C’est en Provence que Joël Chalude travaille assidûment ces temps- ci. Il anime chaque semaine plusieurs ateliers théâtre, à Toulon et Marseille : « cette ville est un désert culturel pour les sourds en matière de pratiques artistiques, il faut les fidéliser. La plupart des activités associatives se résument à des concours de belote ou de pétanque, il existe peu de tentatives diversifiées ». L’association Le Verseau, qu’il connaît bien pour en avoir été directeur adjoint durant une année, lui a demandé d’assurer une action de formation théâtrale : « j’ai tellement la passion du théâtre que j’y suis rapidement retourné ! »

L’expérience de Joël Chalude est ce que l’on peut qualifier de solide: formé au mime au sein de l’Ecole Internationale Marcel Marceau, il en obtint le 1er prix. Lauréat de la Fondation de la Vocation, les festivals internationaux de Paris et Brno (Tchéquie) lui ont décerné un Grand Prix. Il a joué durant 11 ans et plus de mille fois, dans de nombreux pays, l’un de ses premiers spectacles, « Le Mime Joël ». Durant les années 1992 à 1995, il enchaîne en compagnie d’Emmanuelle Laborit 500 représentations des « Enfants du silence », de Mark Medoff, qui remporte deux Molière en 1993. Suivront « Dis- tu m’écoutes », sur un texte de Jacq Dau, et d’autres pièces jusqu’à l’actuelle « Sorcière égarée », spectacle bilingue pour enfants, en tournée française. En cette Année Européenne des Personnes Handicapées, il travaille à un opéra- mime pour clowns, « Vie et mort d’un spectateur », qui sera créé à Marseille, sur la Scène Nationale du Merlan, du 12 au 18 novembre 2003.

Joël Chalude est né sourd, de parents (musiciens) entendants, et a été oralisé. S’il a acquis la langue des signes vers l’âge de trente ans, il continue à communiquer verbalement avec les entendants tout en étant à l’aise au milieu des sourds: « les anciens apprenaient le français écrit ou oral de manière coercitive, sans sens critique. Les jeunes sourds du Sud sont totalement privés de ce rapport à une langue écrite. Une grande partie d’entre eux viennent du Maghreb, les mariages consanguins augmentant le risque de surdité de naissance, et les enfants bénéficient de conventions entre la France et leurs pays d’origine pour leur scolarisation. Ceux qui sont en échec scolaire sont placés dans des centres spécialisés ». Des réflexes de violence peuvent alors apparaître: « travailler avec eux est difficile. J’arrive à les tenir parce que je suis sourd et qu’ils ont besoin d’un modèle. Ils voient un sourd qui est bien dans sa peau, volontiers provocateur. La provocation est une manière de canaliser les audaces pour éviter la violence »

« Mon objectif, dans les ateliers, est de pérenniser quelque chose sans m’inscrire dans le folklore marseillais, de fidéliser les sourds pour qu’ils poursuivent cette activité ». La tâche de Joël Chalude est difficile : plusieurs sourds ont refusé de travailler au contact des entendants et sont partis; les ateliers sont en effet ouverts à tous ceux que le théâtre intéressent, pourvu qu’ils puissent suffisamment communiquer en langue des signes, par refus d’un ghetto sourd. Par optimisme également : « mes spectacles tournent la surdité en dérision, parce qu’il y a des choses que l’on n’a pas besoin d’entendre ! ».

Laurent Lejard, avril 2003


Joël Chalude a créé une association d’artistes sourds, Symbioses, 67 rue Ferdinand Berthoud 95100 Argenteuil. Tél: 01 30 76 24 88, Fax: 01 30 76 24 88, Mél: fanny.joel.chalude@wanadoo.fr. Son autobiographie, « Je suis né deux fois » est parue aux éditions Autres Temps.

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