L’Andalousie est une vaste région frontalière qui s’étend de l’Atlantique à la Méditerranée. Baignée au nord par le fleuve Guadalquivir, ses principales cités portent des noms légendaires : Séville, Cordoue, Grenade, Cadix… Eternel point de contact avec le Monde Arabe, elle en demeure le prolongement, en même temps qu’une porte d’entrée vers l’Europe. Rêvée par deux civilisations, elle est un témoignage unique de ce que ses peuples ont accompli de pire et de meilleur…

Le rythme de vie andalou et l’atmosphère qui règne dans les différentes villes engagent à prendre son temps : en Andalousie plus qu’ailleurs il serait dommage de se presser en espérant tout visiter. La solution qui consiste à louer un véhicule et parcourir la région par étapes est probablement la plus intéressante. En outre, le stationnement est gratuit pour les véhicules arborant la Carte européenne de stationnement. Côté hébergement, on trouve de tout à tous les prix, les établissements les plus confortables (et les mieux dotés côté accessibilité) restant sans conteste les luxueux Paradores, généralement situés au coeur des principaux sites touristiques. Tarifs en conséquence mais émotion garantie !

Édifiée au bord du « Guadalquivir à la barbe grenat » cher au poète Federico García LorcaSéville est la capitale de l’Andalousie. Elle compte plus de 700.000 habitants. A son nom sont attachés ceux du sombre Don Juan, du barbier Figaro et surtout de Carmen la gitane, poignardée devant les arènes pour l’amour d’un toréador et les oreilles du monde entier ! C’est également à Séville que Miguel de Cervantès a conçu son célèbre Don Quichotte. Plus près de la réalité historique, Séville fut, du VIIIe au XIIIe siècle, le siège du califat d’Al-Andalus, nom arabe de l’Espagne. Outre le plan de la vieille ville, subsistent deux témoins éclatants de cette époque : l’Alcazar (palais royal) et le minaret, devenu clocher avec sa girouette (Giralda) qui a donné son nom à la cathédrale.

La cathédrale est un édifice colossal édifié entre 1402 et 1506 sur l’emplacement de l’ancienne grande mosquée. Parfaitement accessible (entrée gratuite, ainsi que pour l’accompagnateur), elle déploie une décoration extrêmement chargée où les ors surabondent : 116m de long, 76 de large et une hauteur de 56m sous le transept; c’est la troisième au monde après Saint-Pierre de Rome et Saint-Paul de Londres. On y déambule un peu hagard, ne sachant trop où poser les yeux, découvrant ici un trésor richissime qui croule sous les pierres précieuses, là le tombeau de Christophe Colomb (ses cendres ont été rapatriées de la Havane en 1894), et encore de somptueux vitraux, retables, autels flamboyants, statues tourmentées…

On se rappellera, pour l’occasion, que Séville abrite l’une des plus ferventes Semaine sainte d’Espagne, avec catafalques et pénitents, et que l’Inquisition y fit parmi ses plus sanglants ravages. Les plus courageux (et costauds) pourront même faire l’ascension du clocher (93m) où on accède par une succession de rampes à forte inclinaison. Vue imprenable depuis le sommet.

Le second vestige maure de Séville est l’Alcazar (de l’arabe al kasr, emprunt au latin castrum, château) qui se décline ici au pluriel car ses antiques murailles abritent plusieurs palais. Maintes fois remaniés depuis le Xe siècle, ils ont conservé le statut de palais royal puisque la famille régnante y dispose encore d’appartements officiels. L’accessibilité n’est que partielle (nombreuses marches, peu de rampes) mais mérite largement qu’on fatigue un accompagnateur ou qu’on se fasse aider : il faut absolument franchir le(s) seuil(s) du palais du Roi Pierre (XIVe siècle) qui est un chef d’oeuvre de l’art mudéjar (prononcer « moudérhar », altération de l’arabe mudayyan, « pratiquant », nom donné aux musulmans devenus sujets des chrétiens). Avec ses marbres, ses stucs, ses cours, ses bassins, ses jeux d’ombre et de lumière, l’endroit laisse un souvenir ineffable.

Il faut également prendre le temps de rêvasser dans le palais gothique et renaissance de Charles Quint en contemplant les merveilleux jardins qui s’étendent en contrebas, dont les jeux d’eaux bruissent à l’infini. Remplissez bien vos yeux et/ou vos oreilles, vous ne serez pas aussi bien servi(e) à Grenade !

Jardins de l'Alcazar de Séville.

