Imaginez un homme de 47 ans, marié, père de deux enfants, qui ne mesurerait qu’un bon mètre s’il pouvait tenir debout. C’est Marcel Nuss, le sourire toujours près des lèvres, un zeste d’ironie et d’humour au détour des mots.

L’amyotrophie spinale l’a contraint à interrompre sa scolarité dès l’âge de 15 ans, la maladie ayant rapidement évolué vers une paralysie quasi-totale. Il a rencontré la femme qui allait devenir son épouse alors qu’il était hospitalisé en long séjour. Il avait 19 ans, elle était infirmière dans l’établissement, il quitte l’hôpital avec elle, contre l’avis des médecins. Depuis, ils vivent ensemble.

Marcel Nuss est révolté par la condition faite dans notre pays au conjoint d’une personne handicapée dépendante, chargé par la société d’assurer une garde jour et nuit, sans autre salaire que la minuscule Allocation compensatrice (ACTP, qui est d’ailleurs le plus souvent consacrée à payer du matériel ou à faire « bouillir la marmite »), sans repos, sans droit à la retraite. « Il n’est pas logique que les conjoints fassent faire autant d’économies à la Sécurité Sociale et à la solidarité nationale et soient aussi peu reconnus » affirme Marcel Nuss, qui s’il vivait en centre de long séjour coûterait au minimum 300 euros par jour au système de protection sociale et à la solidarité nationale.

C’est son épouse qui entame la bataille, en 1988, et elle obtient le droit de percevoir un salaire correspondant à un mi- temps d’aide- soignante cumulable avec l’ACTP perçue par son mari. Elle a abandonné son travail d’infirmière pour se consacrer à son époux. Dix ans plus tard, elle reprend le combat pour améliorer son statut et revendique un salaire d’infirmière à plein- temps. Durant deux années, les discussions avec les ministères et l’administration se succèdent et c’est Marcel Nuss qui continue la lutte en 2000. Il rencontre en juin 2001 Ségolène Royal, ministre déléguée aux personnes handicapées, qui lui promet que son épouse bénéficiera d’un plein- temps d’infirmière. Six mois plus tard, alors que rien n’est encore en place, le couple Nuss annonce son divorce : parce que la santé de son épouse est chancelante, Marcel veut la préserver et ne plus lui imposer la charge continuelle de la tierce- personne. Il revendique alors une enveloppe financière lui permettant de rémunérer du personnel d’aide à domicile jour et nuit, toute l’année.

Rien n’avance, le ministère propose seulement un mi-temps d’aide-soignant. Cette offre « royale » est reçue contre une provocation : Marcel Nuss annonce qu’il va entrer en grève de la faim et avant même de l’entamer, le 14 janvier 2002, le ministère l’appelle pour lui accorder une enveloppe de 50.000 euros par an. Comment, sur quel dispositif légal, sur quel budget, aucune réponse des conseillers de la ministre ni de l’administration. On innove dans la plus grande confusion au sein des cabinets de Ségolène Royal et d’Élisabeth Guigou et l’administration n’arrive pas à suivre. Le ministère des Finances n’a pas débloqué le budget promis à Marcel Nuss et c’est logique : on ne voit jamais l’un de ses représentants lors des discussions avec les associations ou les personnes, et des décisions traînent en longueur ou sont ensuite remises en cause au nom du respect des règles comptables ou de l’absence de ligne budgétaire.

Alors Marcel Nuss et d’autres handicapés moteur dépendants annoncent qu’ils entreront en grève de la faim devant le ministère délégué aux personnes handicapées le 11 mars 2002 : cette grève débutera avec un déjeuner offert à tous au ministère ! Les conseillers de Ségolène Royal et d’Élisabeth Guigou présentent un plan d’urgence au suivi duquel sont associées des personnes handicapées aux cotés des associations (lire notre Top du 15 mars 2002). Cinq semaines après, les échéances n’ont pas été tenues, les ministres et leurs équipes étant très occupés par la campagne électorale pour les Présidentielles. La commission de suivi devait être constituée fin mars et se réunir dans la foulée, elle n’est toujours pas créée. Aucune situation individuelle n’est actuellement traitée, la grogne monte dans un contexte défavorable, la France va voter et le sort des personnes handicapées n’est pas un enjeu national.

Même si en quelques semaines Marcel Nuss a créé la panique dans les ministères de tutelle des personnes handicapées en bouleversant l’ordre établi qui veut que les personnes handicapées soient représentées par des associations qui parlent en leur nom, sa situation est loin d’être réglée. Les acrobaties continuent : on lui propose d’être le porte- parole des handicapés dépendants mais il lui faut des moyens financiers et humains pour cela. Alors pour obtenir le véhicule dont il a besoin et que l’Agefiph refuse pour l’instant de financer, Marcel Nuss a été embauché pour une mission de trois mois par la mairie de sa résidence, Ernstein (Bas- Rhin). Il pourrait également bénéficier d’un contrat de travail financé par un collectif d’associations.

Le combat de Marcel Nuss n’est pas terminé, il a dans sa ligne de mire l’Agefiph, critiquée pour sa bureaucratie, son opacité et l’inadéquation de son fonctionnement en rapport aux besoins des personnes handicapées. « La base a les coudées plus franches que des associations qui n’ont jamais osé faire de coup de force » estime-t-il. Ça promet…

Laurent Lejard, avril 2002.

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