Cette phrase célèbre de Jacques Chirac doit nous inciter à être particulièrement vigilants face aux promesses formulées par le Président de l’AVH, Gérard Colliot, lors de l’Assemblée Générale de l’association qui s’est tenue le 8 juin dernier : aucun licenciement de personne handicapée ne se fera contre sa volonté, on veut y croire ! L’AVH va rejoindre la Confédération Française pour la Promotion Sociale des Aveugles et Amblyopes (CFPSAA) qu’elle a quittée en 2012, acceptera-t-elle de payer aujourd’hui sa cotisation alors qu’elle évoque d’importantes difficultés financières ?

L’ancien trésorier Gérard Jeannin a, quant à lui, indiqué que les détracteurs du plan social étaient atteints de « cécité financière « . La Fondation doit, selon lui « continuer à s’enrichir ». Quelques 90 membres de l’AVH étaient présents à l’Assemblée Générale, 250 y étaient représentés. Ils ont été appelés à voter sur les traditionnels rapports et sur des résolutions également habituelles à ce type de réunions, en revanche il ne leur a pas été permis de se prononcer pour ou contre le plan social comme l’aurait exigé un minimum de démocratie. Ceci a été renvoyé au Conseil d’Administration (sous contrôle) dont tous les membres sortants ont été réélus. Comme on pouvait s’y attendre, le plan social a été approuvé par 14 voix contre 7. Seule la Direction Régionale des Entreprises de la Concurrence de la Consommation du Travail et de l’Emploi (DIRECCTE), qui pour l’instant refuse d’approuver le Plan social, peut à présent modifier le cours des choses. Pendant l’Assemblée Générale, les organisations syndicales avaient organisé un mouvement de grève très suivi par les salariés et une manifestation à laquelle ont participé quelque 200 non-voyants.

Ma déclaration :

Pour avoir été entre 1976 et 2012 très impliqué dans la vie de l’Association Valentin Haüy, comme cadre dirigeant pendant plus de trente ans, puis comme membre du Conseil d’Administration et brièvement Vice-président, je crois avoir aujourd’hui une certaine légitimité à porter devant vous la parole des milliers de non-voyants qui, depuis sa fondation, ont bénéficié du soutien de l’AVH et qui craignent à présent de la voir progressivement disparaître.

Grâce au dévouement sans borne de personnes aveugles au premier rang desquelles son fondateur Maurice de la Sizeranne, puis de Louis Renaux, Pierre Villey, Pierre Henry, Pierre Schneider-Maunoury, Louis Lecogne, Louis Ciccone, Françoise Madray-Lesigne, l’AVH a pu devenir ce qu’elle a été longtemps : la première association française au service des aveugles et déficients visuels, et surtout un ardent défenseur du braille. Malheureusement, cela a bien changé depuis dix ans et je ne prendrai ici que quelques exemples :

Sur plus de 600 membres de l’Association, moins d’une centaine est non ou malvoyant. Le nombre de salariés déficients visuels, hors établissements de travail adapté ou d’aide par le travail, a été divisé par deux au siège national de la rue Duroc, par trois au Centre de formation et de rééducation professionnelle, et on ne compte quasiment plus de chefs de service ou de directeurs aveugles comme autrefois. Certains dirigeants de la Fondation AVH prétendent que le Braille n’a plus sa place à l’AVH, la meilleure preuve en est le démantèlement de l’imprimerie de la rue Duroc, pourtant entièrement rénovée voici quelques années. Il a été mis brutalement fin à toute une série d’activités précédemment organisées dans l’auditorium au bénéfice des aveugles et malvoyants, notamment les concerts de musique (l’orgue qui représentait un symbole a même été donné !), les séances d’audiovision et les rencontres littéraires mensuelles de la médiathèque.

En février 2013, l’AVH qui, pourtant, avait oeuvré pour l’unité des aveugles français en participant activement à la création de la Confédération Française pour la Promotion Sociale des Aveugles (CFPSAA), a commis une erreur historique en démissionnant de cette structure, croyant sans doute la faire disparaître en la privant de financement. Il n’en a rien été bien au contraire, mais l’AVH a ainsi perdu toute représentativité auprès des Pouvoirs Publics et n’est plus en mesure de participer à la défense des droits des déficients visuels ce qui est pourtant fondamental. La création de la Fondation a été le coup de grâce car en « mettant à l’abri » (selon les termes mêmes de la convention constitutive) près de cent millions du patrimoine de l’Association, elle l’a privé de ressources indispensables à son fonctionnement tels les revenus de quelque 150 appartements, des valeurs mobilières de placement, de la moitié des legs qu’elle utilisait chaque année. La fermeture du centre de vacances d’Arvert a été le premier résultat tangible, suivi de près par une forte augmentation des loyers demandés aux locataires de la résidence de la rue Petit à Paris, puis par une augmentation sensible des prix de vente des aides techniques au magasin dont le catalogue a été réduit de moitié.

Les déficits que vous présentez aujourd’hui étaient inéluctables. Ils vous conduisent à vous séparer de 31 salariés dont 26 licenciements économiques, 30% de ceux-ci touchent des personnes aveugles qui auront bien du mal à retrouver un emploi; à fermer des services tel le Club de loisirs du Groupe Ile-de-France qui accueillait chaque jour plusieurs dizaines de non-voyants, ils n’auront plus la possibilité de faire de la vannerie, de la sculpture, du tissage, d’avoir des cours de yoga, de conscience du corps ou de danse en toute sécurité encadrés par des professionnels compétents, mais ils seront guidés par des bénévoles de bonne volonté bien moins expérimentés. Je ne parle pas des Instructrices de Locomotion dont l’aide était indispensable pour permettre aux aveugles de se déplacer en toute autonomie, mais cela vous faites semblant de l’ignorer.

Le 2 juin dernier, une motion de défiance a été présentée au personnel, sur 145 votants elle a recueilli 97,2% de voix en sa faveur. Nous aussi, aujourd’hui, votons massivement contre un plan social qui va frapper des travailleurs déficients visuels ou des prestations aux déficients visuels, et qui est mené dans des conditions d’irrespect des salariés, des comités et de la loi; contre un plan qui ne suffit pas à assurer le retour à l’équilibre et donc permet d’augurer qu’il y aura un deuxième plan social encore plus dur; contre un plan qui n’explique pas s’il y avait des solutions alternatives ou bien pourquoi elles ont été écartées.

J’appelle donc toutes les personnes qui aiment l’AVH, qui se dévouent pour elle, à se mobiliser pour la sauver s’il en est encore temps. Que vous soyez membres de l’Association, de son Conseil d’Administration, de ses groupes locaux, ou tout simplement une personne aveugle bénéficiaire de ses actions, résistez de toutes vos forces et par tout moyen à un démantèlement programmé. Nous ne pouvons sans réagir laisser s’éteindre 130 ans d’histoire, les actuels fossoyeurs de l’AVH doivent être remplacés par des personnes qui, comme de nombreux dirigeants des groupes locaux, ne sont pas avant tout des financiers mais de vrais amis des aveugles et mal-voyants, connaissent leurs besoins et veulent les soutenir.

Philippe Chazal, juin 2017.


En complément, lire ce Focus qui explique l’organisation financière de l’AVH, et cet article qui présente la restructuration en cours.

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