Au Cameroun, la population des personnes vivant avec un handicap est estimée à près de 10% des 18 millions d’habitants. Pour chacune de ces personnes, vivre avec un handicap est un véritable parcours du combattant, étant donné qu’elles sont obligées de surmonter les multiples obstacles dressés sur leur chemin afin de vivre. Qu’il soit sensoriel, moteur, mental ou social, le handicap pose un problème d’insertion sociale. Toutefois, le Gouvernement commence à prendre des mesures en faveur des personnes handicapées, même si cela reste encore au niveau des slogans politiques.

Quand on arrive au bout de l’Avenue Kennedy, une artère commerciale du centre ville de Yaoundé, la capitale camerounaise, on remarque toute suite Monique Attey. Assise sur ce qui lui sert de banc et de support pour son parasol, ses béquilles à côté d’elle, Monique est handicapée motrice. C’est son lieu de travail. Cette jeune femme de 31 ans, est gérante d’une cabine téléphonique ambulante appelée ici call box. Quatre téléphones portables entre les mains, c’est son matériel de travail : « Je suis là momentanément, car le délégué du gouvernement a chassé tous les débrouillards de l’avenue à cause des travaux de voirie de la capitale et nous ne savons pas où aller », explique-t-elle. La vie n’a pas fait de cadeaux à Monique. Elle a eu la poliomyélite à l’âge de 6 ans. Née dans une famille modeste, sa scolarité a été approximative.

De petit boulot en petit boulot, et à force de courage et de ténacité, cette jeune femme qui a un enfant à charge a pu décrocher un emprunt du Fonds National de l’Emploi (FNE) pour commencer une activité dans la coiffure. Activité malheureusement interrompue à cause d’une tuberculose qui l’a maintenue à l’hôpital durant six longs mois. « Maintes fois, je suis allée au ministère des Affaires sociales pour trouver de l’aide pour relancer mes activités; ils n’ont pas fait droit à ma demande. Au ministère, il faut connaître une personne haut placée pour que votre dossier aboutisse ». Voilà pourquoi, elle s’est lancée dans la gérance d’une call box. Une activité qui la fait vivre tant bien que mal.

À quelques encablures du centre ville, on arrive à Mvog-Betsi, un quartier de la périphérie, célèbre pour son parc zoologique et sa grande ferme avicole. Marie Kana y vit et a ouvert son atelier de couture. Agée de 45 ans, mariée et mère de trois enfants, elle est handicapée depuis l’âge de trois ans : « A l’époque, des religieuses françaises avaient constaté qu’il y avait beaucoup d’enfants frappés par la poliomyélite. Elles ont proposé aux parents de les ramener en France pour les faire soigner. J’ai eu la chance que ma famille ait accepté. Je suis restée sept ans en France. On m’a fait de la rééducation, on m’a un peu redressée, je marche avec un appareil orthopédique. »

Bien que Marie ait eu plus de chance que Monique, leurs trajectoires sont parallèles. Marie a du se battre toute seule pour y arriver, sans l’aide de personne, même pas celle de son mari. D’ailleurs, ce dernier a pris une seconde épouse dite « normale »…

Marie a trouvé refuge dans son atelier de couture, qu’elle a acquis grâce à un emprunt auprès des tontines(épargne des associations des femmes exerçant des petits métiers). « Je n’ai pas de fonds de commerce en tant que tel. Je n’ai jamais eu de l’aide financière de l’Etat ». La fierté de Marie aujourd’hui est d’avoir formé une jeune femme sourde muette. C’était une véritable gageure. Personne n’y croyait. Marie a cru en elle. Elle a su qu’elle pouvait tirer le meilleur de cette jeune fille. « Je l’ai formé parce qu’elle est aussi une personne handicapée comme moi. J’ai tout fait, j’ai mis toutes mes forces et mon énergie pour l’aider. Maintenant, elle coud bien, elle envisage d’ouvrir son propre atelier de couture ».