Alcazar et cathédrale sont situés en plein coeur du vieux quartier de Santa Cruz, planté d’orangers, où se perdre dans le dédale de placettes, ruelles et passages est un véritable plaisir. Fiers bâtiments baroques, églises massives ou discrets patios se découvrent au hasard, sous une fraîcheur ombragée bienvenue dans une région où le soleil est généreux en toutes saisons. Attention, ici comme ailleurs on aime le pavé, plus ou moins cahoteux, et les abaissés de trottoir sont parfois aléatoires. Omniprésentes sur les murs, les majoliques à motifs religieux sont quasi-introuvables dans le commerce. Le centre-ville n’est pas visité que par les touristes : les habitants eux-mêmes viennent y promener, surtout le soir, se regroupant en nombre devant de minuscules bars à tapas pour discuter. Dommage que cette convivialité ne se tourne guère vers l’étranger, perçu ici comme un mal nécessaire, à qui on n’adresse peu la parole…

Quant au coût de la vie, malgré une réputation aussi tenace qu’inexacte, il est identique au reste de l’Europe. Inutile également de guetter « sombreros et mantilles », ils ne sont guère de sortie que lors des grandes occasions.

En remontant le Guadalquivir à partir de la mauresque Torre del Oro (inaccessible) on trouve une belle promenade sur trois niveaux communicants par rampes depuis le fleuve (sur lequel il est possible de faire de mini-croisières) jusqu’à la rue. Des terrasses ombragées offrent un refuge aux promeneurs. C’est sur ce Paseo Cristóbal Colón que se trouvent réunis, à quelques dizaines de mètres l’un de l’autre sous le regard d’une Carmen de bronze, les seuls monuments qui réconcilient amateurs de corrida et amoureux d’opéra : les célèbres arènes (Maestranza, 1780) qu’on peut visiter avec leur petit musée taurin (grosse marche à l’entrée)… et le théâtre !

Plus en amont encore, l’île de la Cartuja (prononcer « cartourha ») abrite toujours les étonnants pavillons de l’exposition universelle de 1992. On y accède par un pont au design futuriste, dû à l’architecte Santiago Calatrava. Le projet Cartuja 93 d’urbanisation du site ayant guère eu de succès, quelques pavillons sont occupés par des sociétés hi-tech mais nombre de bâtiments sont délaissés, ce qui donne à l’endroit, dominé par une maquette géante de la fusée Ariane, une atmosphère quelque peu fantomatique.

Une place à Carmona.

Les chaudes couleurs sévillanes disparaissent dès que l’on quitte la capitale : partout ailleurs en Andalouise, c’est en effet le blanc qui domine; un blanc de chaux éclatant qui nimbe de lumière les rues étroites et donne, par contraste, une infinie profondeur au bleu du ciel. Carmona, par exemple, à une trentaine de kilomètres vers l’ouest, présente une belle unité architecturale que favorise cet enduit immaculé des façades. Là encore, il suffit de déambuler dans la vieille ville aux portes monumentales, perchée sur une colline dont le sommet est occupé par un colossal alcazar devenu parador après avoir abrité le siège de l’Inquisition. Ne manquez pas le marché (XIXe) avec ses portiques, ses boutiques et ses épais stores de paille tressée. Et prévoyez des bras solides pour vous aider dans les rues pentues.

La campagne environnante présente un paysage de sierra (montagne) et d’oliviers à perte de vue. D’anciennes voies de chemin de fer ont été transformées en pistes cyclables. Côté gastronomie, si l’huile locale est réputée à juste titre, il ne faut pas s’attendre à de grandes découvertes : hormis les fameuses tapas, dont la consommation s’apparente à du grignotage amélioré, le reste de la cuisine ressemble à ce que l’on peut trouver ailleurs en Europe en matière de viande et poisson grillés. Les salaisons sont excellentes, de même que certains crus locaux (et charpentés) de vin rouge. Mais la Manzanilla chère à Carmen, vin blanc douceâtre sans grande personnalité, déçoit. Attention, c’est également le nom local d’une simple infusion parfumée à la pomme ! Les cartes des restaurants sont souvent traduites en anglais, plus rarement en français. Les andalous mangent généralement vers 14h, 22h le soir.

