L’enquête HID (Handicaps, Invalidités et Déficiences) de l’Institut National de la Statistique et des Études Économiques a posé ce premier postulat : il n’y a pas de réponse à la question « combien de personnes handicapées vivent en France ». Tout d’abord parce qu’il faut s’entendre sur les termes : les médecins de l’Organisation Mondiale de la Santé font la différence entre les maladies, les déficiences, les incapacités et les désavantages. Pour l’OMS, le handicap regroupe les trois derniers domaines. Rien d’étonnant à que l’Insee évalue à plus huit millions les personnes touchées par des déficiences motrices, dues autant aux rhumatismes qu’aux paralysies (ces dernières n’affectent « que » 600.000 personnes environ). Si on ajoute les déficiences sensorielles (3,1 millions de personnes), organiques (troubles cardiaques, respiratoires, etc.) et mentales, on arrive au tiers de la population qui répond « oui » à la question « rencontrez- vous des difficultés motrices, sensorielles ou mentales dans la vie de tous les jours ».

Cela pose d’une toute autre manière la question de l’accessibilité : elle ne concerne plus seulement les « fauteuils » mais aussi 1 français sur 3, c’est à dire une importante partie de la population. L’installation d’ascenseurs, de trottoirs roulants, de cheminements nivelés et sans escaliers, de parcours urbains débarrassés de leurs multiples obstacles revêt une large utilité. L’aménagement des services et des transports publics comme privés devient une nécessité sociale.

Pas d’égalité devant le handicap. L’égalité des sexes ne résiste pas à l’analyse statistique. C’est ainsi que l’étude met en évidence une disparité hommes- femmes : les premiers subissent plus de déficiences sensorielles ou mentales, les secondes davantage de déficiences motrices. Les femmes sont deux fois moins nombreuses à percevoir une allocation que les hommes : ceux- ci sont neuf fois plus nombreux à percevoir une rente pour accident du travail que les femmes. Le travail pénible, dangereux, ou de force (bâtiment et travaux publics, manutention…) traditionnellement effectué par les hommes est certainement une première explication bien que l’enquête ne le précise pas. Les prospecteurs placiers chargés de reclasser les travailleurs handicapés ont depuis longtemps remarqué que le labeur est source d’invalidité.

Les disparités sociales ressortent aussi très nettement : on trouve trois fois plus d’enfants d’ouvriers ou d’employés dans les institutions que d’enfants de cadres ou de professions libérales. Le placement en établissement spécialisé apparaît comme le seul recours des familles démunies financièrement, celles qui ne peuvent payer sur leurs deniers des auxiliaires de vie ou aménager un logement avec des équipements généralement coûteux. La prise en charge de ces adaptations reste pour une partie importante à la charge de la personne : les dispositifs de financement sont mal connus, longs et compliqués à mettre en oeuvre, et laissent toujours une part de dépenses à la charge du bénéficiaire. Cette masse de contraintes repose essentiellement sur les personnes qui sont les moins aptes à les affronter.

Un isolement rompu avec l’âge. Les personnes handicapées se plaignent fréquemment de subir un isolement social. Pourtant, l’enquête HID constate que le nombre de personnes handicapées vivant à domicile et seules se réduit avec la montée en âge : deux fois plus nombreuses dans ce cas que l’ensemble de la population à 60 ans, elles sont à égalité à l’âge de 75 ans. Plus significative encore est la quantité de personnes vivant sans relations avec leur famille proche : jusqu’à l’âge de 80 ans, les handicapés sont 10 fois moins nombreux à être isolés. L’âge semble raviver les sentiments de solidarité familiale. Pour autant, les personnes âgées invalides vivent plus fréquemment en institutions.

Une donnée importante manque à cette étude : l’allongement de l’espérance de vie des personnes handicapées. Elle était estimée en moyenne à 50 ans tous handicaps confondus il y a une dizaine d’années. Les progrès médicaux et la recherche génétique ont eu comme effet de faire reculer la mortalité dans des pathologies aussi graves que les myopathies, le SIDA, la mucoviscidose, etc.

Il reste aux politiques de tenir compte et de bien analyser l’état de la population des handicapés en France. Les statistiques sont des outils indispensables pour prévoir les besoins d’un pays en équipements sanitaires et sociaux, pour anticiper sur les dépenses de santé de ceux qui vivront plus longtemps que leurs aînés, à pathologie identique. Rappelons qu’en Inde les infrastructures spécialisées sont prévues pour 1% de la population parce qu’un gouvernement avait estimé à ce pourcentage la part des personnes handicapées : 2001 sera l’année du recensement des handicapés dans ce pays, qui devra tenir compte des résultats et programmer les équipements nécessaires aux besoins des gens. Que fera la France pendant ce temps ?

Laurent Lejard, janvier 2001

« INSEE Première » est téléchargeable au format pdf. Enquête HID, menée depuis 1998 auprès de 35.000 personnes.

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