A l’instar d’un pays de cocagne longtemps convoité, le Bas-Rhin se cache derrière la mythique « ligne bleue des Vosges ». Laquelle favorise l’existence d’un micro-climat propice aux cultures… et abrite toujours en son sein les stigmates des innombrables conflits qui ont opposé la France et l’Allemagne au cours des siècles. Pour celles et ceux que cela intéresse, le Mémorial d’Alsace-Moselle, à Schirmeck, parfaitement accessible et à l’architecture résolument contemporaine, permet de mieux comprendre l’histoire de la région de 1870 à nos jours.

Destin tragique après la défaite de 1870, qui voit l’Alsace annexée par les Prussiens, dont témoignent çà et là quelques monuments édifiés par l’un ou l’autre des belligérants (découvrez une vue panoramique du champ de bataille du 6 août 1870 à Woerth et lisez ce récit). La France, après l’amère victoire de 1918, aura pourtant à coeur de ne pas détruire un héritage allemand qui subsiste encore dans de nombreux édifices… et dans les dialectes locaux. Destin étrange qui passe par la titanesque Ligne Maginot, construite à grands frais de 1929 à 1939, dont un ouvrage a été ouvert à la visite grâce à l’opiniâtreté d’un groupe de bénévoles de Lembach. Le site du Four à Chaux, accessible avec aide, évoque un sous-marin… le béton en plus : portes blindées étanches, plafonds bas, odeur de graisse de machine, impression d’enfermement malgré des kilomètres de galerie, un pan incliné vertigineux et des volumes particulièrement sonores.

Cette visite s’avère indispensable pour se faire une réelle idée de ce que fut le quotidien de soldats principalement recrutés sur place pour assurer une défense qui s’avéra bien dérisoire… Destin terrifiant, enfin, dans le silence de mort de l’ancien camp de concentration du Struthof à Natzweiler, où de 1941 à 1944 plus de 50.000 personnes, originaires de l’Europe entière, furent déportées par les nazis. Près de 22.000 d’entre elles n’en sont jamais ressorties. Accessible à tous, le Centre Européen du Résistant Déporté, qui jouxte le camp, est un lieu d’information, de réflexion et de rencontre; il rend hommage à la lutte contre l’oppression.

Sans doute cette histoire douloureuse a-t-elle contribué à sceller le destin international de l’Alsace, et celui de Strasbourg sa capitale. Le Conseil de l’Europe y fut créé dès 1949. Actuellement 46 pays représentant 800 millions de personnes font partie de cette institution éminemment diplomatique qui se préoccupe notamment de protection des droits de l’homme, d’affaires sociales et d’environnement. Le Conseil souffre quelque peu de sa relative discrétion et de l’amalgame souvent fait avec le Parlement Européen tout proche. Achevé en 1999, l’hémicycle de ce dernier est destiné à accueillir les sessions mensuelles du seul organe élu des institutions européennes. Les bâtiments sont traversés par trois rues internes, la principale étant aménagée en jardin d’hiver avec une forêt de philodendrons…

Non loin, la Cour Européenne des Droits de l’Homme, dont les nouveaux bâtiments verre et acier ont été inaugurés en 1995, comporte autant de juges que d’États membres du Conseil de L’Europe ayant ratifié la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, soit 45. Régulièrement saisie, elle attire souvent l’intérêt des médias, au premier rang desquels la chaîne de télévision Arte (Association Relative à la Télévision Européenne, 1991) voisine des bords de canal. Strasbourg abrite nombre d’autres institutions internationales (Institut International des Droits de l’Homme, Fondation européenne de la Science, Assemblée des Régions d’Europe, etc.). Obsessions sécuritaires obligent, ces hauts-lieux (à l’accessibilité variable) ne se visitent qu’au compte-gouttes, sur réservation (très) à l’avance et, la plupart du temps, en groupe accompagné.

Quartier de la Petite France à Strasbourg.

On peut néanmoins les admirer de l’extérieur en empruntant un « bateau-mouche » électrique (accessible en fauteuil roulant, renseignez-vous au préalable pour les horaires) au départ des quais de l’Ill, à l’aplomb du Palais Rohan. Découvrir ainsi Strasbourg est un plaisir qu’il serait dommage de bouder : constructions à pans de bois richement sculptées, charmantes passerelles piétonnes, quartiers cossus, la ville historique comporte peu de « verrues » architecturales et semble avoir été relativement épargnée par les bombardements de 1870 et 1944 (qui ont néanmoins fait de nombreuses victimes et endommagé la Cathédrale et le Palais Rohan). La Petite France, très touristique, est un endroit où il fait bon flâner, en dépit des pavés et de la foule. Son atmosphère de canaux et de maisons à colombages aux balcons ornés de géraniums donne l’impression de déambuler dans une carte postale.

