Nous touchons la terre brésilienne à Recife, capitale de l’Etat du Pernambouc. La ligne d’horizon de ses buildings a un véritable look américain ! Nous avons choisi une excursion difficile : après un tour dans les quartiers modernes, immédiatement bordés de favelas de pêcheurs, nous nous dirigeons vers Olinda, petite cité inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, dont les rues étroites obligent le transfert autocar-minibus.

Notre guide explique la construction de la ville et commente ses principaux monuments, tous aussi beaux que difficiles d’accès! Si cette balade est à déconseiller aux personnes à mobilité réduite, Recife est la ville d’origine d’un des plus grands artistes contemporains pourtant assez peu connu en Europe: Francisco Brennand, qui vit dans un extraordinaire domaine dont il a fait un musée vivant où ses oeuvres sont visibles dans un grand confort. Quelle que soit l’option choisie, on pourra découvrir dans un espace botanique l’arbre qui a donné son nom au pays: le pernambouc. Enfin, pour sacrifier à la halte boutique de souvenirs de façon originale, l’ancienne prison de la ville, réaménagée (et dotée d’ascenseurs) offre l’occasion de dépenser ses premiers réals (la monnaie brésilienne) dans un lieu singulier

Maceio, l’escale du lendemain est d’intérêt balnéaire: plusieurs excursions offrent la possibilité de profiter de baignades insolites en zone de mangrove ou sous des palmeraies de carte postale… Mais cette étape est plutôt hostile aux PMR, un lieu où le van pour 9 personnes est quasiment la seule occasion de quitter la zone portuaire puisque la navette gratuite… et obligatoire emploie de vieux autobus urbains très fatigués et d’un accès très raide.

En dehors de sa façade maritime, la petite ville offre la possibilité de s’immerger dans une ambiance brésilienne assez authentique: pas d’office de tourisme, aucun monument digne d’intérêt mais la vie, la vraie vie d’une zone piétonne où les gens se pressent dans les nombreux magasins de chaussures au personnel pléthorique où l’on peut choisir de payer en 3 ou 6 fois une paire de tongs valant moins de 6€! Où les pharmacies affichent la liste des maladies pour lesquelles les médicaments seront délivrés gratuitement, où une main experte ouvre en deux coups de machette une noix de coco dont on va immédiatement savourer le lait doux et rafraîchissant, mais où les « aménagements » pour fauteuils roulants sont rien moins qu’effrayants !

Salvador de Bahia sera notre seule véritable grande étape. Capitale du pays pendant plus de deux siècles, la ville est un métissage foisonnant d’hommes et de cultures, d’architectures, de religions, de classes sociales dans le rythme de l’un de ses plus célèbres enfants, Gilberto Gil, même si dans la tête et le coeur d’un quinquagénaire francophone, c’est une certaine chanson de Georges Moustaki qui résonne au moment où le bateau entre dans la deuxième baie du monde, la Baie de Tous les Saints… Avec son centre-ville classé par l’UNESCO, aux rues pavées et pentues, la cité n’est pas d’un accès facile. Si les « routards à roulettes » trouvent, face au port, des bus urbains à plateforme, les touristes qui montent dans leur autocar réservé ont la surprise de constater que le logo fauteuil roulant signifie seulement que ledit fauteuil peut être placé dans le coffre du véhicule, auquel on accède par cinq inévitables marches fort raides !

Salvador de Bahia

Ici encore, le van semble être un moyen inévitable pour admirer les paysages grandioses, une vie urbaine dense mais sereine et tenter d’accéder aux monuments les plus emblématiques que sont le quartier du Pelourinho (pilori) avec l’église Saint-François et ses incroyables décorations rococo aux 600 ou 800 (selon les sources) kilos d’or!

Détail pratique: les bureaux de poste ne sont pas faciles à trouver mais il y en a un à proximité immédiate, bien commode pour acheter de quoi affranchir ses cartes postales! Dans les environs, l’église Notre Seigneur de Bonfim est un haut lieu d’une religion catholique très syncrétique, à qui une visite au moment d’une cérémonie donnera une idée étonnante d’un culte catholique version samba! Dans l’une des salles annexes, l’abondance et la forme des ex-voto font penser à un magasin d’antiquités spécialisé en prothèses et autres accessoires orthopédiques… Comme à Recife, la ville a regroupé des boutiques de souvenirs dans un édifice historique, l’ancien marché couvert de 1912.

