Avec 1,3 millions de visiteurs, dont 300.000 pèlerins parcourant l’un des chemins vers Saint-Jacques de Compostelle, Chartres est un haut-lieu du tourisme culturel et religieux. Elle le doit à sa spectaculaire cathédrale gothique (accessible de plain-pied par le portail principal), que l’on distingue de loin comme si elle était posée en pleine campagne. En soirée, c’est une autre Chartres que l’on découvre, grâce à la mise en lumières de près d’une trentaine de monuments et sites, un spectacle gratuit de déambulation qui se déroule depuis 2003 tous les soirs à partir de la mi-mai jusqu’à la fin de l’été.

Un parcours que l’on peut effectuer dans le petit train touristique (pas d’aménagement, transfert nécessaire) qui part du parvis d’une cathédrale dont le huitième centenaire a été célébré en 1994. Sa façade principale de style roman, assez dépouillée, est ornée d’une célèbre rosace en vitrail (masquée pour quelques mois par un échafaudage) surmontée d’une galerie sculptée de monarques ayant régné avant la construction de l’édifice (on note l’immense Charlemagne en son centre et son père Pépin le Bref à sa gauche juché sur un piédestal masqué par un chien !), et encadré de deux tours dissemblables : à droite, de style roman, à la flèche « écailles de poisson », celle de gauche bâtie, faute d’argent, 300 ans plus tard en gothique flamboyant. L’ensemble est resté globalement dans l’état de l’époque de construction, épargné par les guerres de religion et la Révolution, la plupart des vitraux préservés, démontés lors de la seconde guerre mondiale. La façade, les entrées, et les tours de la cathédrale étaient entièrement peintes, et une projection fixe sur le portail nord restitue les couleurs médiévales à partir des traces qui ont franchi les siècles.

De la première église du IVe siècle, rien n’a été trouvé. Restent quelques murs de la crypte carolingienne (IXe siècle), époque du règne de Charles le Chauve qui offrit à Chartres la « Santa Camicia » de la Vierge, qui était exposée à Aix-la-Chapelle du vivant de Charlemagne. En fait de relique, une expertise moderne a prouvé que le tissu datait du VIIIe siècle… Cette supposée Sainte Chemise qui attira des millions de pèlerins est toujours exposée dans le déambulatoire (accessible par rampe), perçue davantage comme un objet historique que de vénération. Autre curiosité, un labyrinthe dessiné dans la nef par un assemblage de pierres noires, avec en son centre une plaque de cuivre représentant Thésée combattant le Minotaure, dont il ne reste que les clous. Considéré comme païen par bien des catholiques, ce labyrinthe fascine nombre de visiteurs dont certains le parcourent pieds nus lorsqu’il est dégagé des chaises d’église, chaque vendredi soir, de Carême à Toussaint. Ne dit-on pas qu’il compte autant de dalles que le nombre de jours d’une grossesse, pour arriver à cette lutte du bien contre le mal imagée par le combat de Thésée contre le Minotaure avant de renaître en faisant le parcours en sens inverse ?

Bien d’autres détails attirent la curiosité : dans le transept, par exemple, un vitrail « pré sali » offert par des américains en 1954, son aspect noirâtre devant le fondre parmi les vitraux anciens auxquels une vaste campagne de nettoyage et restauration rend progressivement la clarté d’origine. Dans le déambulatoire, une Vierge à l’enfant à la robe bleue de cobalt est le plus ancien vitrail roman, intégré dans un vitrail gothique. Outre sa dentelle de pierre aussi remarquable que fragile, le tour de choeur sculpté présente une Circoncision de Jésus très réaliste (aux dires d’un rabbin habitué du geste). À côté, l’une des plus anciennes horloges astronomiques, avec un cadran de 24 heures marquant les phases du soleil et de la lune et pointant le zodiaque, une mécanique fabriquée en 1407 et modifiée en 1528.

Lorsque l’on sort de la cathédrale, on remarque, sur la maison canoniale qui lui fait face, des tympans sculptés profanes : vigne et autres plantes à faire de l’alcool, jeu de dés et bagarre, « vices » auxquels s’adonnaient les réfugiés au titre du droit d’asile dormant dans la cathédrale ! Un spectacle qu’a peut-être vu le roi Henri III qui logeait dans cette maison canoniale alors qu’il venait en dévotion demander un fils… qu’il n’eut pas.

Chartres en Lumières - Théâtre © François Delauney XRScénographie

Si Chartres en lumières enveloppe toute la cathédrale, bien d’autres bâtiments sont remarquablement traités, telle la Chapelle Sainte-Foy devenue salle des ventes. C’est au gré d’objets qui sortent des tiroirs d’une commode pour être finalement adjugés que le spectateur est invité à réfléchir sur l’enfance et le temps qui passe. De l’autre côté de la place des Epars, l’ancienne Poste réaménagée en médiathèque déploie son imposante architecture Art Nouveau tardif (1927), magnifiée encore davantage par une projection animée de femmes de la Belle Epoque et de motifs floraux de ce temps. En suivant le boulevard, on parvient au théâtre municipal transformé en temple de la danse et de l’opéra dans une projection mouvante et musicale.

