Le parlement français a ratifié la convention relative aux droits des personnes handicapées et son protocole le 18 février 2010, pour une entrée en vigueur un mois plus tard. Mais avec quelle portée en droit français ? Le Gouvernement relève que « sont invocables devant les juridictions internes, seules les stipulations suffisamment précises et inconditionnelles, qui visent à garantir des droits au profit des particuliers et ne nécessitent pas de mesures nationales de mise en oeuvre. L’effet direct des dispositions de la Convention n’a pas encore été précisé par les juges français. Toutefois, le Défenseur des droits a confié à deux magistrats des deux cours suprêmes françaises, la mission de préciser, par une analyse théorique, l’effet et la portée des droits garantis par la Convention en droit national. » La convention n’a donc actuellement aucun effet sur les droits des personnes handicapées vivant en France.

Théoriquement, le secrétaire général du Comité Interministériel du Handicap assure le suivi de mise en oeuvre de la convention en saisissant les référents handicap et accessibilité des différents cabinets ministériels. Créés pour appliquer la circulaire du Premier Ministre du 4 septembre 2012 pour la prise en compte du handicap dans les projets de loi, ces référents sont peu actifs comme on a pu le constater lors de l’examen des projets de loi de ces dernières années : ce sont essentiellement les parlementaires qui introduisent des dispositions en faveur des personnes handicapées, et parfois le Gouvernement est contraint de revoir sa copie en cours de débats comme ce fut le cas au printemps dernier lors de l’examen du projet de loi Travail. Quant au Comité de suivi indépendant, auquel est associé le secrétaire général du Comité Interministériel du Handicap, sa réunion annuelle n’est que formelle, il n’en sort guère de proposition concrète : « Lors de la dernière réunion du 20 avril 2015, note le rapport, il a notamment été décidé de lancer des actions d’information auprès des acteurs en charge de l’application de la convention. » Cinq ans après son entrée en vigueur, tout en continuant à temporiser : « De plus, le Comité de suivi entend poursuivre l’étude juridique engagée en 2014 sur l’effet direct des stipulations de la convention et de faire le point sur le dispositif national de recherche, information statistique, études et évaluations sur la situation des personnes handicapées. » La carence en information statistique sur les handicaps et les personnes qui les vivent a été soulignée il y a plus de quinze ans, tous les ministres en charge l’ont relevée, aucun n’a agi et nul dispositif n’a été créé, les politiques publiques se font toujours au jugé et rien ne témoigne d’une volonté que cela change.

Le rapport à l’ONU invoque la définition légale du handicap telle qu’elle figure dans la loi française, « toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant », mais omet d’ajouter que la reconnaissance administrative de ces handicaps repose exclusivement sur des critères et une évaluation médicaux.

En matière d’accessibilité, le rapport étatique passe sous silence la révision à la baisse des normes, la création de nouvelles possibilité d’y déroger et l’automaticité de l’accord par l’autorité publique des demandes d’Agenda d’Accessibilité Programmée (Ad’AP). De ce fait, il minore fortement l’impact négatif de la réforme de l’accessibilité du 26 septembre 2014 qui a mis en pièces le concept d’accessibilité à tout pour tous qui constituait pourtant l’un des piliers de la loi du 11 février 2005 d’égalité des droits et des chances des personnes handicapées. Le rapport met pourtant ce principe en exergue. Et le paragraphe relatif à la surveillance des établissements psychiatriques et autres institutions est purement mensonger : « Le respect de la dignité oblige à prendre des mesures particulièrement adaptées aux détenus en situation de handicap physique ou psychique », peut-on lire, alors que l’on estime à plus de 30% le nombre de détenus souffrant de troubles mentaux non soignés et que la France a plusieurs fois été condamnée ces dernières années pour l’inaccessibilité de ses prisons. Si l’une de ces condamnations est mentionnée, c’est pour évoquer des mesures correctives qui ne portent toutefois que sur la seule cellule du prisonnier concerné, et pas sur l’accès à la promenade, bibliothèque, locaux de travail, etc. En matière d’éducation, le lecteur pourrait croire que tout va bien s’il n’était pas informé des 20.000 enfants laissé sans solution éducative, comme l’avait relevé début 2015 le commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe.

En matière de discriminations, l’écart entre le nombre de poursuites judiciaires et celui des réclamations reçues par le Défenseur des Droits est abyssal. Si le handicap compte pour 20% des 100.000 réclamations adressées en 2014 en matière de discrimination, seules 35 condamnations ont été prononcées par la justice entre 2010 et 2013. En cause le classement sans suite des plaintes par le Parquet, le coût dissuasif d’une procédure, le découragement, etc.

Tout est approximatif et partial dans ce rapport qui balaie les différents articles de la convention en présentant comment la France les satisfait. Par exemple, on pourrait croire que « toute personne sourde bénéficie du dispositif de communication adapté de son choix » en matière d’accès à la justice, alors que ce n’est le cas, partiellement, que dans quelques grandes villes. Et la baisse importante des financements de la formation professionnelle et d’actions en faveur de l’emploi, en pleine explosion du chômage des travailleurs handicapés, est passée sous silence. Le rapport gouvernemental est actuellement étudié par l’ONU, on a hâte de lire si cette organisation sera dupe.

Laurent Lejard, septembre 2016.

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