Le quartier le plus animé demeure celui de la Cathédrale, avec ses boutiques et ses restaurants, où se croisent habitants, étudiants, fonctionnaires internationaux et visiteurs au milieu du ballet incessant (et parfois inquiétant) des vélos. La Cathédrale elle-même, impressionnant vaisseau gothique de grès rose, est accessible par son portail nord. L’intérieur, assez sombre, est faiblement éclairé par des vitraux magnifiques qui attendent une restauration. Une horloge astronomique s’anime tous les jours à 12h30 du côté du portail sud mais la construction vaut bien davantage pour ses extérieurs et leur étourdissante dentelle de pierre.

Tout proche, le Palais Rohan est un majestueux bâtiment du XVIIIe siècle à l’accès cahoteux (sonnette « handi » à droite du portail d’entrée) mais qui abrite de fort intéressants musées. Seul celui des Beaux-Arts est inaccessible aux fauteuils roulants. Un musée des arts décoratifs assez spectaculaire (accessible par rampe amovible) occupe les anciens appartements aristocratiques; un musée archéologique (accessible mais il faut ressortir et contourner le bâtiment) offre une belle mise en espace de sa partie gauloise ainsi qu’une collection de squelettes « malades » qui ravira les amateurs; enfin, le palais abrite une salle d’expositions temporaires accessible. Autre espace muséographique d’accès aisé, aux confins de la Petite France et non loin de la prestigieuse École Nationale d’Administration (ENA) : le très lumineux Musée d’Art Contemporain abrite des collections constituées pour partie d’artistes locaux et de dépôts des collections nationales. On peut en outre s’y restaurer devant un beau panorama sur la vieille ville.

Côté musical, les amateurs d’art lyrique seront servis par la très riche programmation de l’Opéra National du Rhin, qui s’est récemment doté de toilettes aménagées et d’un ascenseur desservant tous ses niveaux (interphone à gauche du perron, côté rue). Et depuis février 2005, Le Vaisseau fait découvrir les sciences aux enfants et adolescents sur un mode ludique; les animations et présentations sont adaptées aux déficients visuels et moteurs, des visites sont organisées pour les personnes handicapées mentales, l’accessibilité est soignée (lire ce top).

Au sud de Strasbourg s’étend la plaine du Ried (de l’alémanique rieth : jonc), un paysage principalement agricole borné à l’ouest par les coteaux vosgiens et à l’est par le Rhin. Avec Obernai, on plonge dans une Alsace de carte postale : maisons à pans de bois, fleurs aux balcons, petites places avec puits fleuris… mais pavés de rigueur et abaissés de trottoirs aléatoires. La maison alsacienne typique comporte un premier niveau en pierre couverte d’enduit, et des étages à colombages avec, fréquemment, un encorbellement au premier. Pignons sur rue, corbeaux sculptés, tout est fraîchement peint, parfois en couleur (vert, rose, bleu pastel) et si bien entretenu qu’on a parfois du mal à imaginer que certaines de ces bâtisses remontent au XVIe siècle. Obernai vaut également pour ses remparts, particulièrement bien conservés et mis en lumière, notamment sur leur partie ouest (remparts Joffre et Caspar).

Moins carte postale mais tout aussi charmante, Sélestat dispose d’une zone piétonnière plus étendue sans trop de pavés. Ne manquez pas la rue des Chevaliers, qui débouche sur une fière tour de l’horloge (entrée de ville au Moyen-Âge) et comporte des maisons dont la façade est entièrement peinte. Outre ses églises, la cité est célèbre pour sa Bibliothèque Humaniste, hélas inaccessible, et abrite le Fond Régional pour l’Art Contemporain (FRAC) d’Alsace, dont les espaces d’exposition se visitent sans encombre.

Dominant le paysage de sa silhouette caractéristique, le château du Haut-Koenigsbourg s’aperçoit de loin. Les cinéphiles se souviendront qu’il a servi de décor à La grande illusion, film de Jean Renoir (1937). La forteresse, construite au XIIe siècle et remaniée au XVe, fut, jusqu’à son abandon au XVIIe siècle, un observatoire idéal des principales routes de la région et un point de repli stratégique. Elle prit son nom de Koenigsbourg (château royal) vers 1192. En 1462, les Habsbourg, la confièrent aux Tierstein qui la reconstruisirent et l’agrandirent, mettant en place un système défensif conçu pour faire face à des tirs d’artillerie. L’empereur Guillaume II de Hohenzollern, propriétaire des lieux en 1899, y assouvit sa passion du Moyen Age en ordonnant une restauration scientifique (qualifiée aujourd’hui de vraisemblable) qui fait la part belle au style Troubadour en vogue à l’époque.

