Étoile filante d’une génération de jazzmen aveugles, Blind Lemon Jefferson fut l’inspirateur, entre autres, de Louis Armstrong et Bessie Smith. Né dans les années 1890 (les sources sont incertaines) dans une communauté agricole de Coutchman (sud du Texas), Clarence « Lemon » Jefferson était probablement aveugle de naissance avec une perception résiduelle des ombres. Sans éducation mais doué d’une voix haute et claire ainsi que d’un jeu de guitare caractéristique, il débuta comme musicien de rue dans les villes du Texas où il fit probablement la connaissance de Willie Johnson (1902- 1947), autre bluesman aveugle, et comme lui très pauvre, qui devait poursuivre une carrière moins brillante. Il s’installa à Dallas un peu avant 1917. C’est là qu’il rencontra le légendaire Huddie Ledbetter, alias Leadbelly (1885- 1949), à la réputation sulfureuse mais qui était alors le plus grand bluesman du pays. Ils jouèrent ensemble entre deux incarcérations de Leadbelly, lequel, bien des années plus tard, dédiera à son ami son Blind Lemon’s Blues.

A l’instar de son confrère William « Blind Willie » McTell (1898- 1959), Lemon devint peu à peu célèbre grâce à la puissance évocatrice de son art et eut, au cours des années 1920, l’occasion de se produire dans la plupart des États du sud des U.S.A et plus particulièrement le delta du Mississippi, autre patrie du blues. Ainsi que l’explique Yorka dans son Parcours du Blues, « à l’inverse des pères fondateurs du blues du Delta, leurs homologues texans furent de véritables conteurs d’histoires ayant pour cadre la vie quotidienne de la communauté noire, qu’elle fût rurale ou urbanisée. Le tout exprimé avec beaucoup d’humour, voire de dérision. Au coeur de nombreux blues, le ‘boll weevil’ [charançon du cotonnier] devenait ainsi un héros capable de survivre aux insecticides, héros qui livrait contre le fermier un combat peu différent de celui que menaient les Noirs face à l’oppression blanche ».

Lemon Jefferson devint l’un des artistes les plus populaires des années 1920, tant et si bien que la firme Paramount lui ouvrit toutes grandes les portes de ses studios d’enregistrement de Chicago. Plus de 70 albums sortiront de cette alliance fructueuse (discographie disponible en suivant ce lien). Lemon Jefferson enregistra également des Negro Spirituals sous le pseudonyme de Deacon L. J. Bates.

On ignore s’il se maria mais certaines sources l’affirment, ajoutant qu’il eut même un fils. Lemon Jefferson mourut prématurément à Chicago vers la fin du mois de décembre 1929 dans des circonstances qui ne furent jamais élucidées: froid, attaque cardiaque, meurtre? Il laisse à la postérité plusieurs chefs- d’oeuvre, « Long Lonesome Blues » (1926), « Shuckin’ Sugar Blues » (1926), « Jack O’Diamond Blues » (1926), « Black Snake Moan » (1927), « Match Box Blues » (1927), « Blind Lemon’s Penitentiary Blues » (1928), « Hangman’s Blues » (1928), « Pneumonia Blues » (1929), qui en font le vrai créateur du blues texan.

Sa dépouille fut ramenée en train au Texas par son ami le pianiste Will Ezell (1896- 1942). Il repose désormais au cimetière de Wortham, non loin de son lieu de naissance. Vers la fin des années 1960, un groupe de fans lui a élevé un monument plus digne de son apport à l’histoire de la musique, monument rénové en 1997 grâce à une souscription réalisée sur Internet. En guise d’épitaphe, le titre d’une chanson du Maître : « See that My Grave is Kept Clean » (« veillez à ce que ma tombe soit entretenue »). Plus récemment, Blues Magazine relevait qu’il était désormais possible aux automobilistes texans d’acquérir (moyennant une vingtaine d’euros) une plaque d’immatriculation à l’effigie de Blind Lemon Jefferson, retenu parmi une liste de 478 musiciens du Texas…

Jacques Vernes, janvier 2004.

Partagez !