L’information a filtré dès les premières minutes : les associations ne feraient pas de scandale au moment de l’intervention du Président de la République venu conclure la seconde Conférence Nationale du Handicap. En cause, l’article d’un projet de décret donnant à l’État la majorité des voix au sein des commissions accordant l’Allocation aux Adultes Handicapés (Lire l’actualité du 28 janvier 2011). Dans les jours et heures précédant la CNH, les cabinets ministériels « ont déminé le terrain » en assurant que la disposition controversée serait retirée du texte qui, lui, sera prochainement publié.

Loin de l’orage annoncé, la Conférence a donc été fort calme, ponctuée parfois d’applaudissements approuvant un propos, avec un public tenu toute la journée en haleine, par la onzaine de ministres qui se sont succédés, de ce qu’allait en fin de journée déclarer Nicolas Sarkozy. Un discours prononcé devant une assistance presque recueillie, dont surnagent quelques mesures aux allures de mesurettes, devant micros, caméras et applaudissements de rigueur. Les commentaires associatifs sont venus quelques heures plus tard, par communiqués de déception.

Une bonne organisation palliative

Presque rien à redire côté organisation, si ce n’est que la capitale de la France ne dispose toujours pas d’une salle de conférence d’un millier de places capable de recevoir plusieurs dizaines de personnes en fauteuil roulant, mal-marchantes ou déficientes visuelles. C’est donc au Centre Georges Pompidou, dans une salle de plain-pied dédiée aux expositions temporaires, que s’est tenue la CNH. Si les circulations étaient larges et les buffets démultipliés, les participants en fauteuil roulant étaient placés (comme d’habitude) sur les côtés, au premier ou dernier rang, de même que les aveugles avec chien-guide. Impossible d’échapper à cette assignation, le bataillon des hôtesses intervenant systématiquement, parfois lourdement, auprès des égarés…

Faute de toilettes dans cette partie du bâtiment, une batterie de WC préfabriqués a été posée près de l’entrée, desservis par une rampe suivie d’un ressaut et sans possibilité de refermer la porte sans être aidé, le pipi en autonomie n’était donc pas au rendez-vous. Mais l’ensemble de la conférence a témoigné d’une organisation qui s’est donnée les moyens : signalétique soignée et en grands lettrages contrastés, retransmission en direct sur la chaine télé Public Sénat, mallette remise à chaque participant avec rapports imprimés et clé USB siglée, déjeuner offert à tous, interprétariat en Langue des Signes Française, codage en Langage Parlé Complété et transcription en vélotypie de l’ensemble des interventions, etc. Le coût, lui, restera secret : sollicité à plusieurs reprises, le secrétariat d’État chargé de la cohésion sociale n’a pas répondu à cette question.

Communication positive

Avec 11 ministres et le Président de la République, le record du colloque du 20 février 2002 est battu : « seulement » huit ministres du gouvernement Jospin y participaient. Pourtant, la préoccupation semble la même : convaincre l’opinion publique que l’on fait beaucoup pour les personnes handicapées, et que demain on fera mieux encore… Avec en ligne de mire les élections présidentielle et législative de mai et juin 2012.

Alors Roselyne Bachelot, ministre chargée des personnes handicapées, réaffirme que « l’accessibilité est un des piliers de la politique du handicap », sa secrétaire d’État, Marie-Anne Montchamp annonce que 85% des places à créer en établissements spécialisés sont autorisées, son collègue du logement, Benoît Apparu, estime que le fichier unique de demande réglera le problème du délai interminable d’attribution d’un logement social adapté, le ministre de l’Éducation Nationale, Luc Chatel, va lancer une expérimentation dans une dizaine de départements pour mieux cerner les besoins d’accompagnement des élèves handicapés.

Pourtant, ce positivisme n’est rien à côté de l’intervention de Christine Kelly, chargée de l’accessibilité des émissions télévisées au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel : à l’entendre, elle seule aurait obtenu que les programmes soient sous-titrés par les chaines ! Autre incongruité, ni Pole Emploi ni l’AFPA ne participaient à la table-ronde consacrée à l’emploi et la formation professionnelle, un service public aux handicapés absents.

Dehors, les déficients visuels manifestaient, mais pas devant l’entrée, plus loin des regards, rejetés derrière des barrières étroitement surveillées par les CRS. Le président de la Fédération des Aveugles de France rappelle le bilan du plan Déficience visuelle : « Trois ans après son lancement dans une entreprise privée, rien n’a été fait », dénonce Vincent Michel. Scandant « Faut être qui aujourd’hui pour être bien vu ? », les manifestants applaudissent sans déranger le moins du monde le doux ronronnement de la CNH.

Roselyne Bachelot vient « pré-conclure » en annonçant un catalogue de mesures : organisation d’une action de sensibilisation chaque 3 décembre (date de la journée européenne des personnes handicapées), signature d’une convention d’objectif avec France Télévision pour promouvoir la visibilité des personnes handicapées à l’antenne, lancement d’un festival du film handicap (il en existe déjà un, Retour d’image, dont la présidente éberluée se demandait ce qu’elle devait comprendre), transposition de la convention culture-santé (Lire l’actualité du 6 mai 2010) au secteur médico-social, plan national de formation des membres des commissions locales d’accessibilité, aide à la garde d’enfants handicapés…

« Le handicap doit imprégner l’ensemble de nos politiques publiques », conclut-elle en laissant la place au discours du Président de la République, aux antipodes de sa prestation lors de la première Conférence Nationale du Handicap. Cette fois en effet, Nicolas Sarkozy prend son auditoire au sérieux, contrairement au 10 juin 2008. Et les annonces fusent : Pole Emploi, pourtant absent de la CNH, devra accompagner vers l’emploi 70.000 personnes handicapées, un millier de postes en Entreprises Adaptées seront créés en 2012, 150 millions d’euros investis dans l’accessibilité des écoles de la fonction publique et l’aide aux fonctionnaires handicapés, le métier d’Auxiliaire de Vie Scolaire professionnalisé et offrant des débouchés, et enfin le fâcheux décret sur l’AAH modifié pour ne plus déplaire. Applaudissements, poignées de mains, chacun a tenu sa partie !

Flop médiatique

Le traitement médiatique de cette conférence a été globalement indigent du fait de la lourdeur de sujets aussi importants que l’affaire DSK. Dans ce registre, on relève la performance du journal télévisé de 20 heures sur France 2 : 15 secondes d’un résumé suivi d’un publi-reportage de 3 minutes sur la troisième voiture adaptée pour Philippe Streiff, conduite par joystick et sans volant, un système que Streiff utilise depuis au moins 15 ans ! Mais le présentateur David Pujadas ne le sait pas et le reporter Diego Garcia est affirmatif : « Aujourd’hui, grâce aux nouvelles technologies, [Philippe Streiff] peut revivre sa passion. Le véhicule lui a été offert par une grande marque automobile. » Un cadeau équivalent à plus de huit ans d’AAH, prestation que Philippe Streiff ne touche pas : entré dans la haute fonction publique grâce à ses amitiés politiques (il milite à l’UMP) l’ex-coureur de Formule 1 devenu tétraplégique est chargé de mission handicap à la Direction de la Sécurité et de la Circulation Routières, ce qui justifie sans doute de rouler avec « 245 chevaux sous le capot, des pointes à 200 km/h »… Si la seconde Conférence Nationale du Handicap a déçu la plupart des participants, elle aura au moins donné à l’heureux Philippe Streiff l’occasion de remercier son généreux donateur en lui obtenant un écran publicitaire gratuit.

Laurent Lejard, juin 2011.

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