Ils sont des dizaines à être délivrés au fil de l’année, ces trophées de l’accessibilité, de l’innovation, pour l’emploi, la citoyenneté, etc. Tous sont censés valoriser des actions et réalisations en faveur des personnes handicapées, la quasi-totalité repose sur des appels à candidatures et des dossiers; quasiment aucun sur des visites de terrains : de fait, c’est le meilleur dossier qui est récompensé, presque tous sont sans véritable récompense pécuniaire. Les Trophées de l’accessibilité sont de ceux-là : on y gagne un assemblage de bouts de bois dorés (qu’on ne doit pas trouver moche puisque conçu par une « personne en situation de handicap ») baptisé « L’homme qui roule » mais qui fait plutôt penser à un Héraclès de Bourdelle qui aurait mal tourné… « Les candidats se déplacent à leurs frais, précise Xavier Gallin, fondateur des Trophées de l’accessibilité et président de l’association organisatrice Accès pour Tous. Je n’ai pas de budget pour prendre les déplacements en charge. C’est le Conseil de l’Europe qui a couvert les dépenses de la représentante bulgare, Albena Atanosova. » Celle-ci, maire adjointe aux affaires sociales, s’est d’ailleurs offerte un délicieux moment de plaisir sadique en recevant son trophée au titre du métro de la capitale : elle a invité la RATP à venir visiter le métro de Sofia pour en apprécier l’accessibilité pour tous !

Mais là, on était déjà au terme d’une longue cérémonie lancée par la Sourde Sophie Vouzelaud qui avait remis sa tenue de Première Dauphine de Miss France 2007, introduisant la soirée en parlant de « personnes handicapées » alors que les Sourds militants affirment qu’ils ne sont pas handicapés… Puis elle a gentiment brocardé le film La famille Bélier, récent succès au box-office, parce qu’on n’en a pas confié les premiers rôles à des acteurs sourds, propos en début de cérémonie qui tombait tel un cheveu dans la soupe. Le comédien sourd Lucas Gelberg, qui a joué un second rôle dans le film, a d’ailleurs tenu à relativiser le propos de la (déjà vieille) Dauphine : dans les trophées il faut po-si-ti-ver ! Et ce fut parti pour plus de deux heures de cérémonie.

« Le Premier ministre Manuel Valls aurait bien voulu être parmi nous, annonce sans rire Xavier Gallin, mais il est empêché. » C’est donc sa secrétaire d’Etat chargée des personnes Handicapées, Ségolène Neuville, qui s’y colle pour dire tout le bien que fait le Gouvernement dans une vision hyper-positive des choses, et évoquer une loi en débat sur l’accessibilité et l’accessibilité universelle (il ne s’agit en fait que du projet de ratification de l’ordonnance du 26 septembre 2014 qui a passé l’accessibilité du cadre bâti et des transports à la moulinette), la ministre est applaudie par le public, ici le privilège de la contestation n’est dévolu qu’à Edouard Braine, ex-consul de France à Londres retraité qui s’est souvenu de son handicap moteur depuis qu’il a pris sa retraite en parcourant les chemins de Saint-Jacques de Compostelle.

La litanie des remises a commencé par un trophée d’honneur décerné au Conseil Général du Bas-Rhin : ça tombe bien puisqu’il est partenaire de ces Trophées depuis leur création en 2010 et finance Accès pour Tous en achetant de la publicité dans la revue trimestrielle de l’association et le programme de la soirée… »Vous avez tant fait ! » s’enthousiasma la déléguée ministérielle à l'(in)accessibilité, Marie Prost-Coletta, à Guy-Dominique Kennel, ancien président de ce Conseil Général, ajoutant au sujet de la réforme de l’accessibilité : « Nous sommes partis sur un nouveau souffle ! »

Précisons que Marie Prost-Coletta a fortement engagé « sa » Délégation dans ces trophées, au point de leur donner un caractère officiel, certains médias parlant de Trophée national de l’accessibilité. Mais quelle valeur leur accorder alors que trois trophées (emploi, culture et produits) sont décernés par un jury de professionnels et les autres par les internautes?

Là, c’est le meilleur « réseau » qui est récompensé, des candidats ayant lancé tous azimuts des appels à voter pour leur dossier. Rien d’étonnant, dès lors, de voir figurer au palmarès quelques spécialistes de la candidature, tel le refuge (vosgien) du Sotré, créé il y a près de quinze ans, rénové en 2012 et géré par un professionnel de la promotion touristique, ou le château des Ducs de Bretagne dont la mise en accessibilité culturelle, maintes fois distinguée et récompensée, date de plus de huit ans. « Il faut surtout montrer qu’il y a des gens qui font des choses », insiste Xavier Gallin. Qu’il soit rassuré: la trophéite remplit parfaitement ce rôle!

Laurent Lejard, mai 2015.

Partagez !