Pour une fois, Paris s’est fait voler la vedette pour un événement de quelque ampleur, les premières Rencontres nationales Art, Culture et Handicap. C’est la ville de Bourges (Cher) qui les a accueilli, couronnant ainsi un travail constant répondant aux demandes du public et aux intuitions des responsables culturels locaux. Ils ont pu confronter leurs réalisations à une plus vaste audience afin de mieux adapter leur travail.

Bavardages.
 On a beaucoup parlé à Bourges, du 19 au 21 octobre 2003, pour développer trois thèmes lors de tables rondes : accès au cadre bâti récent et environnement urbain, pratiques culturelles en amateur, offre culturelle. Seuls les débats de cette dernière table ronde ont été filmés et sont diffusés en ligne par France Télécom en images et transcription texte. Les participants se sont retrouvés ensemble en séance plénière le mardi matin pour effectuer la synthèse des débats. L’organisateur n’a pas été en mesure de nous préciser quand les actes de ces colloques, dactylographiés en direct par système Rist, seront publiés.

Deux ministres ont fait le voyage: Marie- Thérèse Boisseau, Secrétaire d’Etat aux personnes handicapées, et Jean- Jacques Aillagon, Ministre de la culture et de la communication. Outre la visite des expositions, ils ont signé un protocole d’accord entre le Centre des Monuments Nationaux (Monum) et quatre associations nationales de personnes handicapées dont aucun président n’a fait le voyage; si l’Etat- major de Monum était au grand complet, ce furent des seconds couteaux qui paraphèrent le texte devant les flashs crépitants de la presse locale…

Doit-on voir là un signe de l’intérêt qui est porté à cette coopération par les associations signataires ? Il est vrai que la lecture de ces Protocoles est édifiante : les associations apportent un conseil en matière d’accueil, de mise en accessibilité, de formation des personnels, etc., sans qu’elles soient rétribuées pour ce travail ni même indemnisées des frais qu’elles engagent au plus grand profit de Monum !

Côté expositions. Première découverte, le dessinateur aquarelliste autiste Damien Eschbach. Ses villes imaginaires sont remarquables par la maîtrise du crayonnage, la précision du trait, la relation de l’architecture et l’évasion vers un paysage urbain rêvé. Ces villes sont toujours vues du ciel. Plus près du sol, Damien Eschbach a parcouru les rues de sa ville (Belfort) pour établir le portrait en aquarelle d’immeubles de la cité franc-comtoise. Sa démarche artistique vaudrait d’être valorisée, la diffusion de ses oeuvres reposant sur la bonne volonté et l’enthousiasme de son père qui travaille avec fort peu de moyens et s’appuie essentiellement sur les milieux associatifs. Quel galeriste, quel marchand d’art s’intéressera- t-il enfin au merveilleux travail de Damien Eschbach ?

Autre expo jouissive, celle du Papotin, revue réalisée par des personnes handicapées mentales, remarquablement mise en valeur dans le Château d’eau, curieuse bâtisse ronde datant du XIXe siècle. De longs panneaux illustrés relatent des rencontres entre les rédacteurs et des personnalités du show- business ou de la politique, des impressions de voyage et autres. Accrochés autour des piliers de la citerne, ces panneaux diffusaient une joie d’être et un bonheur de vivre débridés. On sourit du « bouton de Jacques Chirac », des « mauvais films qui rendent le cinéma drôle », de Renaud « qui aime Mireille Mathieu mais pas Françoise Hardy », du portrait chinois en automobile de Gainsbourg (« Opel Astra ») ou du Cardinal de Richelieu (« Mercedes 190 Injection »). Des regards croisés, sensibles et joyeux!

