L’injustice d’une loi à laquelle nous sommes récemment confrontés nous pousse à réagir. J’exerce une profession libérale et mon mari ne travaille plus depuis 2005. Il est malheureusement séropositif depuis 1992. Il percevait l’Allocation aux Adultes Handicapés jusqu’à ce qu’on se marie, le 5 décembre 2015. En décembre 2016, nous avons reçu un courrier de la Caisse d’Allocations Familiales nous sommant de rembourser un an de prestations perçues à tort, soit 8.890,63 euros : depuis que nous sommes mariés, mon époux n’a plus droit à l’AAH. En effet, la réglementation la calcule en fonction des revenus du conjoint, concubin, ou de la personne avec laquelle le bénéficiaire s’est pacsé. Elle est supprimée complètement quand les revenus dépassent un certain plafond.

Nous nous sommes mariés par amour, mais aussi parce que nous avons un projet d’adoption, (l’assistante sociale du Conseil Départemental nous a dit que les démarches seraient plus facilitées…). Mais notre projet est remis en cause, nous ne partons pas avec des conditions favorables. Dans l’euphorie de notre projet, nous étions loin d’imaginer que l’AAH de mon mari allait être complètement supprimée, c’était pour nous impensable ! Nous avons fait preuve d’une très grande naïveté et nous le regrettons. D’autres, qui ont mieux calculé, ne se marient pas. Pourtant le handicap de mon mari est le même. Désormais, il dépend entièrement de moi, comme s’il était sous tutelle, dans une position infantilisante, à devoir me demander de l’argent pour ses besoins. Il ne peut pas travailler. Quel statut a t-il ? Quels droits ? Quels projets ? Qui est-il ? Quand on parle de l’autonomie de la personne handicapée, et sa liberté ? Cela fait écho aux droits de l’homme, non ? Heureusement que je suis bien intentionnée à son égard, je n’ose imaginer le sort de certaines personnes sous l’emprise de leur conjoint dans cette situation de dépendance !

Il me dit d’un air grave : « Je suis un poids pour toi, une dette en cadeau de mariage, c’est pas terrible, je me sens mal de vivre à tes crochets, je ferais mieux de partir pour t’éviter tous ces tracas ! » Super pour l’estime de soi, pour le couple ! « On m’a tué deux fois, ajoute-t-il, la première c’est quand on m’a annoncé qu’il me restait deux ans à vivre, à l’âge de 21 ans, et la deuxième de me supprimer l’AAH. » Je ne vous cache pas qu’après cette nouvelle, il a développé un zona et depuis notre moral n’est pas terrible. Certes, mon mari va compter une part de plus sur mes impôts, mais ça ne va pas compenser ce qu’il avait : sa dignité et une compensation financière que représentaient l’AAH.

Mais nous avons compris, elle n’est pas en fait un revenu personnel d’existence sécurisé pour la personne handicapée, qui pourrait lui donner un statut stable, une certaine indépendance, quelle que soit sa situation. J’ai le devoir maintenant de subvenir à ses besoins, parce que je gagne trop. Volerais-je cet argent à l’Etat ? Ne contribuerais-je pas assez pour la société ? C’est une belle façon de se décharger du handicap, non ? N’est-il pas de la responsabilité de l’Etat de s’en occuper ? Où est la solidarité nationale ? Nous nous sentons un peu seuls, je culpabilise parce qu’à cause de moi, il n’a droit à rien.

Ce n’est pas par vocation qu’il a prétendu à l’AAH, il aurait pu l’obtenir dès 1992. C’est l’assistante sociale de l’hôpital, en 2007, quand il a eu une grave pneumopathie, qui lui a conseillé de la demander à la place du RMI. Il voulait travailler le plus longtemps possible. S’il pouvait être comme tout le monde ! Travailler, payer des impôts, être guéri et ne plus toucher l’AAH pour vivre ! Beaucoup de personnes défendant les droits des handicapés se sont indignés contre cette législation, mais en vain. Aucun gouvernement n’a traité ce sujet ! La loi qui consiste à tenir compte des revenus du conjoint, du concubin et de la personne pacsée est une loi antisociale ! Elle est irrespectueuse des droits de l’homme et de la sécurité du citoyen. Elle peut mettre en danger financier certains couples trop proches des plafonds, et mettre en danger psychologique les personnes déjà fragilisées par un handicap. Elle favorise la désunion, l’isolement, la maltraitance, rend l’emploi encore plus inaccessible, elle ouvre la porte à toutes sortes de fraudes, n’aide pas à assumer les dépenses liées à la maladie, empêche les emprunts, stoppe les projets, ne favorise pas la famille, les projets d’adoption ! Elle n’est pas humaine !

Nous voudrions que cette loi soit abrogée et modifiée par une autre qui donne un statut à la personne handicapée, afin de la protéger. Cette loi concerne tout le monde, le handicap ne prévient pas.


Isabelle (et Flavio), mars 2017.

Partagez !