« Tout le monde ça n’existe pas » : tel est le titre d’un solo que présentera la comédienne belge Marie Limet, dans le cadre du festival européen théâtre et handicap Orphée, qui célèbre ses 10 ans et se déroulera du 17 septembre au 3 octobre 2013 dans les Yvelines, et avec une soirée exceptionnelle à Paris le 29 octobre. Créé en janvier 2013 à Bruxelles, « Tout le monde ça n’existe pas » ne sera représenté qu’une seule fois en France. Marie Limet a bien voulu expliquer comment elle conjugue les deux personnages qu’elle interprète.

Question : Vous êtes humoriste ?

Marie Limet : Mon langage se trouve vraiment entre la danse et le théâtre. C’est vrai que pour ce solo-là, j’ai beaucoup bossé, quand j’ai commencé à le travailler, j’ai suivi des ateliers de clown. Je ne me dirais pas « humoriste », mais il y a de l’humour dans ce spectacle, comme il y a de la danse, de la poésie, des coups de gueule…

Question : Dans ce spectacle, vous êtes Véra. Qui est-elle ?

Marie Limet : Mon idée était d’incarner une femme sublime, comme dans les magazines, la femme que j’aurais rêvée d’être. Et puis simplement en jouant avec les costumes et la perruque que j’ai trouvés, est apparu ce personnage un peu délirant, qui n’est pas du tout la femme que j’aurais rêvée d’être ! Une femme qui se donne une image, qui n’a pas sa langue dans sa poche et ne peut s’empêcher de dire des choses qui dérangent. Mais dans tout cela, il y a aussi une grande fragilité derrière son ton un peu provocant.

Question : Quelle est cette fragilité?

Marie Limet : 
Véra a très envie d’être aimée, mais elle n’est pas sûre que ce soit possible, parce qu’elle ne s’aime pas trop comme elle est.

Question : C’est-à-dire avec un bras en moins, un corps qui lui déplaît?

Marie Limet : Exactement. Véra est planquée derrière ses lunettes de soleil, sa perruque, sa prothèse, sa robe, ses hauts talons… Elle s’est fabriqué un personnage en croyant que c’était comme ça qu’elle devait être pour qu’on l’aime. Ou plutôt trois personnages : au fur et à mesure du spectacle, les couches s’en vont, elle ne tient plus dans ces personnages.

Question : Quelle est la part de la femme dans Véra, par rapport à ce corps qu’elle n’aime pas, pour assumer une féminité, le rapport aux autres, aux hommes?

Marie Limet : Véra est parfois comme une prostituée, au sens où elle est prête à tout pour qu’on l’aime. Elle a peu de limites. Elle est beaucoup dans la séduction, et en même temps avec un côté très naïf, enfantin, elle est toujours entre les deux.

Question : Quels sont les propos choquants que tient Véra, qui vont heurter, secouer le public ?

Marie Limet : Vous voulez dévoiler le spectacle ? (rires) Ce sont des choses que j’ai entendues, « ces enfants-là auxquels il manque quelque chose, on les voit dans le ventre de leur mère, on les tue ». Véra parle des monstres, elle se moque des handicapés mentaux. Cela peut choquer la presse, mais étrangement, le public, les gens qui ont un handicap rient beaucoup plus facilement et librement que les autres. Je crois qu’ils se reconnaissent dans certaines réflexions que l’on entend dans la rue. Ces propos qui pourraient être un peu choquants sont des choses que j’ai entendues, je n’ai rien inventé.

Question : Véra est un personnage de fiction, mais quelle est la part de Marie Limet dans Véra ?

Marie Limet : C’est très difficile à dire, parce qu’effectivement il y a beaucoup de points communs avec moi. Après, il y avait besoin de créer un personnage pour qu’il y ait une histoire. Parce qu’il est clair que le matériel, c’est moi, l’histoire de mon vécu. Je parle d’une thématique qui est quand même très personnelle, tout le monde ne la vit pas. Je la sors selon mon regard : c’est ma prothèse, c’est mon corps sur scène, il y a beaucoup de moi. Mais quand je joue, je suis une comédienne qui entre dans la peau de Véra, et ça me donne une grande liberté de jeu, et une distance. Parce que si c’était moi, ce serait trop chargé émotionnellement pour le spectateur… Ce qui m’a beaucoup aidé, c’est que j’ai travaillé avec Laure Saupique [metteure en scène NDLR] et son regard extérieur, un autre point de vue, un dialogue sur la thématique. Ce spectacle a pris énormément de temps à construire, je l’ai commencé en 2006 par de l’improvisation.

Question : Comment s’est déroulé votre parcours personnel ?

Marie Limet : J’ai fais tout mon parcours en milieu ordinaire, même si ma famille ne l’est pas tout à fait : je suis issue d’une famille nombreuse, avec d’autres enfants handicapés qui ont été adoptés, j’étais confrontée à des personnes handicapées dès mon jeune âge. J’ai toujours eu un parcours normal, à l’école, au collège, je voulais faire tout comme tout le monde. Mes parents m’ont soutenue, j’ai fait du violon, du cheval, de l’escalade, de la gymnastique… J’ai pu apprendre à me développer, me débrouiller, à trouver mes trucs pour le quotidien. Dans le même temps, j’étais très en colère à l’égard du « milieu handicapé ». Maintenant, ça va mieux, mais il y a parfois une dynamique qui ne me plaît pas du tout : de la pitié, de la charité mal placée. Je ne suis pas toujours d’accord avec ce milieu-là.


Propos recueillis par Laurent Lejard, septembre 2013.

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