Rassemblés à l’Ecole Nationale Supérieure d’Art de Bourges (ENSAB), des étudiants suisses en communication visuelle ont affronté le tabou social du handicap par voie d’affiches. Ce travail de l’Ecole Cantonale d’Art de Lausanne (ECAL) résulte d’une commande de l’Association Vaudoise pour la Construction Adaptée aux personnes Handicapées (AVACAH). En 2001, à l’occasion de son 10e anniversaire, cette organisation avait lancé une campagne d’affichage sur 300 panneaux publics avec la volonté de « sortir du cliché de la personne en fauteuil roulant qui peine en haut d’une rampe, et de donner une image différente du handicap, pour que les gens le regardent autrement »…

La vitrine berruyère. Les Rencontres ont permis aux institutions culturelles locales de montrer leur travail. Ainsi, le Musée Estève, consacré au peintre berrichon non figuratif Maurice Estève (1904- 2001) dont les oeuvres jouent sur la couleur et les contrastes, présentait ses réalisations de perception des tableaux du maître pour des personnes aveugles. Les différentes étapes de la création de la toile « Crouleplate » sont montrées sur des carreaux de plâtre, les couleurs étant rendues de deux manières: par des motifs affectés à une couleur précise et par la profondeur des reliefs en fonction des teintes chaudes ou froides.

Le tableau de la « Paysanne endormie » est quant à lui une représentation en puzzle qui a demandé de la part de ses réalisateurs beaucoup de travail volontaire avec des moyens réduits: dans un cadre, les plans, objets et personnages du tableau sont figurés par des pièces en tissus (rideaux), bois (sabot), feutrine (la paysanne). Cette combinaison restitue la texture et la forme de chaque élément et permet, en le mettant en place, de comprendre quel rôle il joue dans le tableau. Muriel Desroches, chargée des actions pédagogiques, précise qu’elle fait également toucher quelques objets réels par les visiteurs aveugles, un sabot par exemple, afin d’améliorer leur perception de l’oeuvre de Maurice Estève.

La présence de nombreuses personnes handicapées à Bourges, et plus précisément d’aveugles, a permis de tester face à un vaste public les réalisations locales, et le Musée Estève en fera son profit. C’est également le cas pour le Muséum d’histoire naturelle, qui proposait en avant- première quelques silex taillés avec sonorisation du bruit de leur taille et leur usage. Le son n’était retransmis que par casque sans fil. Laurent Arthur, conservateur du Muséum, précise : « Nous avons constaté que ce système était inapproprié pour des personnes aveugles qui ne peuvent se placer face au matériel de diffusion sonore. La solution qui sera réalisée comportera une amplification sonore actionnée par un gros bouton, le rendu sera accessible à tout le monde ». Comme le seront les silhouettes prochainement placées dans la section Préhistoire, réduction en bronze au 1/10e d’animaux et d’un homme, pour restituer l’échelle de grandeur du renne, de l’ours, du loup et du mégaceros. Là encore, accès tous publics aux mêmes outils de compréhension dont l’usage diffère toutefois pour les déficients visuels.

Sans lendemain ? Exceptionnellement, le célèbre Palais Jacques Coeur a été mis en accessibilité, aménagement provisoire démonté dès la fin des Rencontres. Une longue passerelle en bois posée sur les pavés de la cour permettait aux fauteuils roulants d’entrer aisément dans la Salle des Festins, lieu d’une table ronde et de la signature ministérielle. Cette installation a d’ailleurs eu le don d’irriter quelques berruyers habitués du lieu, scandalisés par le caractère intrusif de l’équipement et son coût prohibitif supposé. Dans son discours, Jean- Jacques Aillagon a martelé que les monuments historiques « appartiennent à toutes les femmes, tous les hommes, quelles que soient les contraintes ». Ses actes nous montreront dans les prochains mois s’il s’est simplement laissé emporter par son enthousiasme…

Voici donc évoqués quelques aspects d’une manifestation probablement trop dense. Marie Thérèse Boisseau a demandé publiquement à son collègue Ministre de la culture, organisateur et financeur d’une manifestation dont le budget semble classé secret défense, que ces Rencontres connaissent une seconde édition l’année prochaine, dans une autre ville. Jean- Jacques Aillagon a souhaité qu’elles ne soient pas un « terminus ». A suivre ?

Laurent Lejard, octobre 2003.

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