Cas
rare dans les annales : pour la deuxième fois en 18 mois, le Conseil
Constitutionnel retoque une même disposition législative supprimant
l'accessibilité aux constructions neuves. Et cette fois-ci, les
juges suprêmes du droit constitutionnel sanctionnent les parlementaires
au nom du principe d'intelligibilité et d'accessibilité de la
loi. "Le législateur a confié au pouvoir réglementaire le soin
de 'fixer les conditions dans lesquelles des mesures de substitution
peuvent être prises afin de répondre aux exigences de mise en
accessibilité' prévues à l'article L. 111-7; qu'en adoptant de
telles dispositions, qui ne répondent pas à l'objectif d'intelligibilité
et d'accessibilité de la loi, le législateur n'a pas précisément
défini l'objet des règles qui doivent être prises par le pouvoir
réglementaire pour assurer l'accessibilité aux bâtiments et parties
de bâtiments nouveaux; que le législateur a ainsi méconnu l'étendue
de sa compétence". En clair, le Conseil Constitutionnel reproche
aux parlementaires d'avoir confié au Gouvernement le soin d'écrire
la loi, pointant une entorse à l'un piliers du droit public de
notre pays.
Les deux ministres chargées des personnes handicapées ont une
lecture bien différente de cet arrêt cinglant : "Roselyne Bachelot-Narquin
et Marie-Anne Montchamp se réjouissent de la décision rendue par
le Conseil constitutionnel sur la loi Paul Blanc", proclame le
communiqué qu'elles ont publié. Affirmant que le Conseil constitutionnel
"a validé le principe de mesures de substitution" (ce qui est
manifestement inexact) et ajoutant que "L'article 20 permettra
quant à lui d'améliorer l'accessibilité dans les logements étudiants
et les résidences de tourisme. C'est une victoire pour les personnes
handicapées."
Beau mensonge : avec cette disposition, les promoteurs des résidences
de tourisme pourront se contenter de construire quelques logements
adaptés, privant les touristes handicapés de la liberté donnée
aux autres : choisir un appartement de vacances en fonction de
son orientation, du niveau de confort et du prix que l'on veut
ou peut y mettre. Si le précédent quota de 5% est appliqué, il
est évident que les touristes handicapés ne pourront louer que
dans la très étroite gamme de 5 logements sur 100 qu'on leur laissera.
Quant aux étudiants et aux jeunes, ils devront se satisfaire de
chambres en rez-de-chaussée, comme il est de règle dans ces constructions
à l'économie que sont les cités universitaires et les foyers de
jeunes travailleurs. Drôle de victoire...
Après quatre tentatives de suppression de l'accessibilité des
constructions, dont deux abandonnées lors des débats parlementaires,
y aura-t-il un cinquième texte ? Le Président de la République
a demandé au sénateur UMP du Loiret, Eric Doligé, de transformer
en proposition de loi son rapport du 16 juin dernier sur la simplification
des normes applicables aux collectivités locales. Un rapport qui
remet en cause la notion même d'accessibilité et propose, entre
autres, de retarder l'application de la loi de février 2005. Au
cabinet de la ministre des solidarités et de la cohésion sociale,
Roselyne Bachelot, on explique que le rapport Doligé n'est pas
la "feuille de route" du Gouvernement et que la proposition
de loi du Sénateur ne concernerait pas l'accessibilité. Ce qu'Eric
Doligé n'a pas voulu confirmer.
A quelques semaines des élections sénatoriales, l'accessibilité
est devenue un enjeu très politique : les dernières élections
locales ont été gagnées par les partis d'opposition, et les grands
électeurs qui voteront pour élire la moitié des sénateurs sont
issus de ces collectivités locales. Montrer à ces grands électeurs
que le Gouvernement soutient l'allégement de la (supposée très
coûteuse) mise en accessibilité des constructions existantes et
de la voirie peut convaincre certains de voter pour la majorité
actuelle, et la maintenir dans un Sénat qui va perdre l'un de
ses plus éminents membres : Paul Blanc, auteur de la loi que le
Conseil Constitutionnel vient de censurer partiellement, a décidé
de se retirer. Une deuxième bonne nouvelle en cet été maussade...
Laurent Lejard, août
2011.
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