Fièrement implantée, comme Séville, au bord du Guadalquivir, Cordoue est une étape incontournable qui mérite bien davantage que quelques heures de visite… et quelques lignes de présentation. Fondée au VIIe siècle avant notre ère, elle fut capitale de province à l’époque romaine (le philosophe Sénèque y vit le jour) avant de perdre de l’importance sous les Vandales et les Wisigoths. Son âge d’or vint après la conquête par les Maures (711) lorsqu’elle devint le coeur d’un émirat, puis d’un califat dont le pouvoir s’étendait d’Afrique en Europe : ce sont les armées cordouanes que Charles Martel repoussa à Poitiers en 732. Jusqu’à la reconquête chrétienne de 1236, Cordoue, où coexistaient pacifiquement les trois religions du Livre (Judaïsme, Christianisme, Islam), constitua un phare scientifique, culturel et économique sans équivalent dans l’Histoire. Ce fut dans ses murs que la culture de la Grèce antique fut rendue à l’humanité; artistes et philosophes y prospérèrent, à l’instar des grands Averroès et Maïmonide.

L’avènement des Rois Catholiques Isabelle Ière de Castille et Ferdinand II d’Aragon, à la fin du XVe siècle, mit un terme définitif à une expérience de civilisation unique qui fait toujours défaut au monde d’aujourd’hui… Cordoue n’en est que plus passionnante à explorer : son centre historique, d’accès aisé malgré les pavés, a d’ailleurs été classé Patrimoine mondial par l’UNESCO en 1984. Et s’il n’y avait qu’un seul monument à y visiter, ce serait la mosquée-cathédrale (Mezquita), chef d’oeuvre architectural qui résume à lui seul l’histoire de l’Andalousie. On y pénètre en traversant l’ancienne cour des ablutions, plantée d’orangers et ponctuée de fontaines. L’accessibilité ne pose aucun problème (entrée côté palais épiscopal, demi-tarif pour les visiteurs handicapés). Commencé en 785, l’édifice fut agrandi à trois reprises pour devenir la plus grande mosquée du monde après celle de La Mecque. Lorsque la ville fut prise par les chrétiens, ces derniers en firent une église, murant les ouvertures entre la cour et la salle de prière et abattant des rangs de colonnes.

Forêt de colonnes de la Mezquita de Cordoue.

Mais le pire était encore à venir : au XVIe siècle, une partie importante du centre de l’édifice fut démolie pour y « incruster » une cathédrale alliant les styles gothique, renaissance et baroque dans une opulence qui ravirait l’oeil ailleurs mais qui ici a choqué Charles Quint lui-même, pourtant commanditaire du massacre ! La Mezquita se présente aujourd’hui sous la forme d’un quadrilatère de 180m de long sur 130 de large, 19 nefs et plus de 850 colonnes surmontées par des chapiteaux, tous différents. L’atmosphère recueillie et l’étrange lumière tamisée qui y règnent en font un lieu hors du temps.

A proximité, non loin du titanesque pont romain, l’Alcazar des Rois Chrétiens, très restauré, offre toujours ses jardins enchanteurs mais on conseillera plutôt aux hôtes de passage une flânerie en ville, à l’intérieur des remparts, sur les traces du rêve évanoui de l’entente entre les peuples…

Au sud, bien sûr, il y a Grenade, nichée sur ses deux collines au pied de la Sierra Nevada. Grenade la polluée, l’inaccessible, l’instationnable; Grenade et sa trop célèbre Alhambra (« la rouge » en arabe); Grenade, ou le paradis au prix de l’enfer ! Car il faut hélas le dire, l’ancienne capitale de l’ultime royaume maure d’Espagne (celui des Nasrides, XIIIe au XVe siècle) n’est guère accueillante pour les personnes handicapées motrices. Son centre historique, hormis quelques rues typiques, n’offre aucun monument accessible et y stationner relève de l’exploit. Affluence touristique oblige, on y croise en outre de nombreux « routards » et quelques personnages à la mise peu engageante. L’Alhambra ? Victime de sa renommée internationale, le site est devenu une véritable usine où le respect du public passe manifestement au second plan : foule compacte, personnel peu avenant, horaires de visites fixes, contingentés et non modifiables (on peut acheter ses billets en ligne), parking payant obligatoire (places réservées) et surtout accessibilité zéro.

Certes, les visiteurs handicapés bénéficient de l’entrée gratuite mais on comprend rapidement pourquoi devant les volées de marches et le gravier qui règnent en maître pratiquement partout. La magie des lieux opère toujours, mais à quel prix ! Vous pourrez à la rigueur accéder en fauteuil roulant jusqu’à la très belle Cour des Myrtes du Palais Nazariès, et vous faire aider pour franchir quelques seuils alentour mais vous n’irez pas plus loin. Le Généralife, quant à lui, est totalement inaccessible à quiconque ne possède pas de solides jambes. Si vous avez quelque pitié pour vos accompagnateurs, (re)faites plutôt un tour à l’Alcazar de Séville… ou sachez vous contenter d’une promenade dans les jardins, qui sont réellement aussi merveilleux que le chantent les poètes.

