Les bureaux de poste sont, à leur manière, un baromètre de l’évolution de la société et de l’économie française : moins d’Etat et de service public. Ces bureaux constituaient jadis d’importants lieux de dépôt et retrait d’argent par mandat et autres paiements à vue. Le développement des opérations automatiques par automates bancaires, prélèvements, Internet et autres interfaces informatiques, a pratiquement fait disparaître ces opérations, presque exclusivement réservées aux clients pauvres ou sous mesure d’interdiction bancaire, sans carte de retrait. De ce fait, les comptoirs fermés par des vitres blindées sont en voie d’extinction, et l’activité des bureaux de poste est réorientée pour tenir compte du morcellement des activités commerciales : les guichets sont désormais spécialisés, les bureaux rénovés vendent de la papèterie, de la téléphonie, des gadgets. Le courrier pesé et affranchi aux guichets est expédiable par La Poste ou sa filiale Chronopost, les retraits dans des boites de La Poste ou d’une autre filiale, Cityssimo. Les opérations financières sont réalisées par la filiale La Banque Postale, à des guichets distincts au sein d’un bureau de poste.

Sauf pour les clients handicapés. A condition qu’ils le sachent, parce que ce n’est pas clairement affiché. Dans chaque bureau rénové, les clients handicapés peuvent effecteur toutes les opérations courrier et argent à un seul guichet, celui de La Banque Postale qui est panneauté en bleu « retrait dépôt transfert d’argent » et sous lequel doit être accroché un autre panneau, blanc celui-là, qui comporte la mention « Prioritaires » accompagnée des pictogrammes « fauteuil roulant » et « femme enceinte ». La signalisation précédente était plus explicite, comportant le texte « Carte prioritaire » au-dessus des deux pictogrammes. Hélas, 10% seulement des bureaux réaménagés disposent d’un panneau « Prioritaires ».

Tout récemment rénové, le bureau de poste de la rue du Louvre (Paris 1er) est le seul en France à être ouvert jour et nuit, tous les jours de l’année. De type ESC (Espace Service Client), ses guichets ont perdu leurs vitres blindées, leur nombre a été réduit, l’espace est devenu plus agréable, déstressé, silencieux, ceux qui ont connu le bureau précédent apprécieront la différence. Côté accessibilité, une seconde rampe a été créée à droite de l’immeuble, débouchant face à l’une des deux portes automatiques d’entrée dans le bureau. Alors, on s’y dirige naturellement… pour constater qu’elle ne s’ouvre pas. En fait, c’est l’autre porte, au centre du bâtiment, qui dessert le bureau; la seconde porte automatique ne sert en fait que d’issue de secours, à condition de dégager les présentoirs qui l’encombrent ! Depuis la porte centrale, un guidage podotactile oriente les clients aveugles utilisant une canne blanche vers le guichet « toutes opérations » accessible et prioritaire.

À quelques centaines de mètres, le bureau de la rue d’Aboukir est nettement moins agréable : tout en longueur, mal éclairé, sans guidage podotactile ni boucle magnétique ni guichet prioritaire, il est peu accueillant. Selon le chef de bureau, un panneau « Prioritaires » avait été collé sur celui de La Banque Postale, mais il n’a pas tenu et a été retiré. Le bureau installé derrière la Bourse a, lui, été « pionnier », entendez qu’il fut un bureau pilote à partir duquel La Poste a déployé ses nouveaux concepts d’aménagement. Aujourd’hui, il ne pourrait plus l’être, devenu inaccessible à cause d’un seuil infranchissable sans aide alors qu’à l’intérieur un élévateur fauteuil roulant assure le franchissement d’un escalier. Lorsqu’il était bureau pilote, on accédait par deux entrées à portes automatiques, mais La Poste a cédé une partie des emprises, et c’est bien évidemment l’entrée accessible qui a été vendue à un propriétaire privé… Autre altération de l’accessibilité liée à un mauvais usage, dans le bureau de la rue Chauchat (9e) : la table placée à côté du guichet « Prioritaires » et destinée à remplir un formulaire, remplir et fermer un emballage de colis, sert de présentoir à des documents commerciaux.

Dans le 16e arrondissement, le bureau Molitor semble condamné à disparaître : l’accès à ce petit bureau ancien nécessite de franchir un seuil élevé, les guichets sont hauts, sans tablette permettant d’écrire, le monnayeur de l’automate d’affranchissement est hors de portée. À 800 mètres de là, le bureau Parc des Princes fait figure de science-fiction, avec son entrée de plain-pied par porte automatique surmontée d’une borne sonore destinée à orienter les clients aveugles, débouchant sur deux accès spécialisés entrée et sortie avec guidage podotactile vers la banque d’accueil du public, un guichet prioritaire sur trois et même un automate de remise de chèque, l’un des rares que La Poste ait mis en service.

Pour réduire l’attente aux guichets, La Poste a en effet développé des automates, essentiellement pour l’affranchissement de lettres qui intègrent maintenant les recommandés. Malheureusement, une erreur majeure de conception rend ces appareils malcommodes ou difficilement utilisables par des personnes en fauteuil roulant, ou de petite taille : un rebord au-dessus de l’écran empêche le bras et la main d’accéder aisément au plateau de pesée du courrier à affranchir dont la hauteur est à 1 m 30 au-dessus du sol. Si les spécifications de hauteur du plateau, de l’écran et du réceptacle semblent conformes aux normes d’accessibilité, l’ergonomie de l’appareil a généré un obstacle inconfortable. Pour leur part, les déficients visuels devraient prochainement pouvoir utiliser ces automates, une solution vocale étant en cours d’élaboration, pour déploiement à une date encore inconnue.

Autre gros problème d’accessibilité, la filiale de retrait à toute heure de lettres et colis Cityssimo. Là, l’accessibilité a été totalement oubliée alors que ce nouveau service, créé huit mois après la loi de février 2005, aurait dû prendre en compte les besoins des personnes handicapées : l’accès nécessite d’actionner un clavier à écran visuel, il n’est pas prévu de réserver des boîtes postales à bonne hauteur pour un client handicapé.

La direction de La Poste affirme que près de 70 % des 11.000 bureaux de poste sont accessibles aux clients à mobilité réduite : « En application de la loi handicap de février 2005, qui prévoit notamment l’accessibilité des établissements recevant du public (ERP) pour janvier 2015, les bureaux de poste sont systématiquement mis aux normes, dans le cadre d’une construction, d’un chantier de modernisation ou d’une simple rénovation […] L’accessibilité est un projet de longue haleine qui se terminera au plus tôt fin 2014 ». Mais si La Poste témoigne d’une réelle volonté d’améliorer la qualité de l’accueil de ses clients dont ceux qui vivent avec un handicap, la complexité du chantier à accomplir ainsi que les altérations liées à l’usage génèrent un résultat disparate finalement assez français…

Laurent Lejard, avril 2010.

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