Le 26 février 2014 a constitué un nouvel épisode du long feuilleton de déchiquetage de la mise en accessibilité à tout pour tous à compter de 2015. Au terme de quatre mois de concertation, le Gouvernement, par la voix du Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a officialisé le report de l’obligation d’accessibilité des 650.000 Etablissements Recevant du Public (ERP) et des services de transport collectif, pour des durées variant de 3 à 9 années selon leur importance. La majorité gouvernementale, dont les parlementaires avaient voté contre la loi du 11 février 2005 alors qu’ils étaient dans l’opposition, assume le risque politique de détruire l’esprit d’une législation alors que Jean-Marc Ayrault ose affirmer sa « détermination à engager un processus irréversible pour permettre la concrétisation de l’accessibilité universelle ». Il vient pourtant d’envoyer un signal fort aux gestionnaires d’ERP et aux transporteurs : leur obligation d’accessibilité est repoussée une première fois et allégée, il ne tient qu’à eux d’obtenir un deuxième passe-droit, les discours volontaristes n’engageant que ceux qui les croient. Le constat politique est bien là : la droite fait les lois « handicap », la gauche les détricote.

Rien, en effet, n’obligeait le gouvernement à modifier la législation : il pouvait laisser agir les protagonistes comme cela s’est produit aux USA en 2000 et au Royaume-Uni en 2005. Ces deux pays avaient adopté une législation de mise en accessibilité dans un délai de 10 ans, et malgré les innombrables pressions, leurs gouvernements ont refusé d’accorder des délais supplémentaires aux propriétaires et gestionnaires défaillants. Nombre d’entre eux ont effectué les travaux au dernier moment, d’autres, peu nombreux, ont été poursuivis par des personnes handicapées victimes de cette discrimination à l’accessibilité. Mais en France, ce pays si libéral dans lequel le contournement de la loi est érigé en système par certains, le lobbying des collectivités territoriales qui organisent les transports et possèdent un important patrimoine immobilier, et celui des promoteurs, bailleurs sociaux et constructeurs immobiliers a remporté un premier délai supplémentaire.

De même qu’un « ajustement de l’environnement normatif » qui ne prend même pas la peine de masquer ses objectifs : « revoir la réglementation pour soutenir la construction de logements », lit-on dans le rapport de fin de concertation remis au Premier ministre. En 2015, il sera par conséquent permis de construire des logements neufs dans lesquels des occupants handicapés ne pourront vivre sans aide humaine, avec des fenêtres de cuisine et salle de bains hors d’accès, de même que les balcons et terrasses : un net retour en arrière qui ne stimulera guère la construction de logements à prix ou loyer abordable, la spéculation foncière et immobilière n’étant pas combattue par un gouvernement qui préfère laisser agir le marché. Par ailleurs, le nombre de logements accessibles par ascenseur ne cesse de baisser, il s’établit depuis 2008 aux alentours de 50% des constructions neuves elles-mêmes en baisse, ce qui traduit bien la volonté de ne bâtir que sur trois étages au plus pour s’exonérer de l’installation d’un ascenseur. Comment le gouvernement pourra-t-il alors tenir l’objectif d’adapter 80.000 logements pour les personnes âgées en perte d’autonomie comme annoncé dans la prochaine loi d’adaptation de la société au vieillissement ?

Le déchiquetage de la loi du 11 février 2005 met en évidence l’incohérence d’un gouvernement qui affiche une volonté en faveur du « bien vieillir » en société tout en altérant le besoin d’accessibilité des personnes handicapées ou âgées en perte d’autonomie. Ce sera, semble-t-il, un autre gouvernement nommé dans les prochaines semaines qui mettra en musique cette partition désordonnée et qui doit pourtant être écrite avant le 31 décembre 2014, avec moins de ministres, « resserré » pour reprendre un mot que les politiciens nous ont déjà maintes fois servi. Y retrouvera-t-on l’actuelle ministre chargée du logement, l’écologiste Cécile Duflot qui a démontré ces derniers mois qu’elle était autant ennemie de l’accessibilité des logements qu’alliée des lobbys de la construction ? Ou son collègue chargé des transports, le socialiste Frédéric Cuvillier qui a témoigné une totale indifférence d’une mise en accessibilité réalisée essentiellement par des sociétés (SNCF, Keolis, Transdev, RATP) contrôlées par l’État ? Il y a de quoi être inquiet quant au pilotage politique de ce qui restera de la loi du 11 février 2005, lorsque dans un gouvernement resserré il n’y aura plus de ministre spécifiquement chargé des personnes handicapées. La poignée de chantiers que Marie-Arlette Carlotti a mis à l’étude, plus d’un an et demi après sa nomination, pourrait tomber dans l’oubliette qui contient les travaux des innombrables groupes de travail sans lendemain, oubliette dans laquelle risque également de finir l’idée généreuse et inclusive de « l’accessibilité à tout pour tous ».

Laurent Lejard, mars 2014.

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