La Cigale, l’une de ces salles de spectacles parisiennes qui sont une étape dans le parcours de consécration d’un artiste, est comble : Fabien Marceau entre dans le noir, les projecteurs dessinent un halo autour de sa silhouette. La voix grave, au timbre profond, remplit le vaste théâtre. Tout de suite, il parle avec un débit rapide, une diction parfaite, raconte sa vie, sa ville, son quotidien, les médecins qui ont dit à ses parents qu’il ne remarcherait pas, il slame son handicap. Ce « Grand Corps Malade » est au centre de la scène avec, à la main, une amie qu’il aime : sa béquille, qu’il célèbre, revendique comme une part de lui-même. Il affiche sans honte ni souffrance sa jambe rafistolée après un accident, ne masque pas la cicatrice de trachéotomie qui marque son long cou, revendique son vécu, rappelle que lui aussi connaît bien la Cotorep : « Ce que je fais touche les personnes handicapées, confesse-t-il, ça fait plaisir ». Que ce soit à La Cigale ou à la Fnac, lors d’un récent show-case, fauteuils et béquilleux sont là, alors qu’ils sont rares pour d’autres artistes. Grand Corps Malade serait-il devenu, en quelques semaines, un emblème, une marque de reconnaissance, une affirmation de soi, une fierté ?

Fabien Marceau, 28 ans, est né à Saint-Denis, aux portes de Paris, deux villes qu’il chante : Saint-Denis et sa diversité, dans laquelle il nous montre la richesse des cultures des habitants qui la composent, Paris et ses petits matins calmes, ceux qui font le charme d’une ville trop urbaine durant la journée. Il a appris le slam, son cadre, ses règles, en participant à une soirée dans un bar de quartier, à Saint-Denis. Le slam a été inventé aux U.S.A il y a une vingtaine d’années, et n’avait pas dépassé en France un cercle restreint d’amateurs : c’est un parlé-chanté a cappela de textes poétiques, ancré dans le quotidien ou dans une démarche esthétique, la priorité étant donnée au texte, qui est dit sans musique, en trois minutes environ. « Mais pour moi, précise Fabien Marceau; la règle ne compte pas, ce qui compte c’est le texte ». Alors, au grand dam des puristes, il fait intervenir des musiciens : quatuor à cordes, flûtiste, met de la musique sur ses textes vifs. Et convie des amis slameurs sur les scènes où il se produit, dans une confrontation de textes, d’images et de virtuosité vocale.

Fabien Marceau voulait être professeur de sport, l’accident l’en a empêché : « J’ai pas galéré au pied de mon immeuble », dit-il en s’amusant de ce qui s’écrit déjà dans certains journaux, sa supposée jeunesse difficile dans un sinistre quartier de banlieue. « Le slam est une super bonne école pour faire de la scène, La Cigale était mon premier spectacle, avant je n’avais fait que des premières parties. La proximité avec le public permet d’interagir, de faire une pause quand le public rit ». Fabien Marceau s’est formé dans les bars, lors de scènes ouvertes où chacun peut intervenir et raconter, se raconter, dans une poésie éloignée de la violence du rap et de sa gestuelle agressive. « Je suis pas un violent dans mes textes, je ne me censure pas ».

Grand Corps Malade sera en tournée française, avec une grande étape aux Francofolies de La Rochelle le 16 juillet, avant d’attaquer une série de spectacles au Bataclan, autre grande scène parisienne, à partir du 3 octobre. Fabien Marceau continue d’animer des scènes slam à Saint-Denis, chaque vendredi soir, et des ateliers d’écriture auprès des jeunes dans les lycées. Pour les encourager à écrire, leur donner envie, et montrer une autre manière d’aborder la poésie à l’école. Le public de Grand Corps Malade comporte quasiment toutes les générations et les origines. A la différence du rap, le slam est ouvert à tous; alors, poussez la porte et laissez-vous porter…

Laurent Lejard, juin 2006.


Le premier C.D de Grand Corps Malade (16 titres) est publié chez Midi20. Disponible chez tous les disquaires. Quelques extraits sont disponibles sur le site Internet de Grand Corps Malade.

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