Une polio contractée dans son pays natal, l’Algérie, ne permet plus à Lila Derridj de se déplacer sur ses jambes, et c’est en fauteuil roulant qu’elle parcourt le monde, joue, vit. Son travail a un point commun, la place du corps, que ce soit dans l’architecture ou dans la création artistique. Ses photos et ses vidéos montrent des personnes handicapées aux prises avec la ville et ses bâtiments, l'(in)accessibilité, la relation aux autres. Le corps, le sien, elle l’utilise dans la danse; durant quatre années, elle a travaillé à l’élaboration d’un spectacle de danse contemporaine représenté notamment lors des 1eres Rencontres Art, Culture et Handicap de Bourges en 2003. « J’aime la danse contemporaine, c’est porteur de sens que deux corps différents se mettent en mouvement dans un espace défini, c’est un acte militant ».

Lila Derridj agit dans un contexte français: « Mon travail serait perçu autrement en Suède. En France, on n’a pas une position citoyenne très confortable, ce travail de danse, c’est du happening. Je fais de la scène car l’art m’attire pour l’engagement; les gens ont une perception visuelle des personnes handicapées qui génère une réticence. Par opposition, je me sers de mon corps, de ma voix. Je me fais plaisir de manière engagée, en refusant de faire beau pour faire beau ».

C’est avec cette exigence de qualité qu’elle a rejoint le projet de comédie musicale qui sera interprétée par des artistes handicapés, amateurs confirmés ou professionnels. Le producteur, Dove Attia, est un habitué des grosses machines tels « Les dix commandements ». Intitulée « Les hors la loi », l’histoire conte la cohabitation entre deux malfrats valides réfugiés dans une institution qui donne des cours de théâtre à des personnes handicapées; ils sont contraints de cohabiter. La pièce sera traitée à la manière du film « On connaît la chanson » d’Alain Resnais (1998); divers titres à succès constitueront l’essentiel de la partie musicale d’un spectacle dont l’écriture est cours de finalisation.

Outre l’indispensable histoire d’amour, les préjugés devront tomber entre pensionnaires et malfrats. Lila a auditionné après qu’un ami artiste lui a parlé du projet: « J’y suis allée comme ça, j’ai été prise. La pièce va avoir une portée médiatique. Le résultat artistique dépend du travail de tous et de notre engagement. Et d’autres producteurs auront peut- être envie de nous faire travailler, d’employer des personnes qui ont un physique différent. Ça a du sens ».

Cette volonté d’intégration, Lila la puise dans l’éducation qu’elle a reçue en milieu ordinaire jusqu’en classe de quatrième; après, c’est à Garches, puis au lycée Toulouse Lautrec (Vaucresson) qu’elle a poursuivi ses études jusqu’au baccalauréat. Le devenir de cet établissement, dont la rénovation suscite une vive polémique (lire ce Flop), lui tient à coeur; Lila déplore l’éloignement de l’établissement de la vie urbaine et regrette que l’on puisse lui consacrer un budget important alors que l’évolution de l’idée d’intégration aurait dû conduire à le placer au coeur de la cité. « A Toulouse Lautrec, la vie quotidienne est confortable, elle engendre une immaturité chez les pensionnaires. La vie commence à la sortie du lycée, et beaucoup n’arrivent pas à l’affronter ». Et cherchent à nouveau le confort d’une institution. Lila, elle, ne veut pas d’espaces ou d’accès spécifiques, elle prône la conception pour tous, le design universel.

Elle a voyagé dans de nombreux pays (Egypte, Inde, Maroc, Angleterre, Hollande…), en embarquant un simple sac à dos mais en préparant toutefois ses destinations : Lila ne recherche pas la galère. Même s’il lui faut, parfois, monter dans un bus en rampant, elle n’a pas peur d’affronter l’inconfort physique, et veut rencontrer les gens : « J’aime bien les langues, je parle anglais, espagnol, italien arabe, kabyle »… Ces rencontres ne l’ont pas encore conduite dans les bras de l’homme de sa vie, elle se laisse aller pour cela au libre arbitre des relations : « Quand on s’arrête sur quelqu’un ce n’est plus un hasard »…

Laurent Lejard, janvier 2005.

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