Deux mois de grève dans les transports et d’autres secteurs n’y ont rien changé : le Gouvernement et le Président de la République ont décidé de faire passer coûte que coûte leur réforme des retraites. Conçue initialement comme un système universel dans lequel chaque euro cotisé donnerait le même droit quel que soit le statut professionnel ou les conditions d’emploi, cette réforme qui serait appliquée dès 2025 est devenue financière pour faire baisser progressivement la part des dépenses dans le budget de la Sécurité Sociale et le produit intérieur brut. Elles représentaient 13,8% du PIB en 2018, et l’étude d’impact du projet de loi expose les hypothèses de leur baisse d’un point à l’horizon 2050. Ces économies s’appuient sur un calcul des pensions à partir de points acquis au fil de la carrière, ce qui veut dire qu’elles ne seront plus calculées sur les 25 meilleures années de salaire mais sur l’ensemble. Les salariés du secteur privé peuvent craindre une baisse de leurs droits, mais pour les fonctionnaires ce sera pire encore puisque actuellement leur pension de base est calculée sur les six derniers mois de salaire, réputés les plus élevés. Ce changement constitue la principale source de réduction prévisible des pensions de retraite des travailleurs nés à compter de 1975, les plus anciens demeurant dans le système actuel de calcul. Autre source d’économies, le relèvement de l’âge de départ à 63, 64 ou 65 ans pour bénéficier d’une pension complète : cet âge dit « d’équilibre » n’est pas encore fixé mais on sait déjà que les travailleurs nés à partir de 1963 devront travailler plusieurs trimestres supplémentaires pour toucher la même pension qu’actuellement.

Et pour les travailleurs handicapés ?

Le droit à une retraite anticipée est maintenu dans le projet de loi déposé au Parlement, par une transposition au nouveau mode de calcul des règles en vigueur. Actuellement, une personne reconnue handicapée à 50% et plus peut, par exemple, partir en retraite dès 55 ans si elle a travaillé « en situation de handicap » pendant 129 trimestres et cotisé pendant 109. Si ces conditions sont remplies, elle obtient de la Sécurité Sociale une pension de retraite de base à taux plein, sans décote, calculée sur l’ensemble de ses salaires. La réforme maintient la durée d’emploi « en situation de handicap » et prévoit d’ajouter des points pour compenser le niveau de pension. Toutefois, ce sont des décrets qui en définiront les modalités, il est impossible de savoir si le nouveau mode de calcul sera neutre, avantageux… ou calamiteux. D’autant qu’un obstacle reste non traité, les retraites complémentaires (AGIRC-ARCCO) ne sont pas bonifiées : les droits sont et resteront calculés sur les points acquis, sans bonification, ce qui entraine aujourd’hui et entrainera encore après la réforme une baisse des pensions complémentaires en cas de départ anticipé. Il n’est pas étonnant que moins de 3.000 travailleurs handicapés aient demandé une retraite anticipée en 2018. Cette situation pourrait évoluer pour les travailleurs nés après 1974 du fait de la suppression, pour eux, des régimes de retraite complémentaire : les points de bonification attribués aux travailleurs handicapés devraient alors s’appliquer sur la totalité de la pension pour départ anticipé qu’ils pourraient toucher à partir de 2030…

L’âge normal de départ en retraite restera le même, fixé à 62 ans pour les invalides à 50% et plus, les pensionnés d’invalidité, les bénéficiaires de l’Allocation Adulte Handicapé et les titulaires d’une carte d’invalidité ou mobilité inclusion invalidité. L’instauration d’un âge d’équilibre, le dernier outil inventé par la technocratie et le Gouvernement pour reculer de plusieurs années le départ des autres salariés, ne leur sera pas appliqué. La retraite de base et les complémentaires seront versées à taux plein en fonction des droits acquis pendant les périodes d’emploi, de chômage ou de formation, quel que soit le système de calcul et l’année de naissance. Les pensionnés d’invalidité devraient bénéficier de « points de solidarité » calculés sur leur période d’activité avant mise en invalidité, donc sur un salaire qui peut avoir perdu beaucoup de pouvoir d’achat.

Des associations tenues à l’écart.

« Les travailleurs handicapés sont peu pris en compte dans le projet de loi, déplore Sophie Crabette, chargée de mission action revendicative à la FNATH. En catimini se profile également la suppression des CARSAT [Caisses d’Assurance Retraite et de Santé Au Travail] qui interviennent sur le maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés et la pénibilité, la santé au travail. » La FNATH, qui a rédigé des amendements parlementaires, impute au critère de 50% d’invalidité le faible nombre de travailleurs handicapés demandant une retraite anticipée : « Dans la majorité des cas, le handicap survient en cours de vie professionnelle, on demande un bonus pour en bénéficier. » Mais Sophie Crabette reconnait que l’impact des pensions des retraites complémentaires amputées n’a pas préoccupé les associations, de même que la situation des pensionnés d’invalidité : « On commence à travailler sur cet écart, en tentant d’agir avec les syndicats. On ne l’a pas oublié mais on avait beaucoup à faire sur la retraite de base », reconnait-elle en ajoutant que « pour la plupart des associations nationales de personnes handicapées, le travail n’est pas leur priorité, les questions emploi retraite sont peu investiguées. »

Ce que confirme parfaitement LADAPT, qui « ne souhaite pas intervenir pour l’article sur l’impact du projet de réforme de retraite sur les travailleurs handicapés » selon son attaché de presse. Très impliquée dans l’accès à l’emploi, elle se désintéresse visiblement de la fin d’activité. Autre désintérêt, celui de la Fédération APAJH : « Nous n’avons pas réellement d’informations concernant cette future réforme, justifie sa porte-parole, présentée seulement ce vendredi [24 janvier], et selon les informations que nous détenons actuellement, les travailleurs d’ESAT ne seront pas concernés. » Ce serait donc les seuls travailleurs en Etablissements et Service d’Aide par le Travail qui semblent intéresser cette Fédération, eux qui cotisent pourtant à perte : les montants prélevés forfaitairement sur 700€ de rémunération ne leur assurent au mieux qu’une pension de misère, complétée de l’AAH ou de l’Allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa, ex-minimum vieillesse) pour atteindre 903€.

Le nouveau Collectif Handicaps, qui remplace feu le Comité d’Entente (lire l’actualité du 29 janvier 2020), s’inquiète toutefois, dans un communiqué, du sort des travailleurs handicapés dont le parcours professionnel est « atypique », alternant temps partiel, chômage, formation, maladie, etc., et regrette l’absence « d’amélioration des retraites anticipées et pour inaptitude ». Sans prendre position sur l’absence de bonification des retraites complémentaires dont le montant représente jusqu’à la moitié de la pension de base. Il relève « des zones d’ombre à éclaircir », comme l’absence d’un « système de retraite progressive adapté aux personnes en situation de handicap » ou de « dispositions spécifiques pour les travailleurs d’ESAT qui cotisent sur leur seule rémunération garantie », et alerte sur le « risque d’engendrer une dégradation des droits des personnes handicapées et leur famille ». Rien d’étonnant, les associations de personnes handicapées n’ont pas été concertées pendant les deux longues années de préparation du projet de réforme des retraites, la 5e en 27 ans. En attendant la prochaine…

Laurent Lejard, février 2020.

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