Pour la quatrième fois en six mois, la compagnie aérienne à bas prix EasyJet a refusé, le 10 août dernier, de transporter un passager handicapé moteur non accompagné. Raison invoquée pour justifier chaque refus : le règlement de sécurité contrôlé par la Direction Générale de l’Aviation Civile (DGAC) imposant l’évacuation d’un avion en 90 secondes au plus. Mais en quoi cette sécurité serait-elle compromise lors d’un incident grave ?

« Le personnel navigant commercial est formé à évacuer un avion en 90 secondes, explique Jean-Pierre Lefebvre, chargé chez Air France des passagers handicapés. Dans nos exercices de sécurité, on prend en compte les enfants, les personnes âgées ou non-mobiles ». La compagnie utilise un simulateur, cabine montée sur vérins et qui bouge en tous sens, peut se renverser ou se coucher sur un côté, avec introduction de fumée ou autres incidents pouvant survenir. Les Personnels Navigants Commerciaux (PNC) sont confrontés à des passagers fictifs lors de jeux de rôles tenus par des employés d’Air France, dont d’autres PNC, mais aucune personne handicapée : « L’essentiel n’est pas de reproduire de façon strictement réaliste une situation d’évacuation, relève Jean-Pierre Lefebvre. Lors d’un accident, des passagers valides peuvent être gravement blessés, privés de l’usage de leurs jambes, ils peuvent être moins mobiles qu’un passager paraplégique. Le niveau de sécurité des personnes handicapées est équivalent à celui des autres passagers, compte-tenu des dégâts potentiels et des blessés; tous les passagers sont placés dans la même situation de stress, de péril physique, de détresse morale »

EasyJet dispose également, à son siège social de Luton en Angleterre, d’un simulateur de cabine. « L’entrainement à la sécurité est effectué de façon théorique pour ce qui concerne les passagers handicapés, explique sa directrice de la communication Europe, Céline Prenez. Nous n’utilisons pas de personnes handicapées ni d’employés simulant un handicap ».

« Dans les situations d’urgence, il n’y a pas de prise en charge de chaque individu alors que les personnes handicapées y sont très attachées, relève Antoine Santero, Secrétaire de la section Air France du Syndicat National des PNC Force Ouvrière. On doit faciliter l’évacuation d’urgence des passagers actifs, puis on va s’occuper de ceux qui restent assis, ou sont inactifs, c’est une question d’efficacité, pas de tri préalable des passagers ».

EasyJet procède de la même manière : « En cas d’atterrissage d’urgence, la priorité d’évacuation est donnée aux adultes mobiles, aux enfants puis aux passagers à mobilité réduite qui reçoivent soit l’assistance d’un personnel navigant, ou dans le cas d’une évacuation prévue, d’un passager en capacité, quand cela est possible, et à qui les consignes de sécurité ont été données ». Une règle qui prévaut d’ailleurs dans les hôpitaux et cliniques, où les patients les plus valides sont évacués avant ceux qui ont une pathologie lourde, puis ceux qui sont sous assistance respiratoire.

Jusqu’à récemment, Air France assignait des sièges aux passagers handicapés, en tête ou fond de cabine près d’une issue de secours. Une règle impérative supprimée à la demande des associations de personnes handicapées, au nom d’un traitement identique de tous les passagers qui doivent librement choisir leur place à bord… Seule exception : les sièges placés devant les accès aux issues de secours. « Les compagnies sont confrontées à des intérêts contradictoires, poursuit Antoine Santero, alors qu’elles veulent que tout se passe bien à bord ». EasyJet, pour sa part, demande au personnel de bord de noter les sièges occupés par des Personnes à Mobilité Réduite (PMR) embarquées en premier : « Nous les plaçons en priorité a la première rangée, où il y a plus d’espace pour les jambes, ce qui facilite les manoeuvres pour leurs accompagnateurs afin de les asseoir. C’est également facile d’accès, proche de la sortie et des toilettes donc plus simple et confortable pour une personne ayant des difficultés à se déplacer ». En pratique néanmoins, ces sièges n’ont pas d’accoudoir relevable et s’avèrent d’accès malaisé du fait d’une cloison leur faisant face; ce placement est visiblement incompatible avec l’évacuation d’urgence de passagers handicapés.

Censé remédier à la mobilité restreinte, l’obligation d’accompagnement imposée aux passagers paralysés ou aveugles pose un sérieux problème : cet accompagnant est-il capable de remplir le rôle que la compagnie attend de lui en cas d’évacuation d’urgence ? Par exemple, la mère d’un adulte tétraplégique pesant 90 kilos sera-t-elle en mesure de soulever son fils et le porter dans une cabine en désordre ou dévastée pour l’éjecter de l’avion ? Les autorités américaines ont trouvé une solution à ce problème : depuismai 2009, si une compagnie veut imposer un accompagnant, elle doit le fournir et prendre les frais à sa charge. Cette réglementation s’applique également hors des USA pour les liaisons effectuées en partage de code, en continuation d’un trajet en provenance ou à destination d’un aéroport de son territoire et s’impose, dans ce cas, dans les pays membres de l’Union Européenne.

C’est un règlement de cette dernière qui régit depuis juillet 2008 les relations entre passagers handicapés et compagnies aériennes sur son territoire. Mais les dispositions concernant l’autorisation d’embarquer à bord des avions ont révélé leur caractère flou, imprécis, propice à des interprétations créant des incidents vécus comme autant de discriminations. C’est ce règlement qui doit être réformé rapidement, dans le sens d’un alignement sur les dispositions nord-américaines qui ont montré la bonne voie… aérienne. 

Laurent Lejard, septembre 2010.

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