Parmi les grands équipements culturels qui ouvriront dans les prochains mois figure la Philharmonie de Paris, une grande salle de concert de 2.400 places. À partir du 14 janvier 2015, cette extension de la Cité de la Musique remplacera l’actuelle salle Pleyel, sera la résidence de l’Orchestre de Paris et accueillera également des formations et artistes invités, essentiellement dans le répertoire classique mais également les musiques contemporaines et actuelles amplifiées. Si le bâtiment de la Philharmonie de Paris est encore en chantier et ne peut être visité pour en apprécier l’accessibilité réelle, les informations communiquées au public dans l’épaisse brochure annonçant le programme des concerts à venir risquent de ne pas satisfaire les spectateurs handicapés. Dans une grande salle bardée d’escaliers, ceux qui se déplacent en fauteuil roulant seront systématiquement placés au dernier rang de chaque niveau d’un espace à la disposition complexe, et avec un choix tarifaire réduit portant sur quatre des six catégories (2 places en 1ere, aucune en 2e et 3e, 3 en 4e, 7 en 5e et 6 en 6e catégorie ces deux dernières exclues des formules d’abonnement et réduction tarifaire) ce qui est contraire à la réglementation actuelle. L’article 16 de l’arrêté du 1er août 2006 stipule en effet : « Lorsque plusieurs places s’imposent et que la nature des prestations offertes par l’établissement présente des différences importantes selon l’endroit où le public est admis, les places adaptées doivent être réparties en fonction des différentes catégories de places offertes au public. » La disposition de ces places fauteuil a d’ailleurs évolué : dans le Carnet de plans et images daté de février 2012, on remarque que huit étaient implantées au premier rang du parterre, juste devant l’orchestre, et quatre autres au sommet de ce même parterre. Le placement adapté des personnes déficientes visuelles n’est pas mentionné, il n’est pas précisé si la Philharmonie est équipée en boucles magnétiques, que ce soit à l’accueil comme dans la salle, ce qui pourrait dissuader les spectateurs malentendants. En outre, les cheminements sont particulièrement longs, l’une des deux entrées s’effectuant par une rampe longue de 300 mètres !

Curieusement, la page Accessibilité du site web de la Philharmonie annonce des dispositions d’accessibilité différentes de celles figurant sur la brochure diffusée au public: « La Grande salle propose au moins trente places réservées aux personnes à mobilité réduite [22 en fait, juste le minimum légal]; ces places sont systématiquement secondées de sièges pour les accompagnants. Des places sont réservées pour chaque catégorie [ce qui est faux] et le parterre bas peut permettre d’accueillir un nombre important de personnes en fauteuil roulant [apparemment lorsque les sièges sont enlevés pour les spectacles de musiques actuelles]. Certaines places proches du plateau d’orchestre bénéficient d’une assise sur un sol flottant, afin que les publics malentendants ressentent les vibrations émises par les musiciens [ce qui ne figure pas dans la brochure, et ces places sont les plus chères]. » De même, il est précisé qu’à l’intérieur du bâtiment « des plans tactiles et des informations tactiles ou en braille accompagneront le parcours des visiteurs. Toutes les banques d’accueil sont équipées de différents types de dispositifs adaptés (boucles magnétiques, casques d’audio-description, casques à infrarouge d’amplification, loupes numériques, guides en langue des signes, etc.) », informations qui ne figurent pas dans la brochure programme: tous ces dispositifs seront-ils déployés ?

De fait, les conditions tarifaires proposées sont identiques à celles des précédentes saisons artistiques: tarif réduit de 20%, loupes à l’accueil pour la lecture des programmes de salle également disponibles en gros caractères ou format Word sur demande par courriel. Et les publics handicapés ne pourront toujours pas réserver sur Internet. Le service de presse annonce toutefois la réalisation prochaine d’une brochure spécifique à l’attention des spectateurs handicapés, public traité à part, comme au siècle dernier…

Ce constat s’inscrit parfaitement dans la réalisation d’ensemble, confiée au « starchitecte » Jean Nouvel connu pour faire primer son geste créatif au détriment de la qualité de vie et de l’accessibilité des bâtiments qu’il construit : cette salle de concert du XXIe siècle qui devrait coûter près de 400 millions d’euros risque d’être, pour les spectateurs handicapés, une nouvelle salle du XXe siècle. Son président, Laurent Bayle, s’explique :

Question : Vous présidez l’ensemble de la future Cité de la Musique incluant la Philharmonie de Paris pour laquelle nous venons de connaître les premières conditions d’accès des publics handicapés. Il semble qu’il y ait un écart avec la législation puisque ces publics vont être placés en fond de salle dans la Philharmonie de Paris, contre les murs, et avec des catégories restreintes de places, sans possibilité d’abonnement pour les deux dernières catégories. Comment expliquez-vous ce décalage avec la réglementation existante ?