Notre étape suivante nécessitant un jour et deux nuits de navigation, le jour libre est le moment choisi par le commandant Marco Massa pour répondre à mes questions. En compagnie du responsable de l’accueil des passagers et de l’officier de sécurité chargé des passagers ayant des besoins particuliers, nous entamons une discussion trilingue (anglais, espagnol, français) animée et sans faux-semblants. Le commandant est sensible à la thématique handicap : il répond avec précision à chacune de mes questions et lorsqu’il a besoin de détails supplémentaires, ses adjoints lui apportent leur point de vue. En cas de doute, il va directement trouver la référence précise sur l’ordinateur de son bureau. Il a personnellement participé à la construction des quatre navires de la classe Musica (MSC MagnificaPoesiaOrchestra et Musica) qui respectent tous les normes de l’Americans with Disabilities Act (ADA). Les progrès sont constants d’un navire à l’autre, même à l’intérieur d’une même catégorie. Ainsi sur notre bateau, tous les comptoirs des guichets d’accueil ont-ils été abaissés afin de donner la même aisance de contact à tous, debout ou assis. Les seuils des douches ont été supprimés autour des piscines.

Avant chaque départ, une équipe spécialisée fait le point sur le nombre et la localisation des passagers handicapés: on en édite la liste complète (nom, numéro de cabine, date de naissance et type de handicap). Le cas échéant, les cabines ont été équipées de dispositifs spéciaux d’alerte ou de communication. Pour les personnes malentendantes, les signaux non-urgents sont restitués par une lumière spéciale dans la cabine mais en cas d’urgence grave, un sous-matelas vibrant provoque le réveil du passager endormi. Pour les personnes ne pouvant pas parler, le téléphone est muni d’un clavier permettant de communiquer par messages brefs de type SMS avec le guichet d’accueil ouvert 24h/24. Si parmi les employés de cette croisière il ne se trouve personne capable de communiquer en langue des signes, tout le monde a dû prendre connaissance d’un texte concernant les relations avec les « guests with special needs » dont le commandant me fait la lecture complète. Ce texte reflète avec finesse et précision la majorité de nos attentes et indique les travers à ne pas commettre tout en donnant des conseils judicieux. Je fais part à mes interlocuteurs de mon étonnement positif et de mes regrets qu’en France certains professionnels de santé n’aient pas encore intégré la moitié des notions ici répertoriées…

Lorsque je fais remarquer au commandant que les zones prioritaires PMR sont bien matérialisées au bord de la piscine comme au théâtre, mais pas au restaurant self-service, il s’en étonne auprès du responsable et donne immédiatement l’ordre par téléphone de remédier à cette lacune, ce qui sera immédiatement suivi d’effet ! Lorsque je lui explique ma technique de mise à l’eau dans la piscine, il me remercie de ce détail important que personne ne lui avait expliqué et précise que le MSC Fantasia, lancé en 2008, dispose à l’avant du pont 14, d’une piscine avec accès PMR.

