« Communautés 360 Covid », tel est le nom de l’action lancée le 8 juin par la secrétaire d’État aux personnes handicapées, Sophie Cluzel, sous la forme d’un numéro de téléphone unique, le 0800 360 360. Du lundi au vendredi à des horaires variables (généralement 9 à 18 heures) des répondants écoutent les personnes handicapées et leurs aidants pour les conseiller et les orienter sur des questions ou difficultés de vie à domicile, d’accès aux soins, de prise en charge médico-sociale et tous problèmes générés par la crise sanitaire, dont le répit et l’accueil temporaire. Piloté directement par le secrétariat d’État, sans comité ad hoc, le « 360 » est assuré par 13 centres d’appel exploités par des Entreprises Adaptées réunies dans un groupement momentané d’entreprises (GME). Elles utilisent une seule solution technique, Odigo de Cap Gemini choisie sans appel d’offres et dont le spécialiste « réforme de l’État et des opérateurs publics », Benjamin Luciani, a opportunément été nommé le 11 mai dernier conseiller au cabinet de Sophie Cluzel.

Les appelants sont renvoyés, quand elles existent, vers des Communautés 360 Covid organisées par les Conseils Départementaux et les Maisons Départementales des Personnes Handicapées (MDPH), avec l’apport des Pôles Territoriaux d’Appui des Agences Régionales de Santé (ARS), services déconcentrés de l’État. Ces Communautés résultent de collaborations créées par des associations départementales ou gestionnaires d’établissements médico-sociaux pour pallier l’action publique défaillante au début du confinement, les personnes handicapées ayant été laissées de côté pendant une bonne dizaine de jours et restées ensuite à la traine des divers correctifs (lire cette enquête). Et c’est sur ces « coopératives territoriales » que le secrétariat d’État s’appuie pour structurer le 360. Mais de telles Communautés n’existent pas dans tous les départements, et le service téléphonique fonctionne à deux niveaux : dès que l’appelant annonce son département de résidence, il reçoit une réponse directe ou est orienté vers la Communauté 360 Covid départementale si elle existe. Elle peut être organisée par le Conseil Départemental ou une autre structure, il n’y a pas de règle stricte puisque les initiatives locales sont hétérogènes.

L’exemple des Hauts-de-France.

« Les communautés 360 devaient être élaborées dans le courant 2020 pour fonctionner l’an prochain, précise Sylvain Lequeux, Directeur de l’offre médico-sociale de l’ARS des Hauts-de-France. Du fait de la crise sanitaire et de sa sortie, il apparaît nécessaire de construire des solutions de répit pour les personnes handicapées et leurs aidants surexposés, il faut être en mesure d’apporter des réponses aux différents besoins. » Dans cette région, les Conseils Départementaux s’impliquent tel celui de l’Aisne (lire plus bas Du côté des départements), sauf celui du Nord qui ne participe pas nous a confirmé sa porte-parole. Et dans la Somme, le président du Conseil Départemental a pris le temps de la réflexion avant de s’engager, précise Ahmed Zouad, directeur de l’APAJH 80 : « Il y a eu un tour de table sur le principe général, sans feuille de route précise. L’unité Réponse accompagnée pour tous est très engagée. Il y a eu une discussion avec la MDPH sur le doublon, une famille pouvant passer par le 360 pour sa demande. » La création des Communautés 360 Covid peut en effet être perçue par des personnes handicapées comme un moyen d’obtenir une priorité, pour contourner la lourdeur ou lenteur de la procédure MDPH. « L’ARS a essayé de jouer un rôle de courroie de transmission, reprend Sylvain Lequeux, pour que dans nos cinq départements tout le monde soit partenaire afin que les personnes handicapées voient leurs difficultés résolues pour l’accès aux soins, au répit, à la scolarisation. Dans le Nord, un groupement d’acteurs médico-sociaux va s’appuyer sur une plateforme téléphonique de l’APEI de Lille. Dans la Somme le projet est porté par les PEP80 et repose sur la totalité des organisations gestionnaires du département. Les répondants vont évaluer le besoin et orienter vers l’acteur le plus à même de le traiter, faire le suivi, et en cas d’absence de solution, construire une réponse. »

