C’était il y a quelques semaines, dans le cadre un peu ampoulé des salons de la maire du 2e arrondissement de Paris. Un public mélangé d’une centaine de personnes, déficientes visuelles et voyantes, dansait le rock, la valse et bien d’autres. Sans faire tapisserie, chacun prenant place sur les parquets ou se reposant et papotant sur les chaises. Une ambiance conviviale alimentée par les morceaux de musique distillés par un DJ sur son ordinateur, organisée par l’une des rares, si ce n’est l’unique association de danse ludique mêlant voyants et déficients visuels, Danse un pas à deux.

Fatima, kinésithérapeute aveugle, avait depuis longtemps envie de danser, mais les cours lui étaient refusés : « J’allais dans des cours de voyants, mais on me répondait qu’il fallait prendre du temps pour m’expliquer les mouvements, les pas. Quand j’ai reçu un courriel avec les coordonnées de l’association Danse un pas à deux, j’ai sauté sur l’occasion. On a travaillé le rock et le tango l’an dernier, maintenant c’est rock et salsa. » Fatima suit les cours du samedi, à la Maison des Ensembles, dans le 12e arrondissement. Deux autres ateliers sont organisés chaque semaine, au centre résidentiel Valentin Haüy de Paris 19e, et au Centre d’animation Marc Sangnier du 14e arrondissement. Et l’association organise tous les deux mois des bals ouverts à tous, pour que voyants et déficients visuels s’endiablent dans la danse. L’association s’efforce d’avoir suffisamment de voyants pour guider les aveugles, afin que personne ne reste isolé. « Danser entre non-voyants, c’est un peu compliqué, s’amuse Fatima. Et c’est plus sympa de se mélanger. Quand on danse avec quelqu’un qui nous guide bien, on ne voit même plus le handicap. »

Fatima a commencé à suivre les cours mi-2010, et plus sérieusement en 2011 : « Ça fait du bien au corps, à la tête, ça libère. Le travail corporel m’intéresse, pour se le représenter dans l’espace, et donner au corps une certaine tenue, parce que quand on est non-voyant, on ne se tient pas forcément bien, on a des raideurs, des mauvaises postures, des tics dont on ne se rend pas toujours compte. Je trouve que la danse libère les articulations, décontracte, donne de la souplesse, on se sent vraiment bien dans son corps et sa tête. » Fatima a par ailleurs constaté plus de fluidité dans sa marche, de mobilité de hanches, une harmonie entre le corps et l’esprit. Et puis la danse est une activité sociable qui fait se rencontrer les gens.

Trésorier de Danse un pas à deux, Denis est un danseur « de longue date » qui a été intéressé à participer à cette danse en mixité : « Il faut des voyants qui se prêtent au jeu, et ils apprennent beaucoup de choses, c’est une sacrée aventure ! Danser avec un aveugle me fait travailler mon guidage, pour des mouvements très précis. Je suis aussi musicien, je me suis aperçu que cette danse a fait évoluer ma précision de gestes sur le manche de la guitare. » Denis ressent les tensions corporelles des danseuses aveugles, le besoin de les détendre, les mettre en sécurité pour leur faire sentir que les mouvements sont naturels, sans appréhension de heurter un obstacle. « Les aveugles vivent dans un univers dangereux pour eux, poursuit Denis, toujours sur le qui-vive, c’est à nous d’assurer leur sécurité, pour qu’ils s’autorisent à se mouvoir librement. Et là, ça devient plaisant. Les non-voyants veulent danser comme tout le monde, aller en boite, pas à part mais au milieu de tous. Les danseurs voyants, ou ceux qui veulent apprendre, parce que nous avons aussi des débutants, vivent une expérience extraordinaire. On apprend beaucoup sur l’humain, c’est une aventure à vivre ! »


Propos recueillis par Laurent Lejard, janvier 2012.


Renseignements : Danse un pas à 2, Leila Bennour, présidente. Tél. 06 15 62 04 26.

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