La loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées devait assurer leur intégration au milieu des autres. Elle instaurait la compensation des handicaps, l’accessibilité totale de la chaîne du déplacement, de la voirie et du cadre bâti, l’accès à l’éducation ordinaire, à la formation et à l’emploi, organisait la participation des personnes handicapées aux décisions qui les concernent. Dix ans plus tard, il ne reste presque rien de la lettre et de l’esprit de cette loi qui voulait fonder un autre rapport au handicap ainsi qu’à celles et ceux qui le vivent.

La compensation n’est réellement effective que pour les personnes lourdement handicapées qui disposent depuis 2006 d’un financement des aides humaines indispensables à leur vie autonome à domicile grâce à la Prestation de Compensation du Handicap (PCH). Mais ces derniers temps, le montant financé décroche de la réalité du prix des heures d’aide humaine, et certains bénéficiaires paient sur leurs revenus le prix de cette vie autonome. Les montants plafond de la PCH finançant les aides techniques ou animalières, à l’aménagement d’un véhicule ou d’un logement, n’ont pas bougé depuis 2006, comme si les prix restaient immuables. Pour obtenir ce droit, comme pour tous les autres d’ailleurs (carte d’invalidité, Allocation aux Adultes Handicapés, orientation professionnelle, etc.), il faut toujours monter un dossier soumis à une commission qui décide médicalement, sur les pathologies et incapacités. A cet égard, rien n’a changé par rapport aux précédentes COTOREP et CDES, et d’ailleurs la plupart des CDAPH sont « naturellement » retombées dans les errements bureaucratiques de leurs devancières : décisions prises par les médecins et les experts, sans entendre les personnes et leurs potentialités.

L’accessibilité à tout pour tous constituait la plus grande avancée de la loi du 11 février 2005. Trente ans après la l’introduction de ce droit dans la loi d’orientation du 30 juin 1975, il devenait effectif avec un processus de contrôle et des sanctions financières voire pénales. Ce droit a été jeté aux orties par l’actuel gouvernement, qui a supprimé par l’ordonnance du 26 septembre 2014 l’accessibilité de la totalité de la chaîne du déplacement, réduit l’accessibilité à quelques points d’arrêts prioritaires, organise une machine administrative à délivrer automatiquement des dérogations et délais infinis pour adapter les constructions existantes, autorise les copropriétés à discriminer les personnes handicapées, crée des dérogations à l’accessibilité des constructions neuves : en 1975, le législateur affirmait que la France devait construire accessible, 40 ans plus tard un gouvernement prétend que c’est impossible !

Le nombre d’enfants et de jeunes handicapés scolarisés dans les établissements ordinaires a fortement progressé, avec un développement constant de l’accompagnement humain de ces élèves. Mais les enseignants ont dû faire avec leurs moyens, sans formation ni véritable support pour la plupart, telles sont les grandeurs et misères de l’Education Nationale. Si nombre de ces élèves ont acquis un savoir qui leur aurait été interdit quelques années auparavant, d’autres sont accueillis comme en garderie. Quant aux collaborations et passerelles entre établissements ordinaires et spécialisés, elles en sont toujours, dix après, à l’état embryonnaire.

L’emploi des personnes handicapées est sinistré, leur chômage deux fois plus important en pourcentage et en durée, cela malgré une obligation légalement instaurée il y a 28 ans ! La loi de 2005 a, dans ce domaine, eu des effets pervers en ouvrant un large champ de détournement de la contribution imposée aux entreprises qui ne respectent pas l’obligation d’emploi : des centaines de structures et sites web de promotion de l’emploi des travailleurs handicapés ont été créés, qui engraissent leurs créateurs, lesquels ont tout intérêt à ce qu’un fort chômage perdure ! La formation professionnelle est en panne de financement du fait d’un transfert de charge de l’Etat vers l’Agefiph qui a fait perdre 100 millions d’euros, les stages sont plus courts et moins qualifiants.

La participation des personnes handicapées aux décisions qui les concernent n’est plus qu’une poudre aux yeux que les associations nationales acceptent touours de recevoir. Dix ans après la loi du 11 février 2005, on ne connaît toujours pas précisément la population des personnes handicapées et ses besoins effectifs, aucune étude statistique de terrain n’a été lancée. Les programmes de recherche et de prévention demeurent dispersés et peu efficaces, la création d’un Observatoire national sur la formation, la recherche et l’innovation sur le handicap (ONFRIH) n’a servi à rien, tiraillé par les querelles de chapelle des « sachants » valides vivant sur le dos des sujets handicapés; ce « machin » en a même oublié qu’il devait présenter son rapport triennal l’an dernier : à croire qu’un rapport tous les trois ans c’était déjà trop…

Et que dire de positif au sujet du processus de concertation ? Impliquant des associations nationales de défense qui sont quasiment toutes gestionnaires d’établissements médico-sociaux, ce processus est resté un alibi agité par les gouvernements successifs. A tel point que lorsqu’à l’automne 2012, le gouvernement Ayrault a remis en cause l’accessibilité à tout pour tous, les associations nationales ont accompagné le mouvement, accepté le principe d’une modification par ordonnance (c’est-à-dire sans débat parlementaire sur les dispositions réelles), permettant ainsi au gouvernement Valls de déchiqueter cette accessibilité sur fond de vaines protestations d’associations, abusées certes, mais qui ont accepté le piège grossier qui leur était tendu.

Dix après la loi du 11 février 2005, l’action gouvernementale et l’incurie associative ont engendré en France une politique discriminatoire à l’égard des personnes handicapées. Sans moyens, sans accessibilité, la liberté d’aller et venir n’existe pas, l’accès à l’éducation n’entraine pas l’accès à l’emploi, aux loisirs, à la culture. En 2015, la plupart des personnes handicapées continuent à vivre des parcours d’obstacles et des difficultés créés par la politique nationale. Les protestations, discours emphatiques et démonstrations de bonne foi que l’on entendra dans les prochains jours n’y changeront rien : c’est l’engagement direct des personnes handicapées dans toutes les instances politiques qui modifiera leurs conditions de vie; elles n’ont rien à attendre des dirigeants français.

Laurent Lejard, février 2015.

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