmanuelle Laborit, Claire Garguier, Laurent Vallo. Elle a ensuite répondu à l’appel du grand public désireux de s’initier à la LSF et comblé le vide en la matière en proposant des formations. Elle s’est enfin imposée comme l’un des principaux éditeurs d’ouvrages d’apprentissage de la langue des signes avec son incontournable Dictionnaire bilingue élémentaire en trois volumes, ou plus récemment avec sa participation en expertise sur des cédéroms réalisés par l’Anpeda (Association nationale des parents d’enfants déficients auditifs) ou encore par Thomson-CSF.

Création des Amis de l’IVT. Aujourd’hui, l’IVT semble être à un tournant de sa vie. D’ailleurs, le fait que ses responsables ait choisi ce début d’année 2001 pour organiser une conférence sur l’histoire de l’association n’est pas une façon de faire un point sur le passé mais de mieux repartir de l’avant. Tandis que Chantal Liennel et Victor Abbou, les deux comédiens pionniers sourds qui ont animé cette conférence, ont annoncé la création d’une association des Amis de l’IVT dans le but de réactiver son côté socioculturel, Jean- François de la Bouverie, le nouveau directeur arrivé en 1992 avec l’ambition de faire de l’IVT un véritable centre théâtral international et universitaire, met actuellement un terme à deux principaux chantiers.

Les Signes de Mano. Le premier chantier concerne la sortie d’un cédérom, intitulé Les Signes de Mano. Ce dictionnaire de LSF pour enfants devrait révolutionner le genre en proposant un outil pédagogique d’une grande expertise technique et à la navigation très ludique: 80 décors, 3.000 animations, 450 définitions de mots (ou de signes) pour la première fois elles- mêmes en langue des signes, s’inscrivent dans un environnement graphique en deux dimensions riche et coloré. Cet ambitieux projet, au budget de 3 millions de francs, a reçu le soutien de nombreux partenaires: ministère de l’Éducation nationale, ministère de l’Emploi et de la Solidarité, Conseil régional d’Ile de France, Agefiph, IBM, CNC, Cité des Sciences et de l’Industrie. Ce produit pourrait connaître une distribution et une commercialisation à l’échelle européenne voire mondiale tandis qu’une importation sur Internet est d’ores et déjà envisagée.

Fin 2002 au Grand Guignol. Second principal chantier actuel de l’IVT: le déménagement et le regroupement de ses différents locaux (aujourd’hui éparpillés entre la tour du village du château de Vincennes, la Bastille et Chaillot) en un seul et même lieu: le théâtre parisien du Grand Guignol, rue Chaptal. Le ministère de la Culture, la Région et la ville de Paris apportent leur aide à ce déménagement. L’IVT est actuellement en période de rédaction de bail. La mise à disposition définitive devrait intervenir entre juin et septembre 2001. Si tout se passe comme la direction l’a prévu, les travaux de rénovation, d’un montant de 6 millions de francs, devraient commencer entre septembre 2001 et début 2002 pour une ouverture en septembre de la même année. L’IVT pourra alors nourrir sa plus vieille ambition: être le grand centre socioculturel des sourds à dimension internationale.

Emmanuel Benaben, mars 2001

Nota : L’IVT dispose d’un site Internet, www.ivtcscs.org.

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