Un cabaret : sur la scène plongée dans la pénombre un électricien s’active maladroitement sur un escabeau alors qu’entre un travesti extraverti… Surgit ensuite une jeune commerciale « en propreté des sanitaires » et tous se retrouvent dans l’obscurité : l’électricien a fait sauter les plombs. Entre alors une jeune danseuse aveugle. Les trois femmes vont confronter leurs peurs, leurs phobies, leurs frustrations, leurs espérances, pour éprouver cette expérience du noir presque complet également vécue par les spectateurs. Tel est l’argument de la pièce Des lampions de papier, écrite par Cécile Reyboz et représentée en ce moment au théâtre parisien Les Déchargeurs.

« Héloïse Esther, fondatrice de la compagnie et qui joue Viviane dans la pièce dont elle assure également la mise en scène, explique l’auteure Cécile Reyboz, m’avait demandé de réfléchir à un spectacle concernant l’obscurité, et qui puisse accueillir des aveugles et des malvoyants, en travaillant sur cet univers-là. L’idée était que l’on allait se promener tous ensemble dans l’obscurité, ceux qui ont des repères, ceux qui n’en n’ont pas. Et moi qui vois, comment vais-je imaginer de me déplacer à tâtons, de comprendre sans parler à la place de ceux qui ne voient pas ? Cette obscurité est un catalyseur pour que chacun lâche quelque chose : les angoisses de Vivianne face à son boulot alors qu’une petite voix lui suggère de chercher autre chose, la quête identitaire de Confetti que je n’ai pas voulu catégoriser transsexuel ou travesti, chacun se retrouve à porter une croix du même poids, même l’électricien qui n’est autre que le patron pathétique du cabaret un peu minable qui vit dans l’espoir de recevoir enfin l’épouse qu’il s’efforce d’acheter sur Internet ! Ce sont des personnages réels qui ont l’occasion, dans cette parenthèse, de donner ce qu’ils veulent d’eux-mêmes tout en restant libres de raconter des bobards aux autres, et en même temps ils parlent à eux-mêmes, parce que lorsque l’on est dans le noir, on parle aux autres et aussi à soi, l’obscurité désinhibe ».

Une obscurité qui laisse entrevoir les protagonistes, mais ne permet pas de distinguer leurs traits, leurs expressions. Ce choix du « presque noir » est autant justifié par le cadre de l’action, un cabaret théâtre qui créé une mise en abyme du spectateur qui se retrouve dans l’action vraie. La comédienne qui joue Ada, Emmanuelle Trinquesse, est presque aveugle et se déplace sur scène comme à la ville avec une canne blanche. Elle est chanteuse et professeure de technique vocale, a travaillé pour la compagnie, et a joué dans l’un de ses spectacles. « J’ai créé et mis en scène la pièce parce que je connaissais Emmanuelle, raconte Héloïse Esther. L’idée d’une pièce dans le noir est venue de là. Quand on connaît Emmanuelle, on découvre la manière dont elle envisage le monde, parle aux gens et les perçoit, qui est très différente de la nôtre. Elle assimile les personnes à des couleurs, reconstitue des objets à partir de détails et du peu de vision qui lui reste ».

Ce sont d’ailleurs les rapports humains qu’elle entretient avec Cécile Reyboz et Héloïse Esther qui ont conduit Emmanuelle Trinquesse à jouer le rôle d’une danseuse aveugle. Elle s’y livre à une description très suggestive et évocatrice, quasiment palpable, du numéro de danseuse dont elle s’est fait la spécialité, uniquement par le verbe : « Je travaille pour la compagnie, mais je n’avais pas prévu de participer à la pièce. J’ai peu d’expérience du théâtre, j’ai joué dans Oolong l’an dernier, une rencontre amoureuse autour du thé. Mais le texte m’a profondément touché, j’ai eu très envie de le jouer. Là, le rôle d’Ada n’est pas caricatural, le texte n’est pas stéréotypé par rapport au handicap, il n’appuie pas sur la déficience visuelle. Confetti sait que je suis aveugle, Vivianne non, c’est une rencontre humaine au-delà des apparences. La déficience visuelle ne doit pas être un frein à la communication, à l’échange, aux rapports humains, à l’entraide. La vue n’est pas essentielle pour les rapports humains ».

Laurent Lejard, février 2008.


Des lampions de papier, tous les dimanches à 18h jusqu’au 27 avril 2008 au Théâtre des Déchargeurs (Salle Vicky Messica : porte cochère et marches nécessitant d’être porté si l’on vient en fauteuil roulant) 3 rue des Déchargeurs. 75001 Paris. Renseignements et réservations : 0892 70 12 28.

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