S’il n’y est pas mis bon ordre, la France sera une nouvelle fois la risée du monde entier pour son rendez-vous des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. On sait déjà que le métro parisien restera inaccessible aux personnes handicapées motrices, faute de volonté politique (lire ce Flop), ce qui a été remarqué par plusieurs organes de la presse étrangère. Mais le grand public ignore encore que les visiteurs handicapés, qu’ils soient touristes, étudiants ou travailleurs, sont exclus du service d’assistance dédié aux voyageurs handicapés dans le réseau RER d’Île-de-France dont un seul morceau de ligne comptant 4 stations est accessible en autonomie : il faut s’inscrire au préalable et justifier d’une carte d’invalidité à 80% et plus pour avoir le droit de réserver la veille. Il en va de même pour utiliser l’appli Andilien qui permet de se signaler et d’être localisé.

Une garantie d’assistance restrictive

Autant dire que les Français non informés, de même que tous les visiteurs étrangers, sont exclus de ce service. Être inscrit sur Accès Plus SNCF grandes lignes et TGV était trop simple, il faut effectuer une formalité supplémentaire spécifique à la région Capitale. Son service Accès Plus Transilien propose aux seuls titulaires d’une carte d’invalidité une « garantie d’assistance » qui permet de voyager à toute heure en étant assuré de bénéficier de l’aide de personnel en gare si nécessaire, ou d’un transport de remplacement. A la condition d’être majeur, puisque les mineurs doivent être obligatoirement accompagnés : les adolescents handicapés sont ainsi privés de leur autonomie dans notre « société inclusive », mais pas les autres, qui eux voyagent sans contrainte. En violation flagrante de la loi du 11 février 2005 qui oblige les réseaux de transport collectif à prendre en charge les Personnes à Mobilité Réduite (PMR), transport de remplacement compris. Ce dernier permet à un client d’être acheminé d’une gare inaccessible vers une gare accessible afin de rejoindre le segment de réseau de transport public accessible puis de ce dernier vers une gare de destination inaccessible, si le client en est informé. « Il m’est arrivé lors d’un voyage RER qu’une panne d’ascenseur ne me permette pas d’emprunter le même itinéraire au retour, commente une cliente, Ludivine Poivre, qui se déplace en fauteuil roulant. Accès Plus n’a pas été en mesure de me proposer un trajet de substitution et c’est bien plus tard que j’ai appris d’un responsable SNCF que dans ce cas bien précis cela devait m’être octroyé. » Il lui a fallu cinq heures de transport en commun pour un aller-retour La Plaine Stade de France-Boulogne ! Quant aux PMR sans carte d’invalidité, elles peuvent toujours tenter leur chance pendant la journée du lundi au vendredi hors jours fériés, s’il y a du personnel disponible pour aider, mais pas en soirée ni le week-end. C’est bien connu, il n’y a rien à faire le soir et le week-end en région parisienne…

Cette discrimination a été voulue par le Conseil Régional Île-de-France et l’Autorité Organisatrice de Mobilité Île-de-France Mobilités. Mais ce n’est pas le seul problème : un autre, lié à la structure du réseau exploité par la RATP et la SNCF, tarde à être résolu et porte le doux nom « d’interconnexion. » Des segments de lignes RER sont en effet exploités par la RATP et d’autres par la SNCF, avec des règles de fonctionnement différentes qui pèsent également sur la fiabilité de l’assistance aux voyageurs handicapés. « Depuis le 1er janvier 2018, explique Ludivine Poivre, la SNCF Île-de-France est passée à SOCA [logiciel signalant en temps réel aux personnels en gare le besoin de prise en charge d’un voyageur handicapé NDLR] en complément d’Accès Plus. L’information arrive sur l’ordinateur ou le téléphone professionnel des agents, mais tous n’ont pas de téléphone portable professionnel, et ceux qui proposaient d’utiliser leur propre téléphone ont essuyé un refus de la SNCF. » Le client dûment inscrit bénéficiant théoriquement de la « garantie d’assistance » se retrouve en permanence en insécurité de prise en charge, d’autant que les personnels ont de multiples tâches à accomplir, ceux habilités à l’assistance opèrant parfois sur plusieurs gares à la fois. « Même en cas de réservation, poursuit Ludivine Poivre, il m’est arrivé à deux reprises en l’espace d’un mois que personne ne soit présent. D’autres voyageurs en fauteuil utilisant la même ligne ont trouvé guichet clos de 15h30 à 17h. » De plus, les nombreux intérimaires qui travaillent pour la SNCF n’ont pas de code d’accès au logiciel SOCA et ne peuvent donc assister des voyageurs handicapés. Autre problème particulier relevé par Ludivine Poivre, une employée de la gare La Plaine – Stade de France n’est pas habilitée, pour raison médicale, à soulever et porter la lourde rampe manuelle quai-train ce qui empêche tout accès au train lorsqu’elle est seule.

Des autorités toujours absentes

Seule la direction de l’accessibilité de la RATP accepte de s’expliquer. A minima : elle ne discute pas de ces dysfonctionnements et se contente de rappeler qu’une « procédure commune RATP-SNCF pour la prise en charge des personnes en situation de handicap a été mise en place sur les Lignes des RER A et B de la RATP et de SNCF Transilien, de telle sorte que le changement d’exploitant entre gare de départ et gare d’arrivée soit le plus ‘transparent’ possible pour ces personnes. » Une transparence que Ludivine Poivre n’a pas vraiment constatée. D’autant qu’une autre bizarrerie commence à être appliquée : les dimensions du fauteuil roulant des voyageurs handicapés moteurs doivent être conformes à la règlementation européenne sous peine de refus d’assistance. Avec 70cm de large et 120 de long, les personnes obèses ou devant se déplacer semi-allongées peuvent être interdites de voyage. Mais le plus incroyable, c’est la hauteur : 137cm de hauteur voyageur compris ! Autant dire que la plupart des hommes dépassent, et une bonne partie des femmes. Ces dimensions sont également réclamées par Accès Plus grandes lignes et TGV.

Du côté de SNCF Transilien et d’Île-de-France Mobilités, on cherche encore une réponse sur les clauses illégales et le reste. Il en est de même au Conseil Régional : ni le président de sa commission transports, Brice Nkonda, ni ses 16 autres membres dont l’élu en charge du handicap, Pierre Deniziot, ne veulent s’exprimer. Même silence de la part d’Ile-de-France Mobilités. Bref, l’assistance aux voyageurs à mobilité réduite sur le réseau ferré d’Ile-de-France cumule discrimination du fait du handicap et fiabilité aléatoire, ce qui risque de durer alors que le client a simplement le droit de subir et de déposer une réclamation en cas de manquement. Rien de vraiment étonnant dans ce constat mais la simple reproduction de ce que les technocrates franciliens sont capables de concevoir. Lesquels avaient communiqué en prenant un exemple saisissant pour présenter en janvier 2018 la nouvelle assistance garantie : une saynète racontait comment « Soraya » avait pu bénéficier d’une assistance pour se rendre à un entretien d’embauche à Melun, une gare qui ne sera accessible qu’en… 2026 !

Laurent Lejard, mars 2019.

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