Initialement annoncé pour janvier 2013, puis avant la fin du premier semestre comme l’avait répété à maintes reprises la ministre déléguée aux personnes handicapées, Marie-Arlette Carlotti, et le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, le Comité Interministériel du Handicap a finalement été réuni le 25 septembre dernier. Ou plutôt la moitié du CIH, puisque 13 des 25 ministres qui le composent ont fait le déplacement à l’Hôtel Matignon. Avec des absences de taille, telles la ministre en charge des Personnes âgées et de l’Autonomie, Michèle Delaunay, celle de la jeunesse et des sports, Valérie Fourneyron, la ministre de la justice, Christiane Taubira, la ministre de la culture et de la communication, Aurélie Filippetti, et surtout de ceux qui détiennent les cordons de la bourse, les ministres chargés de l’économie, Pierre Moscovici, et du budget, Bernard Cazeneuve : rien d’étonnant à ce qu’aucun crédit supplémentaire soit affecté ! Le Premier ministre a néanmoins reçu longuement des représentants associatifs pour les informer directement du relevé des 260 décisions et les assurer de la volonté gouvernementale de mettre en oeuvre une politique transversale du handicap, un exercice plutôt réussi selon les participants.

De l’ambition sans moyens.

Sur le sujet le plus attendu, l’accessibilité du cadre bâti et des transports à l’horizon 2015, le Gouvernement va légiférer par Ordonnance afin de donner une base juridique aux Agendas d’Accessibilité Programmée (Ad’Ap) et réformer les normes applicables, deux propositions formulées par la sénatrice socialiste Claire-Lise Campion dans le rapport qu’elle a remis au Premier ministre en mars dernier. Résultat : six mois de perdus pour lancer ce chantier soumis à une nouvelle concertation pour quelques mois encore ! Aucun budget n’est dégagé alors que les projets de loi de finances et de financement de la Sécurité Sociale pour 2014 étaient dévoilés le même jour et le lendemain, et donc pas de subventionnement, le Gouvernement espérant mobiliser les investissements d’avenir et la Banque Publique d’Investissement pour financer les adaptations nécessaires. Les gestionnaires ou propriétaires publics comme privés devront financer eux-mêmes ou rembourser des emprunts : rien qui soit de nature à stimuler les bonnes volontés.

Dans d’autres domaines, l’intégration des besoins spécifiques au sein des politiques sectorielles est privilégiée, par exemple en matière de formation professionnelle pour laquelle les partenaires sociaux sont invités à inclure dans la négociation de sa réforme les travailleurs handicapés. Les syndicats de salariés et de patrons joueront-ils le jeu ? Là où l’échec sera sûrement au rendez-vous, c’est avec le transfert au service public de l’emploi d’une partie de l’accompagnement des demandeurs d’emploi travailleurs handicapés actuellement assuré par le réseau spécialisé Cap Emploi : Pôle Emploi ne parvient pas à assurer un suivi minimal des travailleurs dits valides, et l’organisme n’est pas outillé (tout comme son prédécesseur l’ANPE) pour accueillir et conseiller des travailleurs handicapés à 80% sans qualification reconnue. Si l’idée de concentrer Cap Emploi sur l’accompagnement des « personnes handicapées éloignées de l’emploi » (entendez les chômeurs de longue durée) est séduisante, le risque est grand pour les autres de se retrouver dans l’impasse Pôle Emploi.

Les réactions associatives.

Comme on pouvait s’y attendre, les communiqués sont tombés nombreux, pour la plupart teintés de cette dose de naïveté qui fait le charme des associations nationales cherchant à po-si-ti-ver… Ouvertement pro-gouvernementale, l’Association pour Adultes et Jeunes Handicapés (Apajh) « se félicite de la décision du gouvernement de réunir pour la première fois cette instance, plus de trois ans après son installation, ainsi que de la volonté du gouvernement de placer le handicap au coeur des politiques publiques » et « salue l’élaboration d’une stratégie nationale ambitieuse ». L’Union nationale pour l’Insertion Sociale du Déficient Auditif (Unisda) affiche également une grande satisfaction, listant les mesures annoncées en faveur des personnes déficientes auditives, sans les analyser ni les commenter. L’Unapei relève « une feuille de route ambitieuse au service de l’inclusion des personnes handicapées [concernant] la quasi-totalité des aspects de la vie des personnes handicapées, ce qui atteste de la volonté de passer d’une politique catégorielle à une politique universelle et donc interministérielle. » Toutefois, elle « regrette que cette réunion n’ait pas été l’occasion d’annoncer des décisions retranscrites notamment dans le cadre des lois de finances de l’Etat et de la sécurité sociale pour l’année 2014 » et affirme qu’elle sera attentive à cet égard. La Fédération nationale pour l’Insertion des personnes Sourdes et des personnes Aveugles en France (FISAF) est la seule à demander que « des moyens humains et financiers suffisants soient dévolus au secrétariat général du Comité Interministériel du Handicap afin qu’il puisse jouer pleinement son rôle. » Avec une secrétaire administrative et une Secrétaire générale, on voit effectivement mal comment le suivi des 260 mesures annoncées sera possible…