Pour cela, un budget de près de 14 millions d’euros est délégué par la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie à l’ensemble des ARS, 10 autres millions devant financer le fonctionnement des Communautés dans la limite de 100.000€ chacune. « Elles se sont construites très rapidement, complète Sylvain Lequeux, on va les accompagner financièrement, et pour construire de nouvelles solutions en faisant preuve de flexibilité et d’inventivité. A nous de mobiliser tous les moyens nécessaires. Si on doit renforcer des SAMSAH ou SAVS, on le fera plutôt que de voir la personne institutionnalisée. Les liaisons avec les MDPH sont encore à travailler pour qu’il n’y ait pas trou dans la raquette, et étudier la priorisation des situations d’urgence. C’est toute la difficulté de l’exercice, chaque décision doit être analysée. Et c’est la Communauté 360 Covid qui va poser l’évaluation, éventuellement en allant au domicile de la personne. » Côté Éducation Nationale, les cellules départementales d’écoute des familles sont maintenues, et devraient être intégrées aux comités départementaux de pilotage des Communautés 360 Covid.

Qui gère le national ?

Ce sont des Entreprises Adaptées exploitant des centres d’appel qui assurent la réception des appels téléphoniques. « L’appelant est dirigé vers le premier conseiller disponible, explique Anna Lévèque, présidente des centres d’appel Handicall. Les répondants disposent de différents cas de figure recensés pour diriger les personnes, être un point de coordination. » Cette organisation a été élaborée par l’Union Nationale des Entreprises Adaptées et le secrétariat d’État aux personnes handicapées. « On n’a pas d’objectif de rapidité de réponse, ajoute Anna Lévèque, mais la volonté du secrétariat d’État de mobiliser beaucoup de ressources pour des typologies de prise en charge de la volumétrie d’appels, avec débord sur la plate-forme nationale. » En clair, si la Communauté 360 Covid du département ne peut pas répondre ou n’existe pas encore, c’est un répondant d’une des entreprises adaptées qui traitera l’appel. Pour l’instant, ces centres d’appel sont missionnés jusqu’à la fin du mois d’août, pour un coût non communiqué. « On nous a demandé de pas trop communiquer dessus, justifie la directrice d’un autre centre d’appel. Les 13 Entreprises Adaptées ont co-écrit la solution avec le secrétariat d’Etat qui pilote. C’est une sorte de hotline pour personnes handicapées qui peuvent se retrouver en désarroi. » Si le 0800 360 360 fonctionne depuis le 8 juin, un quart des départements était censé disposer cette semaine-là d’une Communauté 360 Covid : Nord, Aisne, Somme, Seine-Maritime, Eure, Calvados, Manche, Orne, Mayenne, Vienne, Charente-Maritime, Corrèze, Gironde, Lot-et-Garonne, Landes, Pyrénées-Atlantiques, Vaucluse, Bouches-du-Rhône, Alpes-de-Haute-Provence, Var, Alpes-Maritimes, Corse et Martinique. Elles reçoivent les appels concernant des situations de leurs territoires respectifs, puisque la réponse doit être adaptée aux réalités locales : ce n’est donc pas un spécialiste du Nord qui répondra à une personne handicapée de Gironde. 

Travailleur handicapé d'un centre d'appel

L’appel est gratuit pour la population, toutefois cette action à un coût et doit être gérée nationalement, mais vous n’en saurez rien. Sophie Cluzel devait présenter jeudi 18 juin en conférence de presse via visioconférence le lancement du numéro vert, elle a annulé la veille. Le dossier mis en ligne est informatif, mais vide sur l’aspect financier. Et le cabinet de la ministre a refusé de répondre à ces questions : comment est pilotée l’action au plan national ? Selon l’un des centres d’appel un premier marché court jusqu’à fin août, quel est son montant global ? Quelles sont les conditions envisagées de renouvellement : résultats, objectifs, etc. ? Une manipulation de l’argent public dans le plus grand secret, comme s’il y avait des pratiques à cacher sur une action montée en quelques semaines en marge des procédures réglementaires. 

Du côté des départements.

