Trois années ont été nécessaires au réalisateur brésilien Ivy Goulart et à son producteur Marcelo Nigri, pour proposer ce film documentaire qui témoigne des aspirations et de la vie quotidienne d’adultes aveugles de la classe moyenne : Au-delà de la lumière plonge le spectateur dans cette réalité, au fil d’entretiens sensibles et sans tabous. Un film qui, paradoxalement, connaît davantage de projections et de retentissement à l’étranger : « Il est très difficile de pouvoir le projeter au Brésil, les gens ont trop de clichés », déplore Ivy Goulart, malgré la tonalité volontairement optimiste du documentaire, pour que les spectateurs en sortent avec de l’espoir.

Pourtant, chaque année se déroule au Brésil une semaine de valorisation des personnes handicapées. « J’habite dans le sud du Brésil, qui compte une importante population pauvre, poursuit Ivy Goulart. Je prépare d’ailleurs un film qui parlera des aveugles pauvres, mais pas dans la misère ou mendiants. Dans le monde du handicap, il n’est pas possible de tout montrer, on ne peut pas travailler sur tout le monde ». Au-delà de la lumière a été présenté à l’ONU, primé lors de son festival du film handicap, à l’Unesco, au Brésil, à Pékin. Le réalisateur a pris le temps nécessaire pour réaliser des versions en plusieurs langues, avec audiodescription et sous-titrage.

Les projections françaises ont été organisées par l’Association Sol do Sul, qui conduit depuis 2008 des échanges entre personnes handicapées de France et du Brésil. « La France est davantage évoluée en matière de handicap, explique sa présidente, Jaqueline Dreyer. Au Brésil, il n’y a pas d’allocations, le matériel spécifique est rare et cher, il y a peu d’adaptations. Avec de grandes différences entre régions, villes et campagnes. Rio de Janeiro est plus évoluée, du fait de la présence de l’Institut Benjamin Constant (IBC), qui dessert en fait tout le pays ».

Proche de l’administration de la province de Porto Alegre, qui débute une action sociale en direction des personnes handicapées, Sol do Sul souhaite s’étendre à tous les handicaps et veut profiter de l’ouverture au monde grâce à la Coupe du Monde de football de 2014 pour agir en faveur de moins de violence au Brésil.

Filmer la réalité brésilienne.

« Nous voyons au-delà de la lumière, parce que nous avons quelque chose en plus » : le propos introductif détonne. Métis âgé de 35 ans, Vanderlei Pereira, raconte comment sa soeur aveugle nettoyait la maison et surmontait son handicap; comme sa soeur, une rétinite pigmentaire d’origine génétique l’a progressivement aveuglé. Vanderlei a appris à jouer de la musique, mais n’a pu travailler à Rio de Janeiro. Alors il s’est exilé à New-York où il est batteur de jazz, mais s’il est heureux d’y vivre, il subit régulièrement la discrimination des conducteurs de taxis qui refusent de le transporter ou tentent de le faire payer plus cher.

Marié avec une musicienne, Susan, il s’est converti au judaïsme pour l’épouser, malgré l’acceptation difficile de la belle-famille de cette union avec un homme aveugle. Mais il estime que la cécité lui a ouvert le monde, et ne l’empêche pas faire des taches ménagères à la maison, ce qu’apprécie sa femme élevée dans une culture anglo-saxonne supposée égalitaire. Et pour pousser davantage l’aventure, il a créé le groupe de jazz Blindfold Test, dans lequel les autres musiciens jouent les yeux bandés.

Professeur de portugais, d’espagnol et de littérature, Maria da Gloria Almeida raconte sa perte de la vue à l’âge de 11 ans, l’annonce du handicap, puis ses études à l’IBC, qu’elle décrit dans sa diversité. « L’éducation redonne goût à la vie », explique-t-elle. L’institut gère un service d’impression en braille dont la production rayonne sur l’ensemble du continent sud-américain, et gère une importante bibliothèque. Mais les aveugles brésiliens subissent encore un manque de qualification professionnelle et des débouchés réduits. Heureusement, des projets innovants sont en cours, telle la formation de dégustateurs de café en liaison avec l’industrie locale. Malgré ces avancées, Maria da Gloria Almeida constate qu’il y a encore des progrès à réaliser pour une société égalitaire qui voit les gens avant le handicap.

Dans son domaine, l’instruction en locomotion, Valnei Teixeira partage cette opinion en déplorant les difficultés de faire admettre le chien-guide dans certains lieux, et les multiples obstacles urbains. « Il faut savoir encourager l’aide des gens, explique-t-il, et vaincre la peur par la canne blanche ». Néanmoins, il lui faut encore convaincre de l’intérêt de la locomotion pour déficients visuels, une technique de déplacement encore embryonnaire.

Laélio Inacio relate, pour sa part, les difficultés de déplacement à la canne blanche, dans des rues sans trottoir, avec très peu de feux sonores. Alexandre Raztki, professeur de braille, rencontre un problème particulier avec son chien-guide qui a été élevé aux USA : il n’a pas l’habitude des déchets qui parsèment les trottoirs et les rues, et mange partout au risque de devenir obèse ! « Ce qui manque encore, c’est le respect de la majorité des gens », constate-t-il.

Francisco de Assis Domingos et son épouse « Béta » Albertina Pessoa ont voulu faire un enfant, malgré leur cécité. Ensemble, ils participent à des conférences pédagogiques, dans des écoles notamment, il chante à la guitare. Autre couple, Vilmar Dal Toè est très attaché à sa femme Fatima, qui ne l’a jamais abandonné même après sa cécité. « Le bon côté de la cécité c’est de briser la discrimination sur la couleur, la taille, la beauté », affirme Vilmar Dal Toè.

Reste qu’avec un seul établissement spécialisé, l’immense Brésil demeure démuni. « L’Institut Benjamin Constant appartient au Gouvernement, qui travaille pour améliorer la situation dans un processus jeune de démocratie, conclut Ivy Goulart. Et le Gouvernement, c’est aussi nous ».

Laurent Lejard, janvier 2011.

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