Au Moyen-Âge, les aveugles vivaient de la mendicité ou étaient jongleurs, chanteurs ou amuseurs du public. L’histoire des aveugles se confond jusqu’au 18e siècle avec celle de tous les autres exclus: vieillards, indigents, infirmes. Un seul événement notable est à relever, la création en 1254 par Saint- Louis d’un hospice pour aveugles (aujourd’hui l’hôpital des Quinze- Vingt.

Une reconnaissance sociale au siècle des Lumières. Diderot dans son ouvrage « lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient », paru en 1749, va changer l’image de l’aveugle dans la société. Il suggère pour la première fois qu’il existe aussi une mémoire autre que visuelle ou encore auditive (le toucher, l’odorat, etc.) et évoque la première méthode d’apprentissage de l’arithmétique pour aveugles mise au point par Nicolas Saunderson en Angleterre. 36 ans plus tard, Valentin Haüy créé l’Institut Royal des Enfants aveugles (aujourd’hui Institut National des Jeunes Aveugles), première école pour non- voyants. Jusque- là, aucun effort n’avait été fait pour procurer aux aveugles une formation spéciale, une réadaptation ou un apprentissage professionnel appropriés. Très vite, cet exemple va faire des émules dans toute l’Europe (Liverpool en 1791, Vienne en 1804, Saint-Petersbourg en 1806, etc.)

L’apparition du langage écrit. Valentin Haüy a surtout été l’un des précurseurs de l’écriture en relief. Il réalise une première en 1784, en écrivant une lettre avec des caractères italiques de grande taille et en relief. Mais le personnage qui a véritablement inventé le moyen universel de lecture et d’écriture utilisé par les aveugles, c’est Louis Braille (1809 – 1852). Aveugle scolarisé à l’I.N.J.A., il a réussi, en améliorant une invention du capitaine Charles Barbier, à utiliser différemment le point en relief. Il a mis au point 63 combinaisons de points donnant l’alphabet, les chiffres et signes mathématiques et la notation musicale. D’autres personnalités vont s’intéresser à l’éducation des jeunes aveugles, notamment Maurice de la Sizeranne (1857 – 1924) qui a écrit plusieurs ouvrages consacrés à la cécité. Devenu aveugle à 9 ans et étudiant à l’I.N.J.A. il va fonder l’Association Valentin Haüy en 1889 et créer le premier atelier de travail pour aveugles en 1893.

Toutes ces évolutions se font lentement et surtout dans une optique d’assistance et de cheminements séparés (scolarité en écoles spécialisées, activités professionnelles occupationnelles en ateliers de cannage, de rempaillage de chaises, etc.). Pour que les premières compensations financières soient octroyées, il a fallu attendre la fin de la première guerre mondiale. Les invalides de guerres ont été les premiers à percevoir des pensions, droit qui ne sera étendu aux invalides civils qu’au lendemain de la seconde guerre mondiale. La loi Cordonnier du 5 août 1948, même si elle considère les handicapés civils comme « incapables », leur ouvre droit à des subsides.

La conquête de l’autonomie sociale. Les aveugles utilisèrent jusqu’au 18e siècle des moyens de fortune pour éviter les obstacles dans la rue. Toutefois, au 15e siècle, lors des premières fouilles de la cité d’Herculanum, détruite par le Vésuve en 79 avant J.-C., on découvrit une fresque représentant un miséreux en haillons appuyé sur une canne et guidé par un chien. Il faut toutefois attendre 1780 pour que Joseph Reisinger, savant aveugle, imagine de dresser rationnellement plusieurs chiens pour aider les aveugles. En 1819, le directeur de l’Institut des Aveugles de Vienne écrira un Manuel dans lequel il suggère que la première partie du dressage soit faite par un voyant. Un aveugle suisse, Birrier, sera le véritable créateur de la méthode de dressage. Mais c’est surtout après la guerre de 1914, qui fit des milliers d’aveugles, que des spécialistes à Vienne et à Oldenburg en Allemagne, perfectionnèrent les méthodes anciennes pour faire des chiens Bergers Allemands, les premières races de chiens guides pour les non- voyants. C’est aussi à ce moment- là que les premiers chiens guides firent leur apparition en France. Le chien est non seulement un guide mais aussi et surtout un compagnon et un vecteur du lien social. Nombreux sont les passants qui s’arrêtent pour caresser le chien et discuter avec son maître.

C’est un peu plus tard que le journaliste et auteur Jean Delage (1893 – 1992) inventa la canne blanche, présentée officiellement le 2 février 1931. Signe distinctif pour le public, elle est pour l’aveugle un outil nécessaire à son autonomie. Depuis, des dispositifs électroniques de détection d’obstacles ont été expérimentés mais les non- voyants préfèrent encore utiliser la canne blanche ou le chien guide. Ces progrès ne vinrent que rarement d’initiatives de l’État ou de pouvoirs publics qui se contentent, le plus souvent, d’accompagner le mouvement. Ce sont finalement les aveugles eux- mêmes ou des personnalités concernées par la cécité qui ont joué le rôle de précurseurs.

Abder Ragui, décembre 2000.

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