Au Cameroun, les personnes handicapées – adultes ou enfants – ne bénéficient presque pas de pension ou d’allocation. Par conséquent, les personnes handicapées, qui sont déjà comptées parmi les plus pauvres de la société sont obligées de vivre avec le plus strict minimum. Tel est le cas de Léonard et Liliane : Leonard a perdu la vue il y a de cela quelques années et il a dû apprendre à gagner sa vie en tissant du rotin. Il s’est marié à Liliane, qui est paraplégique, et ils ont ensemble deux enfants qui vont à l’école. Malgré son aptitude à tisser du rotin, Leonard a essayé plusieurs fois mais en vain d’obtenir de l’aide financière du Gouvernement ou d’ailleurs pour ouvrir un atelier tel qu’il le désire afin de mieux travailler, augmenter sa production, gagner sa vie et prendre soin de sa famille. Comment parvient-il à subvenir aux besoins de sa femme et de sa famille ? Leonard répond : « C’est une expérience très humiliante de devoir dépendre des autres, non seulement pour mes propres besoins, mais aussi pour ceux de ma femme et mes enfants. »

Monique, Marie et d’autres comme Bernard, vendeur de fruits au marché ou Albert, laveur de voitures à l’avenue Kennedy, ou Léonard et Liliane, ont surmonté leur handicap pour s’insérer dans la société. Ils ont dû braver les préjugés, les discriminations et le regard des autres pour vivre ou survivre. La situation est beaucoup plus précaire pour les Camerounais qui deviennent handicapés à la suite d’un accident de travail ou autre. Les complications légales, le manque de volonté et la malhonnêteté des assureurs peuvent se révéler parfois très dévastateurs. Ainsi, par exemple, il n’a pas été facile pour Marie de s’adapter à sa nouvelle vie sur une chaise roulante après son accident de voiture. Selon ses propres mots, elle a dû « surmonter plusieurs obstacles psychologique, physique et culturel afin de vivre dans une chaise roulante. » Mais, elle ajoute, « De tous les défis auxquels je fais face, le plus grand est l’accès à mon bureau quand je vais au boulot tous les jours. »

Si Marie est capable de travailler dans un bureau, quoiqu’avec difficulté, ce n’est pas un privilège dont jouissent de nombreuses personnes handicapées au Cameroun. L’éducation de l’enfant handicapé reste un véritable problème étant donné que les familles n’ont pas du tout la volonté, d’une part d’envoyer leurs enfants handicapés à l’école, et d’autre part le système éducatif camerounais n’est pas adapté pour l’insertion des enfants avec un handicap. Il y a tout juste deux ans que le Gouvernement a commencé à former des enseignants spécialisés dans l’éducation des personnes handicapées. En dépit de cela, les établissements scolaires ne possèdent pas l’équipement et les infrastructures adéquates et adaptées pour l’insertion aisée des enfants handicapés. L’absence de matériel pour malentendants, de machines à écrire en braille pour les aveugles, de rampes pour ceux qui sont dans des fauteuils roulants sont quelques problèmes parmi tant d’autres qui n’encouragent pas les parents hésitants et les éducateurs. Dans certaines familles et cultures, le tabou du handicap existe toujours. Les enfants avec un handicap sont considérés comme une malédiction et par conséquent, il n’y aucune raison de les envoyer à l’école…

Dans les années récentes, le Gouvernement camerounais a redoublé d’intérêt pour les questions concernant les personnes vivant avec un handicap, à travers le Ministère des Affaires Sociales qui est chargé de mener des actions dans ce domaine. L’éducation est un des aspects dans lequel cette action est visible. Les enfants handicapés, aussi bien que ceux nés de parents handicapés, sont dispensés de frais de scolarité dans les établissements publics. Toutefois, cette action est menée de façon intermittente, généralement, dans le cadre de la Journée Internationale des Personnes handicapées, marquée par l’octroi de matériels facilitant la mobilité.

Bien que des citoyens louent cet intérêt renouvelé du Gouvernement concernant les questions liées aux personnes handicapées, beaucoup reste à faire pour mettre en application les résolutions gouvernementales. Au Cameroun, les concours sont presque le seul moyen d’accéder à la fonction publique mais, dans quasiment tous ces concours, il est précisé que les candidats « ne doivent souffrir d’aucune déficience physiologique sérieuse dans la diction, l’audition, la vue ou la mobilité ». Cette seule disposition constitue déjà une barrière pour toute personne handicapée. Le secteur privé n’est pas en reste, rejetant les travailleurs handicapés sous prétexte qu’ils ne peuvent pas être performants. Tout ceci constitue un cercle vicieux dans lequel la plupart des personnes handicapées sont obligées de vivre. Bien que quelques-unes réussissent à s’en sortir, ce combat nécessite beaucoup plus de volonté d’action systématique de la part du Gouvernement, et un changement général de la perception de la société concernant la personne handicapée, pour que la situation des personnes handicapées au Cameroun évolue pour le mieux.


Muluh Hilda Bih et Emilienne Soué, février 2010.

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