L’affaire a commencé comme un conte de fées, le 1er décembre 2000 : Alstom, constructeur français de matériel ferroviaire, avait sur les bras des trains de nuit destinés aux liaisons à grande vitesse via le tunnel sous la Manche, refusés en 1998 par l’exploitant. La firme trouva le client idéal, Via Rail, compagnie canadienne publique de chemin de fer, qui allait lui acheter au rabais 139 wagons de passagers en état variable de finition pour 130 millions de dollars, soit 100 wagons gratuits au prix du marché !

Dès leur mise en service sous le label Renaissance, ces trains à grande vitesse cristallisèrent les critiques de passagers handicapés moteurs : portes et couloirs trop étroits, toilettes inaccessibles, pas moins de 46 obstacles recensés ! Comble du malheur, les Renaissance étaient affectés à des liaisons diurnes et nocturnes à fort trafic, notamment entre Montréal, Québec, Toronto et Halifax. Face à l’inertie de Via Rail, pour qui « tout n’allait pas si mal avec l’aide du personnel de bord », le Conseil des Canadiens avec déficiences (C.C.D) a saisi l’autorité nationale de régulation : l’Office des Transports du Canada (O.T.C). Dans sa décision de mars 2003, il retenait 14 obstacles contraires à la législation et concernant les espaces expressément conçus pour les voyageurs handicapés : absences d’accoudoirs relevables, de place suffisante pour manoeuvrer un fauteuil roulant dans l’espace réservé, portes intérieures trop étroites, toilettes trop exigües pour accepter un animal d’assistance, obligation d’utiliser un fauteuil de transfert dans la suite dite « accessible » des wagons-lits. Via Rail contesta l’ordonnance l’obligeant à effectuer d’importantes modifications sur 40 wagons devant la Cour Fédérale d’Appel, qui lui donna raison en mars 2005; la compagnie estimait alors que les travaux demandés couteraient 50 millions de dollars.

Fin de l’histoire judiciaire (accompagnée durant tout son déroulement par le silence du Ministre des transports qui est le « patron » de Via Rail) le 23 mars 2007 : la Cour Suprême a enjoint la compagnie à se soumettre à l’ordonnance de l’O.T.C. La magistrate rédactrice de la décision juge que « l’accès indépendant au même confort, à la même dignité et à la même sécurité que les personnes n’ayant aucune déficience physique est un droit fondamental de la personne pour les utilisateurs d’un fauteuil roulant ». De son côté, le C.C.D se réjouit de la décision qui reconnaît qu’ils ne sont pas des citoyens de seconde zone, tout en estimant que le gouvernement fédéral aurait pu intervenir auprès de Via Rail pour qu’elle modifie « ses wagons achetés avec l’argent des contribuables plutôt que de laisser la chose traîner devant les tribunaux pendant sept ans ». Avec comme résultat que, pour la première fois, une réclamation du C.C.D est sanctionnée par la Cour Suprême : les services publics de transports peuvent s’en inquiéter.

Cela se passe au Canada aujourd’hui. En France demain ?

Laurent Lejard, mars 2007.

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