Le 3 octobre dernier, les membres du Comité d’Entente des associations nationales représentatives de personnes handicapées ont été invités au Ministère de la Santé à une réunion, à laquelle j’ai participé, pour une présentation des projets de décrets relatifs à la loi du 11 février 2005. Au cours de cette réunion, Serge Milano, Conseiller technique de Philippe Bas, Ministre délégué à la Sécurité sociale, aux Personnes âgées, aux Personnes handicapées et à la Famille a déclaré notamment : « Communiquer ne fait pas partie et ne fera pas partie des actes essentiels à l’existence pour les personnes handicapées, le débat est clos ! »

Passée l’émotion, après avoir longuement réfléchi, il m’a semblé de mon devoir de réagir, à titre personnel, en tant qu’être humain, en tant que citoyen. Face à l’affirmation d’une telle conception de la personne humaine, face à une déclaration inacceptable, que ce soit au sujet de personnes valides ou handicapées, quel que soit le cadre technique de référence, je me devais d’agir.

Je pourrais comprendre que des contraintes éventuelles, financières ou autres, même des choix politiques impliquent que communiquer ne puisse être pris en compte dans certains dispositifs de compensation. Entendons-nous : Serge Milano lui-même a évoqué, à juste titre, que la communication, l’accès à l’information pourraient être pris en considération parfois, par certains dispositifs d’aide. Seulement, il n’est pas tolérable, pour moi, et en aucun cas, qu’un concept, voire un outil puisse définir les actes essentiels à l’existence en excluant la communication. Si un tel outil existe déjà, notre devoir est de le dénoncer. Nous ne pouvons accepter que le débat soit clos sur ce sujet !

Une société se fonde sur des valeurs considérées comme intangibles par les personnes qui la composent, en tous les cas, par ceux qui la dirigent, qui l’animent, responsables politiques, société civile, autorités morales et juridiques, toute force vive. Pourrions-nous accepter un futur où les êtres humains risqueraient alors d’être assimilés à des objets dans une définition ? Pourquoi pas une marchandisation des êtres ? Ce futur serait-il déjà le présent ? Quel paradoxe, dans un contexte où l’intégration des personnes handicapées est déclarée l’une des trois grandes priorités du Président de la République, dans ces temps de campagne nationale pour faire changer le regard porté sur les personnes handicapées !

Est-ce dans un même élan de pensée que le Gouvernement a rejeté les propositions d’intégrer dans la nouvelle loi en faveur des personnes handicapées l’accès aux loisirs, aux sports, aux pratiques culturelles ? Propositions pourtant adoptées par la Commission des affaires culturelles et sociales de l’Assemblée nationale (amendement 226). Il faut rappeler que cette loi du 11 février 2005, Egalité des chances, des droits, participation et citoyenneté des personnes handicapées, ne comporte à aucun endroit un quelconque chapitre consacré au traitement de ces thèmes, ni même les mots Sports, Loisirs, Culture… La loi ne prévoit aujourd’hui aucune place structurée pour les pôles ressources spécialisés dans l’accès des personnes handicapées aux pratiques culturelles qui se sont développés dans le secteur privé et public, notamment au sein du ministère de la culture et dans certains grands établissements culturels.

Ce qui différencie l’espèce humaine des plantes, des animaux, n’est-ce pas toute la dimension culturelle, artistique ? Quel signe le Gouvernement a-t-il envoyé quand il a exclu de la loi ces dimensions qui sont la richesse, l’essence même des êtres humains ? Malgré cela, tous les espoirs étaient encore permis, puisque Marie-Anne Montchamp, alors Secrétaire d’État aux personnes handicapées, avait indiqué que ces sujets seraient traités dans le cadre des décrets d’application, comme une déclinaison de l’accès aux Droits Fondamentaux mentionnés dans la Loi.

Par conséquent, je ne pouvais qu’être choqué lorsque, après cette réunion au ministère de la Santé, après également un entretien de trois quarts d’heure à la Présidence de la République avec Marie-Anne Montchamp, qui m’a confirmé sa vision concernant l’introduction de l’accès aux loisirs et à la culture dans les décrets d’application, Monsieur Milano, avec une tonalité vocale tendance Sex Pistols plutôt que Julio Iglesias, déclarait : « Jamais, jamais les loisirs et la culture ne feront partie d’aucun décret ! » Il avait oublié que la loi exige que les textes soient présentés pour avis au Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées avant d’être entérinés.

Devons-nous accepter qu’un simple conseiller ministériel assène ses diktats ? Qu’il impose des conceptions sur la personne humaine indignes d’un pays civilisé et prenne des décisions, seul, concernant les décrets d’une loi dont vont dépendre plusieurs millions de ses citoyens ? Non, et par-delà le lancement d’une pétition nationale, il m’a semblé opportun d’effectuer une saisine du Comité national d’éthique. Que cette pétition nationale handicap bouscule les peurs que suscite tout pouvoir et qu’elle permette, par-delà l’arrêt des dérives d’un Conseiller technique, un éveil national pour la dignité de tous en respectant enfin les citoyens que sont les personnes handicapées.


André Fertier, octobre 2005.

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