Laurent Bayle : Oui, l’ensemble du public ne peut pas s’abonner à ces places-là. Je suis tout à fait ouvert à discuter de ce sujet concernant la Philharmonie. La classification en catégorie de la nouvelle Philharmonie n’a rien à voir avec la classification d’une salle traditionnelle comme la salle Pleyel, où à partir du moment où celle-ci est frontale, vous avez une dégradation qualitative de la catégorie 1 à la catégorie 6. C’est une question d’éloignement de la scène qui crée la dégradation des catégories. L’idéal serait que la Philharmonie rejoigne la Cité de la Musique avec une seule catégorie, une certaine manière de clarification parce qu’il n’y a pas de distinction qualitative qui légitime ce choix de formalisme de 1 à 6. Ce schéma vise simplement à considérer qu’on maintient des prix de catégorie 1 plus élevés pour permettre de pratiquer des prix moins élevés. Tendanciellement, cette nouvelle salle sera beaucoup moins chère, cela vous pouvez le constater et comparer, que ce qui est proposé à la salle Pleyel.

Question : Pour en revenir aux publics handicapés, est-ce que vous pouvez garantir que, dans une salle et une installation qui apparaissent très complexes, ils auront accès à l’ensemble des espaces ouverts au public ?

Laurent Bayle : Il y a des difficultés parce que la salle est éminemment plus complexe que la salle Pleyel et parce que cette dernière n’est pas un modèle vertueux. On va dire que l’accès aisé pour les personnes en situation de handicap, d’ailleurs il n’est aisé nulle part d’une certaine manière, est peut-être à peu près correct sur l’arrière du parterre et complexe mais réalisable au niveau du premier balcon, mais ce n’est pas un accès fluide du public, ni en latéral, ni à l’arrière, ni à tous les niveaux de la salle. La Philharmonie, elle, présente une autre particularité, c’est que quand vous êtes dans une salle comme la salle Pleyel, le message, on peut être d’accord ou pas, mais disons le message global c’est « vous avez des places de bonne qualité à une distance assez proche de la scène et plus vous vous éloignez, plus vous avez un effet de dégradation ». Quand vous êtes dans la Philharmonie, vous complexifiez le modèle de plusieurs façons. Tout le public est proche de la scène. Je ne veux pas revenir sur 1.900 places à Pleyel versus 2.400 à la Philharmonie mais à la salle Pleyel le spectateur le plus éloigné est à 47 m du chef d’orchestre. À la Philharmonie, le spectateur le plus éloigné sera à 32 m [ce qui va concerner le tiers des places fauteuil roulant NDLR] et pour réaliser cet exploit, on n’est pas dans une salle où il y a uniquement trois niveaux, un parterre, un premier balcon, un deuxième balcon, on est dans une salle où il y a énormément d’accès d’entrée puisque le public encercle tous les musiciens. Donc, dans cet espace-là vous avez complètement raison de dire que c’est plus complexe à gérer qu’une salle comme Pleyel, mais effectivement l’objectif est bien de permettre à toutes les personnes handicapées d’avoir accès aux différents niveaux, plus nombreux, de la Philharmonie par rapport à une salle traditionnelle.

Question : Y compris les ateliers, les services, la restauration et les terrasses ?

Laurent Bayle : Oui bien sûr, la restauration, y compris les terrasses, etc.

Question : Vérification début janvier 2015 ?

Laurent Bayle : Vérification début janvier et éventuellement, ce qui est tout à fait normal dans un lieu comme celui-ci, amendements si besoin et travail itératif notamment sur toute la période de l’été 2015 si tel ou tel élément pour une raison exogène à notre volonté pouvait ne pas être optimal ou acceptable dès le premier jour.


Propos recueillis par Laurent Lejard, juin 2014.

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