« L’Association Valentin Haüy (AVH) crée une fondation à 100 millions d’euros ». Ce communiqué de presse a claqué comme un coup de tonnerre dans le milieu associatif de la déficience visuelle. Le « dinosaure », comme est parfois nommée cette association créée il y a 125 ans, passe brutalement à l’ère de la finance internationale en transférant à une fondation abritante reconnue d’utilité publique 60 millions d’euros de valeurs mobilières et 20 autres millions d’immeubles de rapport actuellement loués. Ces 80 millions (et non 100 comme annoncé) sont confiés à une équipe de financiers chargés de les faire fructifier avec l’objectif d’obtenir un rendement de 5% avec un minimum de 3%. Ces intérêts serviront à financer les actions de l’AVH et à soutenir des actions externes, des programmes de recherches notamment. L’équipe dirigeante de la fondation est majoritairement composée de financiers extérieurs à l’AVH, même si son trésorier est également celui de la fondation. Abritante, cette dernière va recevoir les actifs d’autres fondations, dont celle de l’Apam (Association pour les personnes Aveugles ou Malvoyantes).

Cette fondation est conçue comme un instrument attrayant de réception de dons, legs et mécénats dans le secteur de la déficience visuelle : les dons bénéficient d’une importante déduction fiscale, autant sur le revenu qu’au titre de l’impôt sur la fortune. Et les règles de gestion sont plus souples que pour une association : « Le patrimoine de l’association ne produit pas assez en forme associative, avoue Christophe Larroque, directeur du Développement. Placé dans la fondation, il devrait rapporter jusqu’à 5% de rendement. » Un montage réalisé pour ne pas vendre progressivement le patrimoine de l’AVH afin d’assurer son fonctionnement : « Les legs risquent de s’épuiser, explique le président de l’association, Gérard Colliot. L’AVH s’est constitué un patrimoine important au fil de ses années d’existence. Mais compte-tenu de la croissance que l’on veut de nos activités, le patrimoine pourrait s’épuiser. La fondation sécurise ce patrimoine et les ressources de l’association. »

Mais la création de la fondation AVH est ressentie comme une machine de guerre dirigée contre les autres associations de personnes déficientes visuelles, d’autant plus qu’elle intervient quelques semaines après sa démission de la Confédération Française pour la Promotion Sociale des Aveugles et Amblyopes (CFPSAA). Officiellement, pour des raisons de gouvernance et de gros sous (« L’AVH vache à lait, on est sorti sur cette base-là! » clame le président Colliot), mais également du fait de jalousies, aigreurs et manipulations en sous-main.

Une situation qui inquiète le président de la Confédération et ancien cadre de l’AVH, Philippe Chazal: « Le risque principal est le morcellement des associations qui parleraient en ordre dispersé aux pouvoirs publics pour défendre les acquis des personnes déficientes visuelles. » Sur le plan moral, Philippe Chazal qualifie de scandaleuse l’accumulation de dons pour faire vivre l’AVH: « Les autres structures utilisent les dons pour agir! », conclut-il.

La Fédération des Aveugles de France (FAF) partage cet avis: « Sur un plan déontologique, il nous semble que l’argent de nos donateurs doit aller à des actions concrètes », commente son président Vincent Michel, qui estime qu’il s’agit là d’une volonté hégémonique des dirigeants de l’AVH.

Le lancement par l’AVH de « sa » bibliothèque numérique vient conforter ce sentiment. Alors que plusieurs associations s’étaient regroupées pour créer, en février 2013, la Bibliothèque Numérique Francophone Accessible (BNFA), l’AVH tout en participant à la réflexion et à l’élaboration du projet s’en est finalement dégagée, et vient de lancer sa propre bibliothèque numérique, Eole : même public concerné, mode d’emploi similaire, mais beaucoup moins de titres disponibles (5.000 contre 15.000 au lancement de la BNFA).

Alors qu’elle n’était qu’une association proposant des services adaptés, l’AVH est également entrée dans le champ revendicatif, un terrain où on ne l’avait jamais trouvée avant l’élection présidentielle de 2012, où elle a lancé une pétition en faveur de l’accessibilité. Depuis, elle multiplie les actions de communication, ayant pour cela dégagé un important budget de 900.000€, chiffre que son président refuse de confirmer : « On fait un gros effort de communication pour l’autonomie des personnes déficientes visuelles, précise-t-il. Les pétitions Audiovision et Accessibilité ont eu beaucoup de succès. »

Avec de gros moyens financiers et un fonctionnement peu démocratique (les nouveaux adhérents sont cooptés par les anciens), l’Association Valentin Haûy semble s’être lancée dans l’occupation tous azimuts du secteur de la déficience visuelle. Reste à espérer que ce soit dans le respect de sa devise, « Au service des aveugles et des malvoyants »…

Laurent Lejard, juin 2013.

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