Grenade, Alhambra...

En quittant Grenade par l’ouest (et en évitant soigneusement une Costa del Sol bétonnée à l’extrême) on peut retrouver une Andalousie plus authentique, celle des « pueblos« , bourgades blanches accrochées à leur montagne. Telle Ronda, petite ville aussi paisible que ses soeurs andalouses mais implantée au bord d’un ravin de 150m traversé par un spectaculaire pont à trois arches. Un belvédère, aisément accessible par le parking des arènes (les plus anciennes d’Espagne), offre une vue vertigineuse. Ronda est également un endroit où il fait bon flâner, en dépit des difficultés de stationnement, au gré des places et des ruelles aux maisons soigneusement entretenues. Autre « pueblo » d’exception : Arcos de la Frontera, perché également en bord de précipice, dont les rues pentues et tortueuses sont un cauchemar pour la circulation automobile (places réservées au sommet, devant le Parador) mais un rêve pour les promeneurs.

ombre de visiteurs de l’Andalousie se croient obligés de faire un crochet par l’exotique Gibraltar (de l’arabe Djebel Tarik, « la montagne de Tariq »), toute proche. Épine d’empire britannique plantée dans l’Espagne, c’est surtout une vaste zone commerciale sur deux rues piétonnes où il n’y a pas grand chose à visiter, où l’on ne fait pas forcément des affaires, mais où l’on peut baigner dans les odeurs de « fish and chips » en parlant anglais. L’ascension (automobile) du célèbre rocher est gratuite pour les visiteurs handicapés. Jolie vue sur le Maroc et singes en goguette. Parking quasi-impossible en ville et longues files d’attente en sortie selon l’humeur des douaniers. A visiter si on n’a vraiment rien de mieux à faire !

Les côtes marocaines, mieux vaut les apercevoir au coucher du soleil depuis Tarifa, à quelques encablures au sud-ouest. Outre qu’on traverse d’abord d’étonnants champs d’éoliennes, l’atmosphère y est des plus romantiques. Et puis la cité marque le point le plus méridional de l’Europe : l’Atlantique y rejoint la Méditerranée en formant des courants qui font le bonheur des véliplanchistes; l’Afrique n’est qu’à 14 km, si proche qu’on en aperçoit les montagnes et les lumières.

Jerez de la Frontera ne présentant pas d’attrait particulier en dehors d’une animation typiquement méditerranéenne et d’innombrables caveaux de dégustation du célèbre Xérès (Sherry pour les Anglais), on pourra achever un itinéraire andalou par la belle Cadix, posée tel un vestige d’Atlantide au bout de sa lagune. Fondée en 1100 avant notre ère par les Phéniciens, c’est l’une des plus anciennes cités d’Europe. Riche marché pendant l’Antiquité, elle fut âprement disputée, détruite et reconstruite par les Carthaginois, les Romains, les Wisigoths, les Maures, les Chrétiens… C’est à Cadix que les navires espagnols déchargeaient les trésors pillés en Amérique. Et quand les autres puissances maritimes commencèrent à menacer la suprématie navale de l’Espagne, Cadix fit face à de nombreuses batailles; elle fut pillée par les Anglais et assiégée par les troupes napoléoniennes. Le cap Trafalgar est tout proche… Ville natale du compositeur Manuel de Falla, elle a perdu en importance économique mais conserve, grâce à son emplacement, un charme unique que ne ternit pas l’absence de monuments anciens.

Une belle lumière argentée baigne ses rues claires et propres, surtout en bord de mer où il est très agréable de flâner ou jouir de la plage. La longue digue pavée qui conduit au fort Saint-Sébastien évoque même la lointaine Essaouira : l’Afrique, dans ce coin d’Espagne, n’est jamais bien loin…

Jacques Vernes, mars 2006.


Sur le Net : Le site officiel Andalucia.org est un véritable portail touristique où l’on pourra trouver des informations généralistes utiles pour préparer un voyage mais aucune indication d’accessibilité. Le guide « Séville pour tous », disponible en version papier et électronique, rassemble un grand nombre de données et de cartes relatives à l’accessibilité de la capitale andalouse.

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