Les compagnies aériennes demanderont-elles prochainement aux personnes obèses d’acquitter un prix de billet proportionnel à leur poids ? La question peut sembler saugrenue mais elle a pourtant trotté dans l’esprit de quelques dirigeants de compagnies à bas prix. Ryanair avait, par exemple, envisagé au printemps dernier de régler la question via un sondage auprès de ses clients, lesquels avaient conclu que les gros passagers devraient payer une taxe obésité ! La première cliente à avoir suggéré une telle taxe avait d’ailleurs été récompensée par un prix de 1.000€… Finalement, Ryanair a renoncé en mai 2009, faute de pouvoir organiser le calcul et la perception de cette taxe dans le laps de temps très court imposé aux opérations d’enregistrement et d’embarquement des passagers.

Mais voila désormais la compagnie Air France et son alliée KLM sous les feux de l’actualité : elles viennent d’annoncer une disposition tarifaire spécifique pour les passagers obèses qui ne peuvent prendre place entre les accoudoirs d’un seul siège. Il leur est proposé de payer un second siège à 75 % du tarif du premier, pour être assurés de voyager sur le vol sélectionné. Rien d’obligatoire dans cette proposition, mais les passagers concernés se voient clairement rappeler le risque de ne pas être acceptés « pour raisons de sécurité » par le commandant de bord, seul maître après Dieu selon la formule consacrée. La mansuétude d’Air France et KLM ira jusqu’à rembourser le passager de ce « sur-billet » si l’avion n’est pas complet.

Le simple bon sens amène à considérer que l’on fait payer aux personnes obèses le prix d’une situation physique que, pour la quasi-totalité, elles n’ont pas demandé à vivre. L’obésité est un trouble du métabolisme, une affection subie, elle ne résulte pas du seul besoin de (trop) manger ! De ce point de vue, l’obésité doit être considérée comme une maladie invalidante et les personnes qui en sont victimes être traitées à l’égal des personnes handicapées. C’est d’ailleurs le cas dans les transports en commun urbains, les autobus étant obligatoirement équipés de sièges à grande largeur depuis une directive européenne de 2001, applicable en France en 2005.

Le transport aérien, lui (du moins en classe économique qui s’apparente de plus en plus à une bétaillère) ne s’est pas adapté aux personnes en surpoids. Pourtant, des incidents surviennent régulièrement, notamment sur le continent nord-américain. Aux USA, la législation applicable aux personnes handicapées a conduit les compagnies aériennes à être extrêmement attentives aux besoins spécifiques, mais cette législation n’inclut pas explicitement les personnes obèses qui se voient appliquer l’achat d’un deuxième billet. Plus au nord, l’Office des Transports du Canada a interdit cette pratique en 2008, en l’étendant aux personnes handicapées pour lesquelles les compagnies aériennes exigent qu’elles soient accompagnées; dans ce cas, le billet de l’accompagnateur est à la charge de la compagnie.

C’est vers ce chemin d’équité et de traitement correct des passagers que devraient s’orienter les compagnies aériennes, si toutefois elles étaient soucieuses de l’agrément et du confort de leurs clients de la classe « bétaillère ». Installer quelques sièges larges apparaît tout à fait normal, les avions volant en Europe étant déjà équipés de berceaux pour les bébés, et de chaises de transfert pour les personnes paralysées (ou du moins devraient l’être). Parce que demander, comme cela se pratique actuellement, à un client obèse de voyager une fesse sur chaque siège et le dos appuyé contre l’accoudoir relevé ne saurait correspondre à ce que doit être le transport d’êtres humains. 

Laurent Lejard, janvier 2010.

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