Cela fait trois ans que la Directive Européenne 2001/29 du 22 mai 2001 relative à « l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information » devait être transposée en droit français. Maintes fois annoncé, ce chantier législatif est enfin entrepris par le Parlement, l’Assemblée Nationale ayant commencé fin décembre 2005 l’examen du projet de loi idoine, qui crée une exception aux droits exclusifs en faveur des personnes handicapées. Cette exception figure dans l’article 1 de la loi et il a été partiellement examiné par les députés, le gouvernement décidant de « réserver » (c’est-à-dire repousser à plus tard) la discussion sur cet article : ce report est consécutif à l’adoption d’un amendement autorisant la copie privée au titre d’une « licence globale », ce que le gouvernement refuse. Ce n’est qu’après la reprise du débat à l’Assemblée Nationale, le 17 janvier 2006, que le sort de l’exception handicap sera scellé : la loi droit d’auteur ne sera examinée qu’une seule fois par l’Assemblée et le Sénat, le gouvernement ayant demandé l’urgence pour réduire la durée des débats.

Une exception, pourquoi ? Actuellement, il faut demander au détenteur du droit d’auteur l’autorisation de réaliser une version adaptée de son oeuvre, destinée à des publics handicapés et plus précisément déficients visuels. Les associations d’aveugles signent un accord pour chaque livre, ou, comme l’Association Valentin Haüy, avec une organisation professionnelle, telle la Société des Éditeurs de Langue Française. D’autres travaillent dans l’illégalité, comptant sur la bienveillance ou le désintérêt des éditeurs vis-à-vis d’une édition adaptée considérée comme marginale. Le projet de loi droit d’auteur légalise la possibilité de réaliser l’édition adaptée d’un livre nouvellement paru, mais n’accorde pas un droit absolu : il contraint encore éditeurs et associations, dûment agréées au préalable par l’État, à conclure un accord. Il traite l’édition adaptée comme une activité non marchande, assurée uniquement par des organisations à but non lucratif et dans un cadre de prêt d’ouvrages. Il ne contient aucun engagement financier de l’État ou des collectivités locales pour soutenir la création de livres adaptés.

Une loi efficace ? Les associations d’aveugles et malvoyants s’efforcent de peser sur le débat en s’exprimant via le Comité national pour la promotion sociale des aveugles et des amblyopes (C.N.P.S.A.A). Son délégué sur ce dossier, Sylvain Nivard, constate que le projet de loi permettra de donner un cadre légal à l’édition adaptée. Tout en notant l’écart entre livre numérique et papier : « Actuellement, le seul catalogue de livres numériques pour déficients visuels disponible en France, le serveur Hélène, compte 1.500 tires au bout de dix ans d’efforts, alors que chaque année 50.000 livres sont publiés dans le pays ». D’autres organisations disposent d’un catalogue, telle l’association Sésame (6.000 titres), mais comment respectent-elles la législation en vigueur sur le droit d’auteur ? Certaines pratiques en marge de la loi vont pouvoir enfin disparaître.

« Il manque sur ce sujet l’implication de l’État, poursuit Sylvain Nivard. Nous souhaitons qu’il soit signataire de conventions tripartites avec les éditeurs et les associations agréées, et qu’il injecte des moyens. On voit bien le désir de l’État de ne pas s’engager pour ne pas avoir à financer, il agit un peu comme Ponce Pilate dans ce dossier ». Sylvain Nivard déplore également que la nouvelle législation ne concerne que le livre, les associations souhaitant l’appliquer à l’ensemble des publications. Si les députés ont déjà étendu le bénéfice de l’exception droit d’auteur aux personnes « reconnues par certificat médical comme empêchées de lire après correction [visuelle] », le débat sur le fichier source n’est pas tranché : l’obligation faite à chaque éditeur de remettre au Dépôt Légal (assuré par la Bibliothèque Nationale de France) un exemplaire numérique des livres qu’il publie a été rejetée.

Le fichier source permettrait d’éviter à l’organisme adaptant des ouvrages de devoir les scanner, étape longue et fastidieuse, la crainte du piratage engendrant une véritable paranoïa de la part des éditeurs. Sur ce point, le gouvernement devrait soutenir un amendement autorisant l’accès « aux livres dans un format électronique exploitable, lorsque celui-ci existe » sous réserve de la signature d’une convention garantissant « la confidentialité et la sécurisation, tout en limitant strictement leur usage [aux personnes handicapées] ».

De son côté, Alain Patez, en charge de la création d’un Bibliothèque Numérique Handicap à l’Espace Landowski de Boulogne Billancourt (92), redoute les réactions des éditeurs : « On est dans un brouillard total. On s’interroge sur la négociation des droits d’édition numérique entre éditeurs et auteurs ». S’il estime judicieux que les bibliothèques et centres de documentation puissent également réaliser de l’édition adaptée (ainsi que l’ont décidé les députés avec le soutien du gouvernement) il s’interroge sur leur capacité à le faire : « La plupart des bibliothèques ne disposent pas de matériel de scan et de transcription. Actuellement, 3 des 3.000 bibliothèques françaises proposent des livres numériques ». Alain Patez ne cache pas son inquiétude vis-à-vis des éditeurs : « Je doute qu’une loi puisse aplanir le sujet. Plus d’une génération sera nécessaire pour faire évoluer les mentalités »…

Laurent Lejard, janvier 2006.

Partagez !