Le décor intérieur est donc assez kitch et le seul endroit réellement magique, en dehors du site lui-même, est un jardin intérieur perché à plusieurs dizaines de mètres du sol, par lequel on accède au moyen d’un minuscule pont-levis. Des supports de visite spécifiques sont proposés aux aveugles mais le château est bardé d’escaliers dont certains assez périlleux. En dehors des opérations « Monuments pour tous » organisées régulièrement avec l’aide des pompiers, les personnes en fauteuil roulant devront donc se contenter d’une visite des extérieurs qui n’a rien de frustrant, bien au contraire, lorsqu’elle est accompagnée par un guide. Quoi qu’il en soit, le panorama est extraordinaire sur la plaine d’Alsace, les Vosges, la Forêt-Noire et parfois même les Alpes.

Abbatiale Saint-Maurice d'Ebersmunster.

A quelques encablures, l’Abbatiale Saint Maurice d’Ebersmunster est un spectaculaire chef d’oeuvre du baroque autrichien, unique en France, à ne manquer sous aucun prétexte. Il date pour l’essentiel du XVIIIe siècle, possède l’un des rares orgues Silbermann (1732) en état de fonctionner et donne une occasion unique d’appréhender in vivo toute la théâtralité de la Contre-Réforme : illusions de perspective et d’optique, virtuoses sculptures sur bois, couleurs et ors rutilants, baldaquin majestueux… Des concerts y sont régulièrement donnés. L’Abbatiale est labellisée tourisme handicap moteur, ce qui ne gâche rien même si la rampe d’accès est un peu forte. Quant au hameau, blotti au bords de l’Ill, il est aussi paisible que charmant : préservé des circuits touristiques, Ebersmunster reste une destination secrète.

En remontant vers le nord, un passage par la route des vins enchantera même ceux à qui les nectars alcoolisés ne disent rien, tant le paysage est engageant : au gré des saisons, la vigne se pare de couleurs éclatantes, les coteaux, souvent pentus, laissent parfois la place à de minuscules villages fleuris aux maisons proprettes qui paraissent tout droit sortis du pinceau d’un peintre. Soleil et brume jouent avec l’ensemble, laissant une impression de grande quiétude. On ne vous donnera pas d’adresse, mais passez tout de même à Heiligenstein pour son Klevener et à Dambach la Ville où un viticulteur-artiste, héritier d’un grand nom du design des années 30, élève un Auxerrois et un Pétale de Rose aussi rares que délectables (découvrez son « jardin secret« ). Autres plaisirs des sens, ceux de la table, ici généreuse et calorique : au diable le régime, si le foie gras vous rebute, offrez-vous au moins un baeckeoffe ou une flammekueche dans une winstub !

Le nord du Bas-Rhin est une région frontalière moins touristique mais sans doute plus « authentique » que le sud : on s’y exprime couramment en dialecte alsacien et l’accueil y est moins policé que dans le Ried. C’est un terroir avant tout agricole où la forêt (vosgienne) occupe une large place. Ce qui fut le quotidien des paysans jusqu’au milieu du XXe siècle est d’ailleurs fort bien rendu dans la Maison rurale de l’Outre Forêt, à Kutzenhausen. L’accessibilité en est partielle (étages) et avec aide (moellons, trous) mais la magie de l’endroit opère car il s’agit d’une authentique ferme alsacienne entièrement meublée, avec ses menus objets, comme si ses habitants venaient juste de s’absenter. A cent lieues de l’image que l’on se fait parfois des écomusées. On regrettera simplement que la visite, qui occupe facilement une bonne demi-journée, ne soit pas commentée.

Autre musée rural tout aussi passionnant, le Musée de l’Image Populaire à Pfaffenhoffen, dont les espaces ultra-modernes (et parfaitement accessibles) présentent, outre des expositions temporaires, une collection unique de peintures sous verre, souhaits de baptême, souvenirs de mariages et autres témoignages humbles et émouvants d’une culture locale aujourd’hui disparue. Vous y apprendrez notamment à différencier un canivet d’un églomisé

Haguenau ne présentant guère d’autres attraits touristiques qu’un riche musée Alsacien et un prestigieux Musée historique hélas inaccessibles, on retrouve « l’Alsace idéale » à l’extrémité du département : Wissembourg. L’accessibilité de ses monuments n’y est pas meilleure mais s’y promener est un véritable bonheur : canaux, colombages et fleurs, belle église gothique avec cloître en ruines, remparts, vieilles maisons parfaitement entretenues… Toute la quiétude d’une petite ville telle qu’on en rêve : L’Alsace l’a fait !

Laurent Lejard, décembre 2005


L’Agence de développement touristique du Bas-Rhin (A.D.T 67) propose, outre des informations complémentaires sur le département, une liste des hôtels et restaurants labellisés Tourisme et Handicap. Par ailleurs, quelques mentions d’accessibilité figurent sur le portail des Musées d’Alsace.

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