En revenant dans la cité ancienne, la place Evora rend hommage au Portugal, en plaquant d’azulejos la façade de l’ancien couvent des Cordeliers pour une symphonie de motifs colorés ou simplement bleus. Derrière l’Hôtel de Ville moderne, la façade du Palais Montescot plonge le spectateur dans 2.000 ans d’architecture chartraine animée, du temple romain jusqu’à nos jours. Place Billard, où se déroule le marché, le château Comtal est retrouvé le temps de sa projection nocturne. La Collégiale Saint-André est le point de départ d’une déambulation au bord de l’Eure, célébrant lavandières et vieux lavoirs restaurés, parfois transformés en pièces d’habitation ou salle de restaurant. Les ponts eux-mêmes se parent de textes à décrypter. Telle une apothéose lumineuse, l’église Saint-Pierre (non visitable par les personnes en fauteuil roulant) est une belle réussite, avec ses vitraux éclairés de l’intérieur et ses murs consacrés à la châsse de Saint-Fulbert. Bien d’autres beautés guettent le visiteur rue des Ecuyers ou rue Saint-Pierre (pentue, qu’il vaut mieux descendre que monter), sur l’église Saint-Aignan (hélas inaccessible), le Grenier à sel ou dans le Vieux Chartres.

Dans ce quartier, la Maison du Saumon accueille volontiers les visiteurs depuis qu’elle est récemment devenue le siège de l’Office de Tourisme. Datée fin XVe, elle est à colombage à double encorbellement, et doit son nom au gros poisson sculpté sur son pilier central; outre des informations touristiques et une salle d’exposition à l’étage desservi par ascenseur, vous trouverez-là des toilettes adaptées bien rares dans la ville ancienne (des WC publics payants sont ouverts en journée sur le parvis de la cathédrale). La Maison du Saumon est l’une des rares à se montrer « nue », la plupart des autres maisons à pans de bois étant enduites ou crépies, avec piliers et linteaux (très) refaits.

Sur la proche place du Cygne, la Maison de la Voûte est un rare témoignage de l’architecture civile gothique, à fenêtres et tympans XIIIe et cave voutée XIIe. Dans la rue Noël Ballay voisine, le Logis Claude Huvé nous renvoie à la Renaissance : l’entrée donne sur une cour occupée par une librairie ; au fond, le logis et ses fenêtres à meneaux ; dessous, une cave voûtée. En revenant sur vos pas par la rue du Soleil d’Or, arrêtez-vous devant la boucherie Pinson (encore exploitée), telle qu’on n’en voit plus, avec billot de bois et carrelage, étal de part et d’autre de l’entrée.

Si la promenade est aisée dans cette partie de la ville ancienne, il faut espérer que les travaux de voirie annoncés autour de la cathédrale amélioreront la qualité des trottoirs, les abaissés étant fréquemment absents. Les pavés, plats pour la plupart et avec joints affleurants, sont roulables. Sachez enfin qu’une grande partie du Vieux Chartres est fermée à la circulation automobile et que s’il contient de nombreux emplacements de stationnement réservé (certains payants), leur respect ne semble pas une qualité locale… Vous pouvez préférer le bus, à l’exception de la navette bleue, seule encore à résister à l’accessibilité des transports collectifs.

Avant de quitter cette partie de la ville, vous pourrez approfondir votre connaissance du vitrail ancien au Centre international ouvert en 1980 dans un ancien cellier rénové proche de la cathédrale. Outre une collection de vitraux médiévaux et Renaissance, vous pourrez vous initier à la fabrication lors d’ateliers pédagogiques. Il est dommage que le niveau inférieur, consacré à la création contemporaine, attende encore un ascenseur pourtant prévu de longue date, et que les supports de visite pour déficients visuels n’aient pas été renouvelés lors du changement de muséographie, faute de fréquentation par le public auquel ils étaient destinés. Mais vous apprendrez ici comment se conserve ou se dégrade le verre médiéval teinté dans la masse ou peint depuis la Renaissance.

Maison Picassiette, la cour noire, © Musée des Beaux-Arts de Chartres

Pour rester dans le foisonnement, deux escales pour conclure ce Chartres coloré : d’abord, en quittant le coeur de ville, la maison Picassiette, surnom donnée à l’oeuvre d’une vie, celle du cantonnier Raymond Isidore qui a recouvert sols, murs et même mobilier de morceaux d’assiettes de tous styles, incrustant parfois de tous petits objets. Très pieux, il a représenté des scènes religieuses, de nombreuses églises et des panoramas de Chartres et de Jérusalem dans les cours de sa maison, décoré la chapelle. Au gré des pièces, on croise également La Joconde ou même Landru, le célèbre tueur de dames ! Cet ensemble d’art naïf est captivant à voir, autant par le foisonnement de l’intelligence créatrice que par la diversité des techniques. Si l’accès extérieur est pentu et en dévers, la maison, les cours et le jardin sont accessibles aux fauteuils roulants d’une largeur inférieure à 70cm; toilettes adaptées.

Enfin, passage fortement conseillé par la cité HLM Bel-Air, dont les murs de béton de quatre immeubles sont décorés de scènes réalistes : champ moissonné et pâture, évocation de la fabrication de parfums avec un amas de pétales et un distillateur, représentation des bords de l’Eure et de ses oiseaux, placage de façades urbaines de divers styles, etc. Ces tableaux en trompe-l’oeil ont été élaborés en collaboration avec les habitants des appartements, dont quelques-uns sont d’ailleurs présents sur quelques scènes, et demeurent en l’état de leur création il y a près de quatre ans. Une autre approche des couleurs de Chartres…

Laurent Lejard, juillet 2011.

Chartres en lumières fonctionne tous les soirs de 22h à 1h du matin, en musique pour quelques lieux, depuis le 21 mai pour l’édition 2011. Elle sera clôturée par une grande fête populaire durant le week-end des 16 et 17 septembre, avec un parcours lumière dans la ville, des animations et spectacles de rue gratuits.

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