La plupart des Conseils Départementaux doit s’impliquer dans l’organisation des Communautés, dont celui de la Vienne. « On s’inscrit dans la Vienne dynamique, justifie Valérie Dauge, vice-présidente en charge des Personnes Agées et des Personnes Handicapées et présidente de la CDAPH. On a intégré la Réponse Accompagnée Pour Tous, on s’est réuni avec le directeur de la MDPH. Ce que je regrette, c’est la précipitation et l’absence de concertation. » Si Valérie Dauge déplore ce raccourcissement drastique du calendrier de déploiement du 360, elle vit la réalité des familles confrontées à l’épidémie de Covid 19, elle est maman d’une jeune autiste : « J’ai été confinée avec elle. Il faut une écoute des familles, c’est bien. Mais il me semblait que la MDPH fait déjà cela. On nous a demandé de réaliser une écoute 24 heures sur 24, sans moyens financiers et en faisant avec ce qu’on a. Les problématiques sont identifiées, les moyens ne suivent pas. Si c’est pour faire miroiter des choses, quand des gens vont appeler… » Valérie Dauge rappelle que le guichet unique existe, la MDPH, et demande à voir sur du moyen terme : « Ecouter les gens, on sait faire, mais il faut leur proposer quelque chose. Pour les Instituts Médico-Educatif, on a 87 enfants et jeunes sur liste d’attente. Je veux bien mettre tout le monde en inclusion scolaire et milieu ordinaire, mais les équipes ne sont pas formées et en capacité de prendre en charge. On a la même situation pour les ESAT. La réunion avec Sophie Cluzel à Bordeaux le 5 juin c’était ‘soyez une force de propositions’. On est dans l’hyper communication. » La Communauté 360 Covid de la Vienne bénéficie de la plate-forme territoriale d’appui de l’ARS Nouvelle-Aquitaine, porteur du projet, pour créer le premier niveau d’accueil et orientation, mais sans avoir eu le temps de mobiliser des associations. « Il y a l’obstacle des places manquantes en établissements et services, reprend Valérie Dauge. Depuis de nombreuses années nous travaillons avec l’ensemble des partenaires pour ne laisser personne sans solution. Nous avons mis en place un comité de suivi de liste d’attente pour tenter d’attribuer des places au mieux. Peu de personnes sortent, et peu de places sont disponibles. » Malgré cette précipitation, elle apprécie l’action de Sophie Cluzel : « Enfin une ministre qui connaît son sujet, sur certains points elle a réussi de belles choses. Mais elle n’entend pas toujours les problèmes qu’on lui fait remonter. »

Dans l’Aisne, « l’essentiel est fait, estime Georges Fourré, vice-président chargé de l’autonomie. On a créé une plateforme de travail avec deux associations qui se partagent le nord et le sud. On agit avec l’Union des associations de personnes handicapées de l’Aisne, un groupement qui travaille très bien dans le département avec une permanence quotidienne. Le 360 Covid 02, c’est l’une des réalités de la Réponse Accompagnée Pour Tous, un moyen pour avoir des réponses rapidement via un numéro d’appel. Même si c’est spécifique au Covid, ça ne s’arrêtera pas là. » Selon Georges Fourré, l’Aisne compte peu de personnes handicapées sans solution : « On n’a pas de chiffres sur les sans solution, c’est justement l’intérêt du 360. C’est le problème des gens qui passent à côté du système. » Pour cela, sont également mobilisés la MDPH, l’ APAJH de Château-Thierry et les deux Pôles de compétences et de prestations externalisées du nord et du sud de l’Aisne. « Cela débouchera sur le fonctionnement habituel de la MDPH, poursuit Georges Fourré, comme antérieurement. L’important, c’est d’avoir un premier contact très rapide, je pense que cela concernera peu de personnes. Si ca marche comme on souhaite, les non adhérents d’associations auront par ce biais une réponse plus facilement. Je ne pense pas que l’accueil de la MDPH orientera vers la Communauté 360, ce n’est pas l’esprit. » Il estime que cette dernière pourra conseiller des gens qui se retrouvent dans une situation qu’ils n’avaient pas prévue avant qu’ils montent un dossier de demande à la MDPH : « Ce peut être un sas pour orienter. » Parce que la création d’un nouveau service d’information des personnes handicapées débouchera quasiment toujours sur le guichet unique qu’est la MDPH, aussi imparfaite soit-elle.

Laurent Lejard, juin 2020.

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