Rares sont les expositions temporaires adaptées aux déficients visuels. « Photographier Lyon en guerre » fait partie de celles-là, qui présente jusqu’au 25 juin 2006 la collection Émile Rougé, photographe amateur dont les images constituent un témoignage unique de la vie quotidienne des lyonnais durant la préparation et les événements de la Deuxième guerre mondiale. Ses clichés furent rassemblés dans le livre « Lyon sous la botte », publié en 1945 et dont le succès convainquit Émile Rougé de s’installer comme photographe professionnel. Mais depuis lors, ses images de Lyon durant la guerre n’avaient servi qu’à l’illustration ponctuelle de livres historiques. En les exposant, le Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation (C.H.R.D) montre aux visiteurs comment Lyon vécut ses deux occupations, puis sa libération. A tous, parce que ce musée et centre de recherche historique déjà labellisé Tourisme et Handicap moteur, auditif et mental, ajoute à son palmarès une exposition conçue pour que les visiteurs déficients visuels la visitent en toute autonomie.

Une adaptation à laquelle ont participé des élèves de l’Établissement Régional d’Enseignement Adapté de Villeurbanne : « On avait visité des expositions avec des petits aménagements, commente Marie-Antoinette Avich, professeur au collège. On a décidé de participer à la réalisation de l’adaptation à la demande de la direction du C.H.R.D ». « Je voulais faire un stage dans le Centre, complète Guler, l’une des élèves associés au projet. C’est la première fois que je vois une exposition adaptée aux déficients visuels, avec audioguide, braille, relief ». Mais comme ses camarades, elle trouve qu’il y a trop de détails à percevoir dans certaines images en relief. « On retravaillerait volontiers sur une exposition, conclut Laurie, c’est génial qu’on ait pensé à ça, on peut visiter sans aide, sans dépendre de quelqu’un ».

Dès l’entrée, un marquage podotactile guide le visiteur vers le premier panneau de l’exposition. Là, il longe de la main une tablette inclinée jusqu’à un point en relief qui marque une image commentée ou un cartel; une ligne en relief conduit la main vers le début du texte braille et la partie d’image correspondante. Une partie des photographies a été mise en relief selon deux procédés : résine transparente au modelé proche d’une sculpture pour les portraits, mise en relief des autres images avec utilisation de textures pour différencier objet, personnages et paysage dont les éléments sont traités dans des couleurs contrastées. Après lecture et perception tactile des documents, le visiteur replace sa main sur le bord de la tablette et poursuit ainsi sa visite. A la fin d’une salle, il dispose du marquage podotactile et d’une main courante pour se rendre au panneau suivant. Les textes des panneaux et des cartels ont été réalisés en caractères agrandis, noir sur fond blanc, un procédé que le Centre veut désormais systématiser pour le confort de tous les visiteurs. Enfin, un audioguide, identique pour tous les visiteurs, présente l’ensemble des photographies et apporte des éléments d’appréciation et de compréhension.

Cette exposition ne se déroule pas dans un lieu anodin : le C.H.R.D est installé dans l’un des bâtiments de l’ancienne école de santé militaire, dans laquelle la Gestapo prit ses quartiers, de la deuxième occupation de Lyon le 11 novembre 1942 à sa libération le 3 septembre 1944. Dans ses caves voûtées, aux parois noircies, Klaus Barbie et ses sbires y torturèrent des résistants, dont Jean Moulin. Ce sont ces même caves qui accueillent « Photographier Lyon en guerre ». Au fil des salles, on découvre comment la Capitale des Gaules se prépara en 1938-39 en construisant tranchés et abris, puis subit une première occupation du 19 juin au 7 juillet 1940, et vécut durant les périodes de l’État Français (Régime de Vichy) puis de la seconde occupation à partir de novembre 1942. Émile Rougé fit peu de clichés durant cette dernière période, du fait de l’omniprésence militaire et policière et de la pénurie de pellicule; on lui doit néanmoins la seule image connue de juifs raflés et montant dans des autocars les conduisant dans un camp de concentration. Lequel, les historiens ne sont pas parvenus à le déterminer. Rougé montre également l’une des dernières réunions de la Milice, le sinistre Philippe Henriot paradant à la tribune lors de la fête Jeanne d’Arc le 14 mai 1944, quelques semaines avant d’être battu par des résistants. Puis c’est le bombardement allié du 26 mai 1944, qui visait les voies de chemins de fer mais détruisit de nombreux immeubles alentour, la Libération avec son cortège d’exultation, et enfin la liesse de la célébration de l’armistice du 8 mai 1945.

« Nous avons eu la volonté de montrer des images jamais exposées, explique Isabelle Doré-Rivé, directrice du Centre. Et nous avons voulu profiter du label Tourisme et Handicap pour nous ouvrir à tous, sans discrimination. Tout ce qui est Mémoire doit être à la portée de chacun ». Une action que le C.H.R.D s’engage à poursuivre en rendant accessibles aux déficients visuels d’autres expositions thématiques.

Laurent Lejard, mars 2006.


Photographier Lyon en guerre. Exposition jusqu’au 25 juin 2006 au Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation (C.H.R.D) 14 avenue Berthelot 69007 Lyon. Tél. 04 78 72 23 11. Ouverture du mercredi au vendredi de 9h à 17h30, les samedi et dimanche de 9h30 à 18h; ouvert le 8 mai, mais pas les autres jours fériés. Le Centre, qui comporte un bibliothèque, propose également une collection permanente, d’autres expositions temporaires et diffuse des extraits du procès de Klaus Barbie (1987).

Partagez !