À mes questions sur les débarquements en chaloupes, il répond que sur les navires de ce type, les ascenseurs collectifs ne descendent que jusqu’au pont 4 alors que les chaloupes se prennent au pont 3. Il y a donc un petit ascenseur spécial entre les ponts 4 et 3, que je pourrai le tester le lendemain : du pont 3 à la chaloupe et de la chaloupe au quai de débarquement, deux employés ont pour fonction le transfert des PMR dans leur fauteuil. J’évoque le problème crucial des ports avec navette gratuite et obligatoire inaccessible en rappelant la mésaventure de passagers en fauteuil roulant interdits d’escales à Aqaba, Salallah et Mascate (lire ce reportage). Il admet qu’il faudrait en effet pouvoir annoncer cette contrainte dès la réservation, même si les vans MSC semblent répondre en partie à ce problème. En effet, à condition de le préciser rapidement au guichet du voyage du bateau, c’est un van aménagé PMR qui sera proposé sans supplément de prix : quel dommage que la compagnie n’informe pas les futurs passagers handicapés sur son site web ou ses brochures ! Il semble cependant difficile, en raison des contrats liant la compagnie aux agences de voyage locales, de faire franchir toutes les barrières du port à un véhicule aménagé réservé par le passager lui-même pour deux ou trois personnes. Il est vrai qu’une croisière est un lieu de convivialité et que la « chartérisation » d’un van de 9 personnes n’est pas une mission impossible. Dans les autres ports, chacun est libre de faire venir au pied de la passerelle le véhicule qui lui convient. Le commandant rappelle que, compte tenu des taxes acquittées par les compagnies de croisières, il n’aurait pas manqué d’écrire une lettre de protestation aux autorités portuaires si des passagers en fauteuil n’avaient pu débarquer à cause de l’incapacité du port à fournir des transferts accessibles. Le navire étant parti d’un pays de l’Union européenne, il y avait lieu de mettre en avant les recommandations européennes relatives aux droits des passagers et notamment les divers articles relatifs aux personnes handicapées et aux personnes à mobilité réduite.

Ilhabela

Le lendemain, notre escale à Buzios, avec transfert en chaloupe, est très légère, juste bonne à faire regretter que ce Saint-Trop’ brésilien ait été choisi au lieu de Rio de Janeiro devant laquelle le paquebot est passé en pleine nuit! Une fois parcourue la lonja Bardot jusqu’à la statue de BB, une fois visitées quelques boutiques de souvenir et dégustées quelques bonnes caipirinhas, il ne reste pas grand-chose à faire si l’on n’est pas adepte des promenades touristiques en goélettes, 4X4 ou autres trolleybus!

La dernière escale a un vrai charme exotique, la bien nommée Ilhabela, un parc naturel où les plages, la végétation tropicale et la douce architecture coloniale sont une invitation à savourer une journée estivale exceptionnelle. Nous avons choisi de déambuler tranquillement le long d’une piste cyclable et de nous baigner dès que nous avons trouvé un palmier pour nous allonger à l’ombre, mais nous aurions pu faire quelques kilomètres dans un bus interurbain accessible (plateforme) et atteindre une plage aménagée.

Après ce luxuriant bouquet final, il ne nous reste plus qu’à atteindre, en une nuit de navigation, Santos, le port de São Paulo, ville dont nous rejoindrons l’aéroport après trois heures d’une impressionnante autoroute qui nous fera passer à travers d’immenses forêts du niveau de la mer à près de mille mètres d’altitude. Nous embarquerons ensuite sur un vol Iberia vers Nice où la correspondance PMR à Madrid Barajas sera cauchemardesque, fait assez habituel selon le personnel de l’aéroport…

Si nous comparons les deux grandes croisières que nous avons faites récemment, il est évident que l’attention reçue lors de la dernière est d’une qualité largement supérieure à notre précédente balade autour de la péninsule arabique. Des croisières plus courtes nous ont montré que l’impression globale est la somme de critères nombreux et souvent difficiles à contrôler : motivation et fatigue du personnel, qualité du cuisinier, personnalité des officiers, nombre de passagers et possibilité de dialoguer avec eux dans des langues communes. Le MSC Magnifica n’est toutefois pas un paradis pour PMR : les couloirs sont presque constamment encombrés de chariots utilisés par le personnel d’entretien, les places réservées au théâtre, au sommet du balcon, ont une mauvaise visibilité, les ascenseurs, tout en respectant les normes, sont difficiles d’accès aux fauteuils plus larges que la moyenne… Avec toutes ces nuances et ces quelques réserves, après une série d’expériences sur chacune des deux compagnies Costa et MSC dominant le marché méditerranéen, nous prenons le risque d’affirmer, en attendant des témoignages contradictoires, notre préférence pour cette dernière où les hôtes avec des besoins particuliers nous ont paru être traités avec un soin et un intérêt particuliers.

Gérard Coudougnan, mars 2014.

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