Du côté des personnes déficientes visuelles.

Président de la Confédération Française pour la Promotion Sociale des Aveugles et Amblyopes (CFPSAA), Philippe Chazal affiche un optimisme prudent : « On est satisfait, comme l’ensemble des associations, de la volonté du Gouvernement de traiter la politique du handicap de façon transversale. Cela dit, il y a près de 260 mesures évoquées par le CIH et compte-tenu des moyens actuels, on n’est pas certain qu’elles soient appliquées dans un délai raisonnable. On peut quand même en douter, fort des expériences précédentes et en particulier, malheureusement, du plan Déficients visuels qui n’a pas donné les suites attendues et qui ne va pas être repris. » La CFPSAA en avait d’ailleurs dressé, en juin 2011, le bilan calamiteux. Philippe Chazal estime d’ailleurs que les personnes déficientes visuelles ont besoin de mesures pratiques pour leur vie quotidienne, saluant le développement de l’audiodescription à la télévision ou la publication de livres adaptés. Mais il s’inquiète de l’annonce d’une réforme des forfaits de Prestation de Compensation du Handicap, et il regrette le refus des ministères concernés de financer une campagne d’information sur l’adaptation des sites web : « Si les gestionnaires de sites Internet ne sont pas sensibilisés à l’accessibilité, ils n’en voient pas la nécessité même s’il y a des crédits pour la financer. » La CFPSAA doute également de l’intérêt d’intégrer les travailleurs déficients visuels dans les stages de formations en milieu ordinaire : « Non pas par manque de moyens techniques mais d’adaptation de la pédagogie. Les enseignants ne savent pas comment utiliser les logiciels spécifiques, ne peuvent enseigner le braille, la mobilité, ne peuvent assurer le soutien psychologique dont ont besoin les stagiaires déficients visuels. On reste partisan des centres de formation spécialisés, au moins dans le domaine de la déficience visuelle. » Et il souligne l’absence de dispositions concernant la circulation urbaine des personnes déficientes visuelles, telles le repérage sonore des véhicules électriques, la réglementation de la circulation des vélos sur les trottoirs partagés, la généralisation des bandes de guidage ou de vigilance : « Nous espérons être associés à la concertation sur l’accessibilité et avoir l’opportunité, avec la Délégation Ministérielle à l’Accessibilité, de faire entendre nos besoins pour qu’ils soient pris en compte dans la réforme de la réglementation. »

L’APF rassurée mais vigilante.

