La famille Maurice habite dans un village proche de Verdun (Meuse). Leurs deux fillettes, Alexandrine, 13 ans, et Caroline, 5 ans, sont toutes deux atteintes d’une amyotrophie spinale. Alors que Sylvia Maurice est enceinte de son deuxième enfant, des tests sont effectués à l’Hôpital Necker à Paris. Hélas, une employée inverse les résultats des analyses, « sa vie conjugale était perturbée » a-t-on dit aux parents en guise d’excuse. De l’impact de l’annonce de suspicion de handicap lourd aux autres parents, ceux qui ont reçu le résultat des analyses portant sur Sylvia Maurice, aucune information ne filtre; la mère de l’enfant qu’on lui disait devoir naître handicapé a-t-elle demandé une interruption de grossesse ? Didier Maurice, le mari de Sylvia, a voulu savoir. « L’Assistance Publique- Hôpitaux de Paris nous a dit avoir fourni le même résultat aux deux familles ».

Ces tests étaient justifiés par le fait que le premier enfant du couple était porteur d’une amyotrophie spinale identique, le risque de transmission génétique était important pour un second enfant. Ces faits sont à l’origine de ce que l’on appelle l’Affaire Maurice : les parents se sont en effet adressés à la Justice pour savoir ce qui s’était passé, et définir les responsabilités. Les Maurice obtiennent en décembre 2001, à titre provisionnel, une somme de 150.000 euros en attendant l’évaluation du préjudice subi. Quelques semaines plus tard, le vote à l’arraché de l’amendement « anti- jurisprudence Perruche » est acquis par Jean- François Mattéi, alors Député de l’opposition. Cette législation connaît (fait exceptionnel depuis les lois antisémites de l’Etat Français votées par le Parlement en 1940) une application rétroactive : les parents Maurice se voient réclamer le remboursement de 90% de la provision qui leur a été allouée. Au terme de la nouvelle loi, seul leur préjudice moral est indemnisable, le reste étant à la charge de la Solidarité Nationale. « La loi du 4 mars 2002 a été faite pour protéger les fautifs mais les victimes sont restées en plan, observe Didier Maurice; la maladie continue à faire son travail et elle le fait bien. Notre gros problème actuellement, c’est l’habitation. Nous avons maintenant besoin d’une grande maison, dont toutes les pièces sont de plain- pied, permettant à nos deux enfants qui sont sur des fauteuils roulants électriques de se déplacer facilement. Cela représente un coût de 400.000 euros ».

Didier Maurice est seul à travailler. Encore a-t-il réduit son activité: « je travaillais en 3×8, au Luxembourg, avec un salaire plus élevé que celui d’un ouvrier français. J’ai dû renoncer à ce rythme pour travailler en journée, ce qui représente une baisse conséquente de rémunération ». La famille vit avec 1.500 euros de salaire et 730 euros d’allocations pour les enfants. « Un quart de nos revenus passent dans les loisirs des enfants ». Les déplacements et les activités coûtent chers. Le fauteuil d’Alexandrine vaut près de 23.000 euros mais n’est pas agréé par la Sécurité Sociale, « on nous a dit que c’était un fauteuil de luxe ». Il permet à l’enfant de gagner en autonomie, en pouvant se placer à bonne hauteur de table ou de lit, se déplacer aisément, et se verticaliser.

Le regard porté par Didier Maurice sur le corps médical est particulièrement dur: « J’estime qu’il faut appliquer la méthode ‘pit-bull’, mordre et ne plus lâcher. La médecine n’est plus une vocation, nous avons eu affaire à des docteurs qui font leurs huit heures et qui rentrent chez eux. L’un d’entre eux, à Nancy, voulait laisser mourir ma fille; pour lui une amyotrophie spinale devait se terminer comme ça. Il a fallu que je le colle contre un mur pour l’obliger à mettre mon enfant en réanimation, à contacter ses confrères parisiens pour mettre des soins appropriés en oeuvre. Un autre, alors que ma fille vomissait du sang, n’avait qu’une hâte, récupérer ses enfants à la sortie de l’école ! Si les médecins ont commis une erreur, il ne faut pas les louper. A mes yeux, ils ont une obligation de résultat, il faut leur botter le train à longueur de journée. Certains médecins ont l’habitude de forcer la décision, ils estiment devoir réaliser un acte coûte que coûte. Quand Alexandrine se plaint d’avoir mal quand on lui met un corset, ils s’en foutent éperdument, ils ne tiennent pas compte de l’avis d’un enfant. Il y a encore quelques années, nous étions informés, on nous expliquait ce qui allait être fait, on discutait. Maintenant, on est au pied du mur, ils prennent l’enfant et font ce qu’ils veulent, en sachant qu’il n’y aura pas de résultat mais ils le font quand même ».

Dans leur situation, les parents Maurice sont plutôt isolés : « Nous n’avons pas de soutien moral de la population, les gens du coin ne nous jettent pas des pierres mais il n’y a pas de solidarité ». L’action médiatique ne semble pas davantage efficace : « On a tout essayé, plus personne ne parle de nous. Tant que c’était vendable, les journalistes sont venus, tant que qu’ils pouvaient faire la photo d’une enfant couchée en la reliant à l’Affaire Perruche ça marchait. Aujourd’hui, nous sommes dans la même situation qu’il y a un ou deux ans, plus personne ne s’intéresse à nous. Il n’y a plus de scoop, de bagarre. Récemment, France 2 est venu à la maison, la chaîne n’a pas diffusé le reportage. Nous n’avons rien à cacher mais nous n’avons rien à montrer non plus ».

Le 20 décembre 2002, peu après le Téléthon, l’Affaire Maurice est au sommaire de l’émission Sans aucun doute sur TF1. Didier Maurice tempère : « On lui attribue comme résultat la renonciation de l’Assistance Publique- Hôpitaux de Paris de récupérer la provision accordée par le tribunal. En fait, des négociations ont eu lieu en marge du Téléthon, conduites par l’Association Française de lutte contre les Myopathies. L’émission ‘Sans aucun doute’ a été un pipeau monstrueux; il est plus facile de régler une querelle de voisinage que de mettre en cause la politique d’un gouvernement qui à mon avis fait n’importe quoi. Julien Courbet et TF1 n’ont pas les reins assez solides pour attaquer réellement, faire bouger les politiciens. Il n’en est rien sorti du tout; que ce soit dans notre département comme dans les ministères les journalistes n’ont eu d’entretien avec personne. Nous sommes repartis de l’émission avec quatre places pour Star Academy et des jouets. Je n’attendais pas ça; je voulais mettre un grand coup de pied dans la loi, expliquer qu’elle n’est bonne pour personne et l’annuler. Durant l’émission, j’ai entendu dire que Mattéi était un bon professeur, que les juges étaient des bons juges, je me suis demandé si ce n’était pas moi le con dans l’histoire ! ». Les enfants ont profité des places à l’occasion du passage de Star Academy dans leur région, au grand dam des organisateurs : les fauteuils roulants des enfants gênaient le passage des valides…

Face à la loi française, les parents Maurice attaquent l’Etat devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Considérée comme réglée par les autorités nationales, nous sommes certains qu’on reparlera, ici ou ailleurs, de l’Affaire Maurice.

Laurent Lejard, mars 2003


Pour des informations complémentaires, consultez le site créé par Didier Maurice.

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