Toujours très remontée contre l’idée d’un report des échéances 2015 sur l’accessibilité du cadre bâti et des transports, l’Association des Paralysés de France (APF) apprécie l’ambiance dans laquelle le CIH s’est déroulé. « Il y a eu un travail de préparation, presque de séduction à notre égard; minutieux, long, que je qualifierai d’assez remarquable, explique Alain Rochon, président de l’APF. L’entrevue avec le Premier ministre, fort longue puisqu’elle a duré une heure et demie, est assez positive. Il nous a tenu un discours très gaullien sur le thème ‘on vous a entendu, on vous a compris’. Avec mes collègues de l’Unapei, de la FNATH et de l’APAJH, il y a eu une négociation qui s’est engagée avec le Premier ministre dès ce moment-là, qui a été assez productive. » Mais l’APF constate qu’il manque des moyens et des sujets : « Nous avions alerté le Gouvernement sur les ressources et la compensation. Sur la compensation, il y a très peu de choses pour ne pas dire qu’il n’y a rien, sur les ressources les conditions d’attribution de l’AAH pourraient être revues. » Effectivement, l’ancien patron de la CFDT, François Chérèque, sera chargé en janvier 2014 d’une mission de suivi et d’évaluation du plan de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale. « On ne peut se satisfaire de l’état actuel des ressources des personnes handicapées, reprend Alain Rochon, on reste vraiment sur notre faim. Dans ce qui est annoncé, qui est fort volumineux, et avec beaucoup d’effet d’annonce, des méthodes de travail, il va falloir que l’on soit vigilant sur la mise en place, je raisonne presque en creux. Sur l’accompagnement scolaire, le recrutement avait été annoncé, on attend maintenant une seconde étape avec la prise en compte du périscolaire. Pour l’enseignement supérieur, où en est l’accessibilité des universités ? Si on ne peut pas accéder aux locaux, ce n’est pas la peine de parler de formation. Le bilan est contrasté, le verre se remplit un peu mais il est encore loin d’être plein. » Et sur le sujet de l’échéance 2015 de l’accessibilité du cadre bâti et des transports, l’APF demeure prudente sur la volonté gouvernementale malgré les assurances données par le Premier ministre : « Je retiens des Agendas d’Accessibilité programmée qu’ils sont une méthode de travail, qu’il n’y a pas de calendrier alors que Jean-Marc Ayraud a bien voulu noter que 2015 est le 40e anniversaire de la première loi de 1975 sur l’accessibilité. Madame Campion parle de quatre ans plus trois ans de délai supplémentaire, pour nous c’est inacceptable parce qu’un accord doit être garanti : au-delà de 2017, on n’a pas de visibilité sur qui sera à l’Elysée et qui à Matignon. »

La FNATH dans l’expectative.

Le secrétaire général de la FNATH Association des accidentés de la vie, est à la fois rasséréné et circonspect : « La feuille de route est à la fois complète et imprécise, estime Arnaud de Broca. Je m’y retrouve dans les thématiques abordées, par contre on est quand même beaucoup dans des déclarations d’intention, de groupes de travail, d’expérimentations, d’évaluations. Il n’en ressort pas grand chose à court terme pour le quotidien des personnes handicapées. Tout l’enjeu est d’en suivre l’application. » Si Arnaud de Broca a constaté quelques avancées, réflexions et travaux importants depuis 2012, il estime qu’il n’y avait pas précédemment de vision globale : « La réunion avec le Premier ministre est une très bonne chose, c’est la première fois qu’il reçoit les associations et un signe important. » Mais il qualifie « d’incontournable et d’assez embêtant » le renvoi aux partenaires sociaux de négociations sur l’emploi et la formation : « Lors de la première conférence sociale, il devait y avoir une négociation interprofessionnelle sur le handicap qui n’a jamais eu lieu. J’ai dit au Premier ministre qu’il fallait que le Gouvernement suive cela de près, il ne suffit pas de dire que les partenaires sociaux doivent discuter sur la formation professionnelle des personnes handicapées pour que ce soit le cas. » Cela d’autant plus que le transfert à l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (AGEFIPH), en 2011, du financement de la formation adaptée a entrainé une baisse des crédits de 100 millions par an. « Je ne peux pas croire que la question du financement puisse être évacuée complètement de la réforme de formation professionnelle. Il y aura un projet de loi, on verra d’ici la fin de l’année quelles sont les ambitions du Gouvernement. » La FNATH est également dubitative sur le projet de renforcer l’obligation de reclassement des salariés devenus inaptes à leur poste de travail : « Tout dépend jusqu’où on va. Dans certains bassins d’emploi, il est extrêmement difficile de reclasser un travailleur handicapé de PME. Il faut sortir de la logique de l’entreprise et réfléchir en terme de bassin d’emploi. » Et Arnaud de Broca de constater l’absence de toute disposition sur l’accessibilité des locaux professionnels : « Un arrêté sur les locaux neufs est bloqué à cause d’un désaccord entre les différentes administrations, et donc j’attendais du CIH qu’il tranche. Sans l’arbitrage du Premier ministre, je pense qu’on est reparti pour un délai extrêmement long. Et pour les locaux existants, on est loin d’avancer. » Ce seul exemple montre le décalage entre les décisions du CIH et la réalité : comment promouvoir l’intégration professionnelle sans moyens pour une formation professionnelle ni accessibilité garantie des locaux professionnels ? Mais cela fait longtemps que l’on sait que les promesses n’engagent que ceux qui les croient…

Laurent Lejard, octobre 2013.

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